Contre-offensive Française et Lumière dans la Caverne

9e réflexion sur l’Après Fukushima, 2e partie


Les « epsilon » du « Meilleur des Mondes » nucléaire

Aujourd’hui les irradiés de l’Atomic Park ne sont plus des valeureux soldats innocents, œuvrant sans conscience au service de la Science. Ils constituent un lumpenproletariat anonyme et vagabond allant de centrale en centrale au gré des maintenances. Eux aussi en tant qu’irradiés de nécessité n’appartiennent pas à la génération Plutonium de l’Homme ou sujets alpha bêta du « Meilleur des Monde » (7). Ce sont les intermittents du nucléaire, autorisés à franchir les hautes barrières électrifiées et à pénétrer vers les cœurs des cathédrales atomiques. Ces « epsilon » du « Meilleur des Mondes » nucléaires forment en France une population de quelques dizaines de milliers d’individus « employés à la dose ». Ils doivent encaisser 80% de la charge radioactive pour préserver en bonne santé et pérenniser la génération Plutonium de l’Homme. Arrivés à la dose potentiellement cancérigène ils sont théoriquement radiés des listes. Mal payés et sans protection sociale, ces « nomades de l’atome » en provenance de toute l’ex-Europe de Est, assurent donc une noble action de type chamanique. Ils prennent sur eux toutes les « charges maléfiques» circulant dans les centrales et permettent aux sujets « Alpha » de parler en toute bonne conscience « d’énergie propre » à propos du nucléaire…

Il est en effet apparu très vite que pour assurer la pérennité de l’empire nucléaire les travailleurs maison, la garde prétorienne du temple atomique ou sujets « bêta gamma » ne pouvaient pas encaisser la totalité de la charge radioactive. Très vite s’est imposée la nécessité de recruter en masse cette main d’œuvre hautement renouvelable, sortes de chamanes vagabonds de l’atome, ces encaisseurs vecteurs de charges radioactives.

Indéniablement, et c’est une lapalissade à l’Age Atomique, l’atome est un gros, très gros employeur, encore plus gros employeur que le nouvel homme fort des chaudières nucléaires françaises. Et l’on n’a pas parlé des victimes internationales de la filière nucléaire notamment dans les mines d’Uranium d’Aréva (8).

Age du Cirque et Age Atomique

On pourrait aussi parler de l’autre grand créateur d’emplois du 20e siècle car de lui aussi il faut en sortir: L’Age du « Printemps Silencieux » (9) ou le « Scandale Français des Pesticides » (10); encore un désastre sanitaire et écologique massivement créateur d’emplois dans tous les secteurs et toutes les strates de la société. Ici il faut cependant signaler une chose fondamentale pour la compréhension de l’histoire de l’énergie et du pouvoir. L’agrochimie, l’agro-industrie et l’agro-alimentaire ont détruit des millions « d’emplois » dans l’agriculture pour les transférer sous contrôle centralisateur du pouvoir industriel. Comme il n’y avait pas à l’époque un aussi puissant et Saint Patronat que celui du nucléaire pour défendre « l’emploi » paysan sur les terres, des millions d’hommes et de femmes ont été chassés de leur vie sous le tsunami modernisateur du remembrement agricole. Ils ont pris le chemin de la ville et des usines. D’abord entassés dans les bidonvilles puis rangés dans les cages à lapin ils sont totalement passés sous le contrôle des industries. Après « l’holocauste  de la Première Guerre mondiale » (11) toute l’histoire contemporaine de la France Agricole au 20e siècle est celle d’une épuration ethnique planifiée, orchestrée et concertée par les technocrates nationaux et les eurocrates…

A la base de cette brutale transition sociologique et de la métamorphose économique complète de la population, il y a une énergie et son monopole, le Pétrole. Sans cette énergie utilisée comme arme créatrice de déserts agricoles et centralisatrice au service du pouvoir, un Monet ou un Van Gogh pourraient encore aujourd’hui représenter des champs de blés ou de coquelicots aujourd’hui.

