Quelle est la vitesse d’un économiste à vol d’oiseau?

Quand les économistes nous parlent de crise financière, non seulement c’est à peu près aussi utile qu’une valise de ministre sans billets de banque, mais en plus c’est en général assez barbant. Mais quand les économistes parlent de mobilité, c’est toujours aussi inutile, mais le propos peut par contre être très drôle. Au détour d’un article de Libération, on apprend ainsi que l’économiste Pierre Kopp (université Panthéon-Sorbonne) « s’intéresse à la bicyclette » et entend nous prouver qu’à Paris « le vélo ne peut pas rivaliser avec les autres modes de transport« .

Pour ce faire, nous avons droit à une magnifique démonstration censée prouver que le vélo… ne va vraiment pas vite! Voici l’extrait en question:

« Reprenons, écrit-il, les caractéristiques des possibilités offertes par le vélo (…) Dans le cas d’un déplacement typique à bicyclette de 3 km durant 15 minutes, la première et la dernière minute sont consacrées aux marches entre les lieux de stationnement et les extrémités du déplacement. Deux minutes sont utilisées à chaque extrémité pour stationner ou pour reprendre la bicyclette. Il reste 9 minutes pour le trajet véhiculaire, dont 2 sont passées à l’arrêt au feu rouge, et 7 en mouvement. La vitesse instantanée varie sans cesse et atteint une valeur maximale de 48 km/h. La vitesse moyenne véhiculaire hors arrêt est de 24 km/h. La vitesse moyenne véhiculaire est de 18,7 km/h. La vitesse moyenne du déplacement est de 11,8 km/h. En supposant un facteur de détour de 1,4, la vitesse moyenne à vol d’oiseau du déplacement est de seulement 8,4 km/h. »

Cela ressemble à une démonstration implacable, une sorte de problème mathématique imparable… sauf que c’est complétement bidon!

Reprenons les données du « problème »: sur un déplacement de 15 minutes à vélo, si on enlève le temps nécessaire pour accéder au vélo, se garer (sic!), verrouiller et déverrouiller son antivol, atteindre sa destination finale à pied, on estime donc le temps restant pour le « trajet véhiculaire », c’est-à-dire le temps passé « sur le vélo », à 9 minutes. Enlevons encore 2 minutes pour les arrêts au feu rouge, il reste donc 7 minutes en mouvement, soit une vitesse moyenne véhiculaire hors arrêt de 25,7 km/h, et non pas 24 km/h!

Première approximation, mais passons! La vitesse moyenne du déplacement est alors de 12 km/h, et non pas de 11,8 km/h! Passons encore, on ne va pas finasser sur les détails…

Car le problème se corse sérieusement, il y a en effet un problème de « facteur de détour » estimé à 1,4… Ce qui voudrait dire que le déplacement initial de 3 km est en fait un déplacement à vol d’oiseau de 2,14 km, soit, pour un temps de déplacement total de 15 minutes, une vitesse moyenne à vol d’oiseau du déplacement de seulement 8,57 km/h (et non pas 8,4 km/h, mais passons encore…).

Et là, ce formidable spécialiste en tire la conclusion qui s’impose: « Sachant que le citadin ne passera pas plus d’une heure en moyenne pour se déplacer (conjecture de Zahavi), on voit bien qu’à 8,4 de moyenne, il n’ira pas très loin« .

Donc si on comprend bien le raisonnement, les citadins se déplacent en ville « à vol d’oiseau », à 8,4 km/heure de moyenne dans le cas des cyclistes. Étant personnellement citadin, je n’ai toujours pas trouvé comment me déplacer en ville à vol d’oiseau, d’autant plus à vélo! (en hélicoptère, je ne dis pas…)

Lire aussi :  Mettons la SNCF en marche!

A ce stade, cela fait quand même pas mal d’approximations pour un « économiste » censé jongler avec les chiffres du matin au soir. On comprend mieux le pourquoi du comment de la crise européenne de la dette…

Plus drôle, appliquons ce parfait calcul théorique au même déplacement fait en voiture.

