Contre-offensive Française et Lumière dans la Caverne

9e réflexion sur l’Après Fukushima, 1e partie


Nouvelle configuration nucléaire de guerre

L’impératrice de la transparence atomique a été très honorablement remerciée de ses services par la présidence de la République. Ses compétences médiatiques unanimement remarquées lui ont valu d’être propulsée très haut vers un poste plus stratégique dans la défense de l’empire (1). La femme savante quitte le vacarme des ateliers et les graisses des mécanos industriels pour s’élever vers des sphères plus éthérées.

Au dessous d’elle, elle laisse un nucléaire de guerre. L’onde de choc de Fukushima, encore plus puissante que celle de Tchernobyl, l’a d’emblée contraint à adopter une configuration plus ouvertement militaire. Confronté à de violentes et incessantes secousses antinucléaires, l’état-major a par principe de précaution décrété la mobilisation générale puis imposé la discipline à tous les niveaux de la hiérarchie. L’empire est menacé, la citadelle culturelle du nucléaire est assiégée, c’est bel et bien la guerre. Dans ce contexte de crise, un vibrant et mâle « camarades l’heure est grave! », s’est fait entendre dans les centrales. Les bataillons prolétariens, fer de lance et cheville ouvrière du fleuron industriel national ont été mis en batterie. Les syndicats du MOX, aux premiers chefs concernés sont montés aux créneaux. Le corps trempé dans l’atome, casqué et bardé de leur dosimètres, ils se posent invincibles (comme Achille) en face de l’adversité verte anti-nucléaire. L’esprit plombé au Plutonium, ils savent ce qu’ils sont et ils ont la conscience de leur importance d’élites des centrales. Ils représentent la nouvelle et future génération Plutonium de l’Homme. La sixième dans l’histoire mythique de l’Humanité, celle qui suit la « race de fer » du mythe Hésiodique, une race aristocratique, que le poète des Travaux et des Jours n’aurait jamais pu imaginer… A l’Age Atomique, la génération Plutonium de l’Homme a remplacé la race candide de son épopée, les soldats innocents anciens irradiés des « essais ». En costume technique, badgé de dosimètre, elle se doit d’assurer plus efficacement la défense de l’Empire et la pérennité de l’Age Atomique.

Sûr de son pouvoir et de l’indéfectible subordination de ses hommes, le nouveau maître du nucléaire en France s’est adressé au peuple et à ses élites sous la forme d’un ultimatum.

Son discours d’investiture à la tête du complexe énergétique EDF et Aréva a d’emblée atteint la grossièreté toute militaire, particulièrement adaptée à la misère intellectuelle régnante dans la classe dirigeante.

Chiffres électriques et électrochoc de la classe politique

L’Homme fort du nucléaire s’est tout simplement contenté de donner un violent coup de poing sur la table. Cela a été largement suffisant pour se faire comprendre et remettre de l’ordre dans les rangs politiques. Il lui suffisait de rappeler par un coup de gueule qui gouverne réellement dans l’Empire.

On peut résumer ainsi le tir de semonces du nucléocrate: sortir du nucléaire en France c’est « mettre un million d’emplois en péril et nécessiterait d’investir 400 milliards d’euros pour remplacer les centrales ». » (2)

Quelques temps auparavant un sbire de l’Empire, armé de sa calculette scientifique, avaient lancé à la louche un coût de sortie à « au moins 750 milliards de dépense pour la France ». D’autres chiffres encore plus électriques ajustés pour la classe politique ont circulé, le PIB serait rogné de quelques points… peu importe. Mais le nouvel homme fort est un spécialiste, le nombre de joules a été bien choisi et le premier électrochoc a été suffisant pour une défibrillation de la classe politique et la faire rentrer dans le rang.

Ces divers arguments massues en chiffre, destinés aux différentes strates institutionnelles du pouvoir, allant des centrales syndicales aux partis politiques en passant par les médias officiels et autres structures de l’appareil d’État, rappellent par leur simple grossièreté où se situe le pouvoir réel. Mais aussi menaçants qu’ils soient, ils ne sont pas recevables en regard de l’histoire réelle ouverte par la catastrophe de Fukushima, car il faut, comme toujours, réfléchir en terme d’écologie et de civilisation. L’Age de l’Atome avec sa race Plutonium de l’Homme arrive à son terme de péremption, à l’heure de vérité il révèle son monumental mensonge.