Mais pour s’aérer un peu, sortir de l’atmosphère polluée de l’époque contemporaine et élargir un peu plus le champ d’analyse des Ages de l’Histoire, faisons un bond dans le temps pour montrer les relations très étroites entre: militarisme, désastre écologique et création d’emploi. Parlons encore une fois de l’industrie du divertissement dans la Rome Antique. Indéniablement les « Jeux du Cirque » ont été un des plus gros employeurs de tous les temps. Par le souci même de pousser le spectacle de la cruauté à son paroxysme et laisser libre dans sa dynamique esthétique, la torture spectaculaire s’est imposée sur plus d’un demi-millénaire comme le gros consommateur de main d’œuvre qualifiée de tout l’Empire. Car il fallait organiser de grandes et nombreuses expéditions zoologiques pour capturer par milliers des bêtes sauvages, les faire survivre en captivité, les mettre en scène dans les arènes, construire ces immenses monuments, mille et un métiers avec de nombreux emplois souvent hautement qualifiés, gravitaient autour du spectacle de la cruauté. Comme pour l’Age Atomique on peut parler pour la Rome Antique de « l’Age du Cirque ». Si des voix s’étaient élevées à cette grande époque pour faire cesser le massacre, on imagine facilement le discours économique et les arguments massues des élites des jeux du cirque.

Aucun empereur n’osa s’opposer au cirque, même ceux qui comme Marc Aurèle ne les appréciaient guère, étaient obligés de s’y plier et d’y assister. Pas même le changement de Religion d’État n’a songé à mettre un terme au crime organisé en spectacle pour la plèbe romaine. Les tueries du Colisée n’ont cessé qu’avec la chute de l’Empire.

Est-il encore possible, à notre époque sensée être éclairée par « Les Lumières » de l’Histoire de la Philosophie et de la Science, de faire l’hypothèse qu’une sortie volontaire du nucléaire puisse se mettre en place avant la catastrophe finale et l’effondrement de l’Empire de l’Age Atomique ?

Allégorie de la Caverne à l’Age Atomique

Nous ne parlerons pas en détail des autres chiffres de la contre offensive nucléaire français. Les mille milliards de dollars avancés comme coût financier de la sortie du nucléaire relève de la pure démagogie et n’a de résonance possible que dans le microcosme politicien national. Par rapport au coût humain, sanitaire et écologique des deux catastrophes nucléaires prévisibles sur 30 ans dans notre pays, le chiffre devient totalement ridicule. Et s’il faut payer la sortie comme une sorte de rançon de l’aventure nucléaire pour libérer 60 millions de français et 7 milliards d’humains, autant que ce soient les générations d’aujourd’hui qui assurent leur responsabilité plutôt que de laisser de multiples et colossales factures aux générations futures.

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Cependant, sur le chiffre précis de « 750 milliards » sorti de la calculette scientifique d’un sbire de l’Empire, au titre pompeux de « Haut Commissaire à l’Énergie Atomique », un commentaire s’impose: démanteler un réacteur coûte trois fois plus cher que le construire, invraisemblable! Mais l’on est dans l’exception culturelle du nucléaire. Ajouté à un temps de « déconstruction » dix à vingt fois plus long que celui de la construction on peut encore une fois mesurer tous les impensés de l’aventure nucléaire… Comme le Pr Pellerin avec son « nuage de Tchernobyl arrêté à la frontière », le « haut commissaire » a voulu bien faire, on peut dire qu’il aurait mieux fait de se taire… Puisqu’il révèle ce que les écologistes disent depuis longtemps: le gros de la facture nucléaire et la colossale charge des déchets sont laissés en héritage aux générations futures.