Reprenons, dis-je, les caractéristiques des possibilités offertes par la voiture(…) Dans le cas d’un déplacement typique en voiture de 3 km durant 15 minutes, la première et la dernière minute sont consacrées aux marches entre les lieux de stationnement et les extrémités du déplacement (bon courage pour faire ça en deux minutes à moins de trouver une place de stationnement devant son lieu de départ et de destination!) Deux minutes sont utilisées à chaque extrémité pour stationner ou pour reprendre la voiture (bon courage pour faire ça en deux minutes, en particulier quand il s’agit de trouver une place libre à Paris). Il reste 9 minutes pour le trajet véhiculaire, dont 2 sont passées à l’arrêt au feu rouge, et 7 en mouvement. La vitesse instantanée varie sans cesse et atteint une valeur maximale de 48 km/h (logique, il est interdit de rouler à plus de 50 km/heure en ville!). La vitesse moyenne véhiculaire hors arrêt est de 24 km/h. La vitesse moyenne véhiculaire est de 18,7 km/h. La vitesse moyenne du déplacement est de 11,8 km/h. En supposant un facteur de détour de 1,4, la vitesse moyenne à vol d’oiseau du déplacement est de seulement 8,4 km/h.

Incroyable, on arrive au même résultat! Comment est-ce possible?

Tout simplement car la vitesse moyenne véhiculaire du vélo et de la voiture est grosso modo la même en milieu urbain. Allez voir par exemple sur Google Maps ou ViaMichelin et estimez le temps de trajet pour parcourir en voiture 3 km dans Paris: vous tournez autour de 9 minutes, soit la durée prise par un vélo pour faire le même parcours…

Sauf qu’au lieu de rajouter 2 minutes seulement entre les lieux de stationnement et les extrémités du déplacement, dans le cas de la voiture, il faudrait mieux rajouter au moins 10 minutes (2×5 minutes). Et rajouter au moins encore 5 minutes pour trouver une place de stationnement à destination (en étant hyper optimiste…). Le déplacement de 3 km prendra donc environ au total 28 minutes en voiture, soit une vitesse moyenne de 6,4 km/h. En supposant un facteur de détour de 1,4, la vitesse moyenne à vol d’oiseau du déplacement en voiture est de seulement 4,59 km/h, soit la vitesse moyenne d’un piéton…

Première morale de l’histoire: c’est bien le piéton le plus malin!

Seconde morale de l’histoire: si les économistes traitent les questions de la dette financière comme les questions de mobilité, on comprend mieux pourquoi on est dans la merde…

Troisième morale de l’histoire: ne croyez jamais un économiste, car ce sont quand même les économistes qui nous disent depuis des décennies qu’une croissance infinie est possible dans un monde fini…

Image: Dia Mundial Sem Carro par Manequim de Bigode

12 commentaires sur “Quelle est la vitesse d’un économiste à vol d’oiseau?

  1. Lomoberet

    Les français qui ont eu le privilège d’avoir le meilleur économiste de France comme Premier Ministre ont eu largement le temps d’apprécier la race jusqu’aux tréfonds de leur porte-monnaie.

  2. Alain

    J’av ais vu hier sur le site du Monde son histoire de mobilité. J’ai bien ri: un économiste encore assis sur sa chaise et devant son ordinateur. Sait-il au moins qu’il y a un monde à l’extérieur?

  3. Legeographe

    Je comprends l’énervement, Marcel Robert et je me suis bien marré. Notamment la conclusion qui dit qu’un piéton va aussi vite qu’une voiture et qu’un piéton va aussi vite que la voiture.

    Les chiffres sont ridicules pour beaucoup. Néanmoins, il est vrai de plus en plus que trouver un endroit pour attacher son vélo à moins de 20 mètres du lieu de destination finale (20 mètres, à pied, c’est 15 secondes, ouiiiinnnnnnn !) est de plus en plus difficile (en raison du nombre de vélos parqués là par ceux qui sont arrivés quelques minutes en avance sur le lieu de rassemblement… mais ça, c’est avec un public et des lieux de rassemblement branchés « vélo »… en bref, les milieux pas stressés de la vie… les milieux où il est bon d’aller se socialiser… donc, il est plutôt bon signe de faire enfin plus de 20 mètres pour garer son vélo… les gens s’affranchissent dans certains milieux, tandis que d’autres milieux traitent la simplicité volontaire comme la nouvelle dictature et disent que ça les fait gerber… Mouais…).