La « sortie du nucléaire » c’est beaucoup plus que ces quelques ridicules chiffres d’économiste, car il ne s’agit pas seulement d’arrêter une industrie, mais bel et bien de sortir de l’Age Atomique.

Deux grands employeurs de l’Histoire du 20e siècle

Lorsque l’on s’inscrit dans une réflexion historique en terme d’Age et de Civilisation, la grossièreté militaire de l’argumentaire du chef pour atteindre la médiocrité politique saute immédiatement aux yeux. Puisque sa vulgaire brutalité populiste est de type totalitaire.

Sur les performances à l’emploi on peut rappeler que pour les économistes qui réfléchissent en chiffre, le Führer a longtemps été célébré comme un grand créateur d’emploi pour l’Allemagne en crise des années 1930. Il l’a fait d’une main de maître, en militarisant massivement toutes les strates sociales dans l’armée et l’industrie de son pays. Et avec le STO il a été aussi un créateur d’emplois pour les travailleurs français. Mais le Nazisme n’a été qu’une manifestation ponctuelle du totalitarisme industriel. Le Toyotisme et « La mondialisation du STO par l’auto » dans l’après guerre ont pulvérisé les performances en matière d’emploi du national socialisme (3)…

Dans « La course aux énergies » au chapitre « L’Apocalypse réhabilité dans la religion du Progrès » on avait argumenté la filiation directe entre le nazisme et l’Age Atomique aux temps des « essais » (4). On ne s’était intéressé qu’aux aspects militaires et la logique scientifique des « tirs », la dimension humaine ou plus exactement inhumaine des explosions atomiques, encore plus effrayante, n’avait pas été considérée. Laissons donc le Führer avec ses tristes et éphémères performances sociales et parlons de son rejeton nucléaire, beaucoup plus brillant comme créateur d’emplois durables.

De manière synthétique on peut dire que l’importance des désastres sanitaires et écologiques du nucléaire a été en fonction directe du nombre des créations d’emplois dans les centres de recherche nucléaire… Durant un demi-siècle, les multiples travailleurs bénéficiaires d’emplois dans l’Atome ont réglé le temps terrestre au rythme des essais nucléaires.

Il faut rappeler que les créations d’emplois de cette période héroïque de l’Atome ont comporté de nombreux cobayes humains. Car sur ces heureux bénéficiaires d’emplois, parfois « bien payés » pour acheter leur silence, dans les « tirs » « d’essais », tout était étudié. Les travailleurs engagés n’étaient pas que de simples agents techniques recrutés sur la base de leurs compétences professionnelles. Les divers pouvoirs constitués de cette grande épopée scientifique étaient aussi en grand nombre sur le front de la recherche. Militaires, politiques, scientifiques de tous types, physiciens biologistes, médecins de toutes spécialités, psychologues et psychiatres étaient aux premières loges pour étudier l’Homme soumis au feu atomique.

Indéniablement le nucléaire a été l’un des plus grands créateurs d’emploi du 20e siècle. Car en plus des Chercheurs scientifiques et de leurs nombreux cobayes humains, il a fallut dans le même temps organiser la promotion internationale de la « Pax Atomica », puis dans le même temps construire le négationnisme et le révisionnisme des conséquences sanitaires des « événements nucléaires », sans parler du désastre écologique. Un véritable « Ministère de la Vérité » au sens orwellien du terme fait encore travailler des dizaines de milliers d’homme à travers le monde. Les retombées sanitaires et écologiques percent peu à peu la lourde chape de négationnisme et la vérité sordide de l’Age Atomique émerge progressivement aujourd’hui…

Ces divers aspects de la filiation entre le nazisme et l’Age Atomique n’avaient pas été abordés dans « L’Apocalypse réhabilité dans la religion du Progrès ». Mais pour découvrir les victimes et les péripéties sordides de ces nombreuses créations d’emplois on peut lire « Atomic Park: à la recherche des victimes du nucléaire ». L’enquête reste encore très difficile aujourd’hui, mais la contre-histoire révèle la vérité de l’« Atoms for Peace »…

Annals from the Atomic Park : The first 400.000 atomic Workers

Lire aussi :  Manuel de Transition – De la dépendance au pétrole à la résilience locale – Rob Hopkins

Une décennie après l’arrêt des « essais » atomiques en atmosphère des États-Unis, les langues ont commencé à se délier. L’omerta nucléaire pour ce pays prenait fin.