On peut aussi faire remarquer l’évolution des démarches démagogiques en situation de crise adoptées par les deux savants pour prêcher en faveur de leur chapelle nucléaire. En 1986, le Pr Pellerin mentait effrontément pour tranquilliser la population confrontée la menace cancérigène du nuage de Tchernobyl. En 2011 le Haut Commissaire révèle la vérité honteuse du nucléaire, la facture colossale léguée aux générations futures, il invite cette fois-ci par la peur en faveur du nucléaire, ses concitoyens à se complaire dans la politique de l’autruche…

La question plus fondamentale, qui semble préoccuper beaucoup de monde, y compris dans les rangs des partisans de la sortie du nucléaire, est celle de la génération Plutonium de l’Homme. La garde prétorienne des centrales s’inquiète de son devenir, l’esprit plombé au Plutonium l’empêche de voir la sortie du nucléaire comme sa propre libération. Elle s’accroche à l’atome et refuse son retour vers le monde des hommes libres.

Par chance pour l’analyse sociologique, Platon a déjà traité son cas dans La République par « l’Allégorie de la Caverne ».

Aussi savantes que soient les cathédrales nucléaires, aussi rationalistes, syndicalistes ou légitimistes que soient les revendications salariales, la question de la libération de l’homme est centrale dans la fin de l’Age Atomique. Cinquante ans de construction monumentale d’un mensonge au niveau international et cinquante ans de déni de la réalité humaine et écologique ont été révélés par Fukushima. Il est devenu possible d’y mettre volontairement un terme avant d’arriver à la catastrophe nucléaire finale.

Pour le cas de la Génération Plutonium de l’Homme, nous ne nous permettrons pas l’« interprétation sauvage », au sens psychanalytique, mais nous pouvons au moins l’inviter à ouvrir La République au Livre VII, afin de se voir et de se reconnaître, afin d’accepter leur libération pour un retour à la vie.

Cependant des signes pathognomoniques de fin d’Empire sont déjà perceptibles dans ses rangs. Au sein même des centrales le doute s’est installé, la souffrance morale mine de l’intérieur la garde prolétarienne, la génération Plutonium de l’Homme est atteinte dans son âme et conscience. Un de ses membres, chargé du contrôle de la maintenance, décrit l’état d’esprit qui se dégage de trois générations successives: « EDF essaie de donner une bonne image d’elle-même, mais les orientations de l’entreprise diffèrent de la conception que l’on se fait du travail, selon la loi de 1946 [statut du service public]. Les anciens disent « vivement la retraite », ceux de ma génération (quarante ans environ) se demandent « comment tout ça va se terminer, », et les jeunes se disent « vivement qu’on se tire ». Nous avons donc trois générations qui souffrent au quotidien de cette politique d’entreprise. (12) »

La Lumière a pénétré dans la caverne.

fin Novembre 2011

(7) Aldous Huxley « Le Meilleur des Mondes » 1931 Roman d’anticipation. Dans cet univers hautement industriel ou État Mondial, la hiérarchie des hommes sépare les classes supérieures « alpha et bêta », dirigeants et travailleurs intelligents des classes inférieures gamma delta, les epsilon sont tout en bas de la hiérarchie. La Planète a été totalement industrialisée et des souches sauvages de l’espèce humaine résiduelle ou peuples indigènes sont parqués derrière de hautes barrières électrifiées…
(8) Le Monde dim-lun 17-18 avril 2005 « La Malédiction d’Arlit » « Le Nord du Niger abrite depuis 40 ans de grandes mines d’uranium. Dans cette région très pauvre la polémique enfle sur les risque liés à la radioactivité »
Le Monde jeu. 7 octobre 2010 « Des soupçons de contamination autour du site d’exploitation [d’Aréva à Arlit] »
(9) Rachel Carson « Printemps silencieux » Ed. Plon 1962
(10) Fabrice Nicolino François Veillerette « Pesticide révélations sur un scandale français » Ed. Fayard 2006.
(11) Michel Gervais, Marcel Jollivet, Yves Tavernier, « Histoire de la France Rurale », Tome 4 « Fin de la France paysanne de 1914 à nos jours » Ed. du Seuil 1976.
(12) Jaccques Kreps, agent EDF chargé du contrôle de la maintenance cité par Jean-Philippe Desbordes « Atomic Park : à la recherche des victimes du nucléaire » 6e partie « Le talon d’Achille du nucléaire » chapitre 11 « L’envers du décor », page 327