    Néanmoins, le facteur de détour, je pense que l’économiste a voulu parler des détours que fait un vélo par rapport à un piéton, même si le rapport n’est pas de 1,4 dans ce cas… Les détours d’un vélo en plus du piéton, ce sont les escaliers, les sens interdits, les parcs, les passages couverts, les raccourcis pour piétons en somme.

    Ce qui est en effet effarant pour cette question du rapport de détour, c’est ce qu’a remarqué à très juste titre quelqu’un dans les commentaires sur le blog Libération :
    « Pour ajouter une autre retenue, on remarque qu’un facteur de détour de 1,4~= racine de 2 correspond à un trajet à angle droit pour la diagonale à vol d’oiseau, soit la pire configuration possible. Ce qui s’accorde peu à un calcul de moyenne. » (commentaire d’Antoine)

     

     

    En outre, je cite Pablo Jensen qui commente l’article sur le blog Libération :

    « Avec d’autres chercheurs, nous avons mené uné étude sérieuse sur la vitesse des vélo en ville (grâce à des millions de déplacements en Vélov enregistrés), et le résultat est clair: aux heures de pointe, le vélo est largement aussi rapide que la voiture, soit environ 15 km/h d’une station à l’autre. L’étude (en anglais) a été publié dans une revue de transport

     

    Toutes les réactions marquées à la suite de l’article sur le blog Libération montrent qu’un cycliste sait réfléchir encore… Ouf ! Ce chercheur aurait essayé de nous faire abandonner le vélo, on n’aurait pas pour autant « laissé tomber le guidon ». Entre autres, j’ai reconnus quelques compères de Carfree dans les commentaires. ^^

  4. Brom

    A première vue, cette tête trop bien remplie, a du passer plus de rtemps dans les livres que sur un vélo … pauvre de lui
    il n’a jamais vu mon Brompton en action qui part de mon appart descend l’escalier fait son parcours, me suis plié et se range sous mon bureau toute la journée, ou bien vient avec moi faire les course avec son gros sac plié dans le caddy en attendant de prendre le relais pour aller à la maison,
    il me suis aussi aux réunions politiques, dans le restau du midi, … au point que ma femme dit que je suis marié avec…
    BROMPTON ! monsieur le savant … il n’y a que cela de vrai et certes plus de 8,4 km:h c’est moi qui vous l’assure

  5. Brom

    Il faudrait lui transmettre une copie numérique d’Energie et Equité d’Ivan illich, qui est de loin meilleur en calcul …
     

  6. Le cycliste intraitable

    En ville, le déplacement à vélo est le plus lent, à l’exception de tous les autres.
    Mais le propos de ce chercheur incite à relativiser la rapidité des déplacements très courts à vélo en milieu urbain. On passe facilement 5 minutes dans l’accès à la monture et sa mise en stationnement.
    Les feux rouges, avec leurs ondes vertes mal réglées, font perdre en moyenne 15 secondes par feu franchi, vert ou rouge, moins si on est pas trop formel avec une signalisation peu respectueuse des VPH. On est aussi ralenti dans les chaussées encombrées et trop étroites pour que les cyclistes circulent entre les voies de circulation ou à droite.
    Les sens interdits pour les cyclistes sont à terme voués à disparaître, mais pour l’instant ils sont encore une réalité dans de trop nombreuses communes où les habitants et leurs élus se croient encore au siècle dernier.
    Le match auto – vélo ou transports urbains – vélo reste cependant remporté par le vélo la plupart du temps.

  7. Legeographe

    Ah oui, c’est juste, Marcel Robert.

    Bon sinon, pour revenir sur l’absurdité de la voiture dans 99% de ses usages, je citerai le paragraphe suivant :

    Nos déplacements automobile, en coût d’énergie correspondent à celui de 350km/jour à pieds ou 1000km/jour en vélo, à peu près puisque les voitures que nous utilisons consomment plus et sont plus lourdes… cette énergie est puisée dans des ressources limité à 30 ans environ. Quant à produire cette énergie à mesure à partir des ressources renouvelable, c’est comme si notre population mangeait 10 fois plus: il faut 10 fois plus de nourriture: pas étonnant que la planète soit à genoux.