Les « atom’vet », les anciens irradiés des « essais » et cobayes humains malgré eux, se sont progressivement organisés en association pour se rebeller contre leur chef militaire, l’État fédéral des États-Unis d’Amérique. Ils étaient près de 400.000 « atomic workers » au plus fort de la période des « essais », tous employés et dévoués à une noble cause: la recherche scientifique publique d’une grande nation démocratique œuvrant à travers le monde pour le développement économique et social de l’humanité.

Quarante ans plus tard les survivants de cette époque glorieuse dans l’Atomic Park sont devenus les « atomic veterans ». Leur passé professionnel a resurgi au cours de leur retraite qu’ils espéraient paisible puisqu’ils avaient honorablement servi leur Patrie. Prenant brutalement conscience, non pas de ce qu’ils ont fait mais de ce que leurs employeurs ont fait sur eux, ces irradiés de la recherche sont aujourd’hui sur le pied de guerre engagés dans les tranchées des procédures juridiques pour une reconnaissance de leur souffrance actuelle. C’est « la révolte des « Atomic’vet » (5)

A la grande époque des « essais » ils n’étaient que des loyaux soldats, des travailleurs disciplinés, serviteurs dévoués de la recherche publique des Etats-Unis et affichaient des états de services et un professionnalisme irréprochables. Parfaitement sourds, aveugles et muets, comme des cobayes, ils pouvaient entièrement se consacrer à leur mission de service public. Sourds aux discours des pacifistes, forcément communistes à cette époque de Maccarthysme, et aveugles à l’horreur criminelle de leur activité de recherche.

Aujourd’hui les « atomic’vet » ont ouvert les yeux et vu ce qu’ils étaient censés ne pas voir et se sont mis à parler. Un demi-siècle plus tard ils sont à la recherche de leur passé dosimétrique. « Ils ne décolèrent pas de leur employeur: l’État Fédéral des États-unis d’Amérique » car ils sont bien obligés de voir l’évidence de leur utilisation délibérée comme cobaye humain. Ces sacrifiés de l’Atome sont encore aujourd’hui en grand nombre car aux 400.000 premiers bénéficiaires d’emplois dans le nucléaire américain sont venus se rajouter les GI’s ayant opéré en zone bombardée à l’Uranium appauvri en Irak et en Afghanistan en 1991 et 2002.

« Au total sur les 400.000 à 500.000 travailleurs du nucléaire et serviteurs de « l’Axe du Bien » ayant participé aux « essais » ou combattu le Mal, seuls 455 ont été indemnisés par l’État fédéral. En 2005, 19.000 dossiers étaient toujours bloqués dans les arcanes du service de santé du secrétariat aux « atomic veterans ».

Seules les fortes contaminations documentées sont recevables et à l’époque les normes d’irradiation cumulative considérées comme significatives et dangereuses étaient fixées à plus de 50 milisieverts par an. Depuis, pour les travailleurs de l’Atomic Park, la dose a été très fortement révisée à la baisse pour être fixée à 20 millisieverts par an. Ce premier contingent résiduel de l’épopée nucléaire précède la grande et valeureuse génération Plutonium de l’Homme.

« L’Irradié » et les premiers travailleurs du nucléaire

Alors que l’Amérique découvrait et enterrait ses premiers irradiés, la France débutait ses premiers « essais ». Alors qu’outre Atlantique la révolte des « atomic’vet » commençait à gronder, la France se fixait comme but d’assurer dans la plus parfaite sérénité militaire ses propres essais dans l’atmosphère…

Bernard L., le premier irradié répertorié identifié et désigné comme tel par les médecins militaires, est mort le 4 janvier 1976 des suites d’une aplasie médullaire. Il avait travaillé à Reggane, au Centre Saharien d’expérimentation militaire… En 1998, sa fille pour obtenir une reconnaissance posthume fait la demande pour son père du titre « mort pour la France ». En toute logique ou rigueur militaire le titre lui est refusé, car il est mort avant tout pour La Science. Il n’est pas tombé à Diên Biên Phu ni sous les balles d’un « terroriste » du FLN.

