Les « entre-deux »… mais surtout d’un côté

Lettre ouverte à ceux qui feignent le changement

Ils recherchent la convivialité que le système dans lequel ils vivent a détruite, tout en laissant intactes les causes de cette destruction. Ils ne combattent même pas les effets de cette société malade, non, ils se prémunissent de certains d’entre eux qui ont une incidence sur leur qualité de vie. Ils ne veulent pas des scories, ils les laissent pour les autres. Eux, ce sont les « entre-deux »: fruit d’un système qu’ils font durer tout en profitant des initiatives de ceux qui veulent le changer.

Ils veulent consommer, mais ils ne veulent pas de déchets. Les noirs feront l’affaire pour stocker nos vieux ordinateurs et toutes les autres crasses que le monde occidental engendre. Loin des yeux, loin des yeux.

Ils veulent rouler en voiture, mais ils souhaitent des lieux protégés, des espaces verts et de la biodiversité.

Ils veulent des espaces verts, mais pas sur « leur » place de parking.

De la publicité, mais pas sur leur façade.

Des prix bas, mais des salaires hauts… pour eux.

Pas trop d’immigration, ça maintient des salaires bas pour ceux qui remplissent leurs tâches domestiques.

Ils veulent de l’air pur mais pour rien au monde ne remettraient en question leur liberté de rouler en voiture.

Ils veulent le silence mais usent de tout ce qui fait du bruit pour l’autre.

Ils ne veulent pas qu’on les dérange, mais adoptent un mode de vie qui dérange les autres.

Pour d’autres choses, qu’ils ne veulent pas mais qu’ils doivent feindre de vouloir tant les refuser rendrait publique leur médiocrité et ferait montre de leurs plus vils intérêts, ils doivent faire usage de tous les prétextes possibles pour les rejeter, mêmes ceux d’apparence les plus nobles mais qui sont tout à fait contraires à leurs véritables valeurs.

Ainsi du développement du vélo et des infrastructures pour l’accompagner. Ils ne diront donc pas tout de suite leur opposition lorsqu’un projet de voiries projettera de les « amputer » d’une voie de circulation pour faire place au vélo. Non, bien évidemment! Ils invoqueront d’éventuels dangers, et même, dans un cynisme absolu dont ils n’ont sans doute pas conscience, le danger pour les cyclistes que représentent les… voitures; ils parleront des embouteillages plus importants; des coûts; … Mais toujours, derrière, il y aura cette volonté de ne rien changer.

Lire aussi :  Le « Peak Everything » (ou la fin des haricots)

Ils sont ces chiens de garde du système, mais plus dangereux que ceux qui disent explicitement qu’ils veulent continuer ainsi, car les premiers peuvent être adeptes des systèmes d’échanges locaux tout en favorisant la société marchande, manger bio sans pourfendre le mythe de la grande surface, trier leurs déchets mais faire des city trips en avion dans des capitales européennes.  Ces individus, les experts de la décontextualisation, ces fervents partisans de l’égalité dans le débat qui font mine de ne pas savoir qu’ils ont la réalité avec eux, vous diront toujours que vos propos sont de la propagande. Évidemment, pas besoin de propager les leurs, ils le sont déjà! Ils vous traiteront d’extrémiste. Ils le peuvent car leur extrémisme, le leur, est continuellement légitimé par la société dans laquelle ils vivent.

On peut en rigoler, mais la violence de leur résignation n’appelle pas les réactions les plus douces. D’ailleurs, ils prendront toujours votre énervement et votre hargne devant leurs propos comme prétexte pour ne pas changer. Ils ne veulent pas changer, et leur passivité active n’a d’égal que leur égoïsme.

Êtres mortels et passagers, ils « savent » pourtant certainement, quelque part, que la voie qu’ils empruntent est la mauvaise. Mais ils sont dans la caverne et n’ont jamais fait ce chemin qui conduit à la véritable connaissance, le chemin où l’on remet en question toutes nos dispositions intégrées, ce monde qui nous habite avant même qu’on ait pu nous-mêmes l’investir.

Devront-ils attendre les faits pour réaliser leur fourvoiement?

A.P

8 commentaires sur “Les « entre-deux »… mais surtout d’un côté

  1. frinux

    Malheureusement je pense que nous pouvons tous nous retrouver dans ta description, à des degrés divers.