    Eh bien voilà, on a répondu facilement… Il faut savoir qu’il y a un siècle de cela, Paul de Vivie faisait déjà des kms incalculables et prouvait qu’on pouvait le faire facilement avec des vélos de 25 kg (sic)… Et, en plus, avec le paragraphe cité, on vient de balayer le non-sens qui consiste à croire que les agrocarburants vont être la panacée.

  8. Jean-Marc

    Ce qui fait peur, c est que c est ce genre de conseillers qu’écoutent nos élus…
    Donc on comprend le retard français… (et les projets d autoroutes, d aéroports, de rocades, de…)
    C est un peu comme si, dans un autre domaine -la formation agricole- aujourd’hui, on n enseignait pas la bio.
    A bah… au fait, c est le cas… (elle est juste évoquée très sommairement) .

    Merci Legeographe,lien vraiment très interessant.
    En particulier, en début de page, la citation de R.A. Lafferty, à la fin du XIXème siècle :
    « Prenez un homme sur un cheval (je parle en connaissance de cause: j’ai fait du cheval presque toute ma vie); eh bien c’est la plupart un homme affable, mais un changement radical se produit des qu’il enfourche sa monture. Tout homme à cheval devient arrogant, aussi aimable soit-il lorsque qu’il est à pied. L’homme dans sa voiture est mille fois plus dangereux. Je vous le dis: Si jamais l’automobile venait à se généraliser, cela engendrait un égoïsme terrible chez l’être humain. Cela entraînerait une violence dans des proportions que nous n’avons encore jamais connues: Ce serait la fin de la famille telle que nous l’avons connue: trois ou quatre générations partageant avec bonheur le même foyer. Cela anéantirait nos relations avec notre voisinage et l’idée même de la communauté. Nous verrions de gigantesques villes se créer comme des cancers, des banlieues résidentielles à la fausse opulence, une campagne aux paysages ruinés, des agglomérations encerclées par des usines destructrices pour la santé, des fermes industrielles spécialisées. Cela ferait de chaque homme un tyran. »
    Rque : pas trouvé d’info sur ce RA Lafferty du XIX siècle [différent de l’auteur US de SF, né au XX (1914-2002)]
    les seules réf. trouvées de ce Lafferty, chroniqueur de la fin du XIX siècle, sont sur le même site :
    http://pourlaterre.free.fr/le_batracien_qui_chauffe.html [fable connue, sur le réchauffement climatique et l (la non-) adaptation aux changements en temps utile]

    http://pourlaterre.free.fr/le_gros_probleme_de_la_voiture.html (la modification psychologique)

  9. gilles

    Cela sans compter que le vélo permet d’arriver systématiquement à l’heure .Le temps de trajet etant invariable d’un jour à l’autre.

  10. LEGEOGRAPHE

    @ Jean-Marc :
    En fait, la congruence des écrits de Lafferty et de la réalité de la 2e moitié du XXe siècle et du (début au moins du) XXIe siècle me ferait presque dire que ce bonhomme est bien plus fort que Nostradamus, en tout cas bien plus futuro-réaliste que le Jules Verne anticipateur du XIXe siècle lui aussi… Lafferty, j’ai du coup du mal à croire en son existence réelle, tellement la prévision est parfaite. J’avais déjà lu ce paragraphe avant, mais j’avais jamais vu la date de la citation, ni fait de recherches sur l’auteur…
    Pas bien sûr que ce bonhomme ait existé (à cette époque du moins). Sinon, on a un devin tout parfait !

  11. lionel

    Legéographe,

    R.A. Lafferty est né en 1907.
    « Prenez un homme sur un cheval… » de R.A. Lafferty datant de la fin XIXè siècle est une sorte de hoax qui dessert les écologistes plus qu’autre chose.

    En effet c’est une citation d’un de ses romans datant de 1970 « intrerurban Queen » mais relatant une époque fin XIXe.

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