A Reggane, au Centre Saharien d’Expérimentation militaire, la France n’est pas menacée, elle met son personnel militaire à la disposition de la recherche publique et très particulièrement au service de la physique nucléaire. La recherche publique française n’était pas aussi puissante que celle des Etats-Unis qui elle, pouvait s’intéresser de près aux hommes soumis au feu atomique. La « femme de l’irradié » tel qu’elle fut nommée par les médecins militaires à insidieusement découvert ce deuxième aspect, lorsqu’en septembre 2003 elle voulu connaître le « passé dosimétrique » de son défunt mari. On lui répondit « … Certains nombres de tâches réalisées au Centre Saharien d’Expérimentation militaire n’entraînaient aucun risque d’exposition aux rayonnements ionisants. Le personnel affecté à ces tâches ne faisait pas l’objet d’une surveillance dosimétrique individuelle. »

Parmi les nombreux bénéficiaires d’emplois dans le nucléaire il ne faut pas oublier les habitants d’un archipel des antipodes situé à deux jours d’avion de la métropole. Par rapport au cadre austère du désert et l’ambiance sévère du Centre de Recherche Saharien, à l’autre bout du monde sur les atolls des antipodes, le cadre est idyllique et l’ambiance plutôt bon enfant. Avant d’être le paradis touristique d’aujourd’hui, La Polynésie était une destination de rêve pour les chercheurs du CEA. Les Tahitiens étaient adorables et serviables, ils venaient en pirogue au Centre de Recherche du Pacifique, ils abandonnaient volontiers leurs pêches pour de « gros salaires » dans le nucléaire (6).

Les polynésiens découvraient le salariat dans le service public de « l’État Providence », mais ce qui leur paraissait un « gros salaire » n’était qu’une paye de misère, comme celle des actuels sous-traitants du nucléaire.

L’illustre général qui cherchait les rares « chercheurs qui trouvent » parmi les nombreux « chercheurs qui cherchent », les avait trouvé et la France allait pouvoir enfin faire des expériences « thermonucléaires »…

Comme aux États-Unis, en tant qu’anciens irradiés malgré eux les travailleurs des « tirs » sont en guerre contre leurs anciens employeurs. A la recherche de leur passé dosimétrique ils veulent comprendre leurs souffrances actuelles et se sont organisés en « Associations des vétérans des essais nucléaires »: l’Aven. Ce premier contingent de travailleurs n’appartient pas à la génération Plutonium de l’Homme, la garde prétorienne actuelle du nucléaire.

Fin Novembre 2011

(1) Le Monde le 12 07 2011 « Anne Lauvergeon va présider le conseil de surveillance de « Libération » »
http://lemonde.fr/…/anne-lauvergeon-va-presider-le-conseil-de-surveillance-de-liberation.html
(2) Le Monde 09 11 2011 « L’impossible chiffrage du coût de l’après nucléaire » http://lemonde.fr/…/impossible-chiffrage-du-cout-de-l-apres-nucleaire.html
« Mi-septembre, le ministère de l’industrie a (…) lancé le chiffre de 750 milliards d’euros pour évaluer le coût de la sortie du nucléaire en France. D’où vient-il ? D’une simple règle de trois, rendue possible en s’inspirant du cas de l’Allemagne. (…)
« Inquiet que cet « avertissement » du syndicat patronal ne suffise pas, Henri Proglio, PDG d’EDF, a déclaré, mercredi 9 novembre, dans un entretien au Parisien – Aujourd’hui en France, que sortir du nucléaire signifierait « mettre un million d’emplois en péril et nécessiterait d’investir 400 milliards d’euros pour remplacer les centrales ». »
(3) Jean-Marc Sérékian « La Course aux Énergies » Ed. Libertaire 2011 Chapitre 32
(4) Jean-Marc Sérékian « La Course aux Énergies » Ed. Libertaire 2011 Chapitre 12
(5) Jean-Philippe Desbordes « Atomic Park : à la recherche des victimes du nucléaire » 2e partie « La révoluttion nucléaire » Ch. 2 « La révolte des Atomic veterans » p.75 Acte Sud 2006
(6) Jean-Philippe Desbordes « Atomic Park : à la recherche des victimes du nucléaire » 3e partie « Essais nucléaire français : combien de victime ? » page 125

Crédit image: http://www.atelierdedenis.com/article-nucleaire-nippon-ni-mauvais-mais-a-peut-etre-pire-pub-areva-69300458.html

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