    Il est bien facile de critiquer le mode de vie « schizophrène » que tu décris ici, il est autrement plus difficile de quitter notre confort. Et sans parler de confort, c’est quelquefois une nécessité.

    Oui je suis adepte des circuits courts, mais je vais aussi en supermarché pour acheter le reste (tout ne se trouve pas en AMAP).
    Oui je vais à vélo ou transport en commun à vélo, mais je prend aussi des vacances loin de chez moi en bagnole ou avion.
    Oui j’ai un bon salaire et je ne me plains pas, mais je ne refuse jamais une augmentation.
    Oui j’aime quand il n’y a pas de bruit, mais cela m’arrive de faire des fêtes chez moi et donc de provoquer du bruit.

    Je pense que nous sommes beaucoup dans cette situation, il faut surtout pointer du doigt ceux qui ne veulent perdre leur confort à aucun prix. Après, c’est surtout une histoire de concession et c’est toujours discutable.

  2. espritcritique.be

    @frinux

    Tu n’as pas tout à fait compris le sens de mon texte… évidemment que nous sommes tous dans la contradiction, c’est un fait indéniable et insurmontable totalement.

    J’évoque plutôt les bonimenteurs, ces « écolos » opportunistes qui tirent profit de ceux qui proposent des alternatives révolutionnaires.

    Je ne parle d’ailleurs pas de « ne plus aller en grande surface », ce qui est difficile dans nos sociétés qu’elles ont colonisées; Je parle de « pourfendre le mythe des grandes surfaces », ce qui est tout à fait différent.

    A.P

  3. frinux

    Je suis complètement d’accord avec toi. Ces gens n’ont rien compris. Ils ont un mérite quand même : grossir les rangs pour que certaines solutions deviennent viables, même si moralement ce n’est pas l’idéal.

  4. Corinne

    Bonjour
    Moi aussi quelque part un peu « nimbyste » mais je me soigne en réfléchissant à mes actes d’achats et en allant vers la décroissance
    Quand au green-washing on en mange du berceau au tombeau: maintenant on peut choisir un cercueil biodégradable,si si.
    La grande distri s’est engouffrée dans l’écologie et le bio,tout en continuant à s’implanter en périphérie des villes en bouffant espaces cultivés et zones naturelles avec le soutient des élus locaux,parce que soit disant ça développe l’emploi.
    D’un coté on densifie les centres villes(même les petites) sous prétexte d’économiser l’espace et d’un autre côté on continue à construire des centres commerciaux en périphérie (et les transports qui s’y rendent) sans jamais exiger des parkings en sous-sol ou à étage.
    On met les habitants en ville et les commerces hors la ville (ne nous voilons pas la face le commerce de proximité se meurt à cause de la concurrence de la grande distri )
    On met l’emploi en petite ceinture et les logements en grande ceinture,résultats 1h à 1h30 de transports en commun quand on à des horaires normaux ou bien la voiture et les embouteillages quand il n’y a pas de transports en commun.
    Quand est-ce que le bon sens sera enseigné à l’ENA ?
    Quand est-ce qu’on obligera les centres commerciaux à économiser l’espace?

  5. Nicolus

    Super article ! Ces « entre deux » réussissent à nous faire perdre un temps précieux : le temps du vrai changement. Mais je crois que le problème n’est pas de trouver des coupables car nous le sommes tous plus ou moins. Le problème est de rendre désirable le renoncement du superflu et la décroissance à une époque où nous avons encore – pour quelques années – le choix du gaspillage à l’occidentale. Même les « entre deux » finiront un jour par admettre trop tard que la décroissance est l’unique alternative aux conflits pour les matières premières et les ressources de base qui s’annonce.

  6. Jean-Marc

    C est le but de ce blog, et de plein d associations :

    Informer, pour que le plus de monde évoluent dans la bonne direction.

    (même si c’est à des fins médiatiques, lorsq’un président fait paris-bruxelle en train, au lieu du traditionnel avion, on peut se dire que les idées font leur chemin

    après, il s’agit d’un acte isolé, sans suite (même s’il le refait); alors que les aménagements de voirie [la construction oupas de pistes cyclables, ou d’une rocade de contournement, ou le rajout d’une voie sur une autoroute existante ou de notre dame des landes, ou la création de rues piétonnes ou…] auront bien plus d influence sur le long terme, dans la diminution ou l augmentation de la pollution et de la dépendance au pétrôle)

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