SNCF: la 3e Classe est de retour

C’est en 1956 que la SNCF décide d’abolir la 3e classe, jugée peu républicaine; en 1982, le gouvernement socialiste décide de rendre accessible la première classe du métro parisien pendant certaines heures, puis en 1991 elle disparût. En 1992, la nouvelle Charte des Transports Publics affirmait en ces termes, le droit au transport:

« Chaque usager doit être à même de bénéficier des prestations du service public sans se trouver en position d’infériorité en raison de sa condition sociale, de son handicap, de sa résidence ou de tout autre motif tenant à sa situation personnelle ou à celle du groupe social dont il fait partie« .

Aujourd’hui, la tarification des billets SNCF est à ce point exagérée, en décalage flagrant avec les nouvelles formes de pauvreté et de précarité – salariés pauvres, intérimaires, travail temps partiel, etc. -, qu’elle proscrit le droit au transport que chaque usager est susceptible d’attendre de ce service – encore à ce jour – public. Mais plutôt que d’envisager une refonte globale de la tarification et notamment « sociale » – c’est-à-dire une aide (gratuité, réduction, abonnement) – aujourd’hui obsolète, les élites de la SNCF – après avoir inventé la 1ere Classe Pro – ont élaboré un projet réintroduisant, sous une autre forme, une nouvelle classe spéciale, pudiquement nommée TGV low cost: en fait un TGV 3e classe.

Un projet qui porte atteinte, au plus haut niveau, aux notions d’égalité et de mixité sociale. Car il s’agit bien d’un projet parfaitement ségrégatif, une sorte de ghettoïsation de l’espace public mobile, dont la nature est de séparer: à chaque classe sociale, son TGV. Évidemment, le futur usager low cost, privé de nombreux services, sera soumis à une série de contraintes, faisant du voyage un parcours difficile voire laborieux et, malgré le label TGV, beaucoup beaucoup plus long. Le slogan « Prenez le temps d’aller vite » est, pour ce TGV 3e classe, caduque.

A moins que le gouvernement socialiste – qui hérite de ce dossier – ne mette un terme aux visions ségrégatives – mieux encore à la carrière – des dirigeants de ce grand service public… Et par la même occasion de ses filiales – dont A2C / Gares & Connexions / Arep – architectes des gares rénovées ou neuves, véritables condensateurs des dérives de l’urbanisme: marchandisation des espaces, ségrégation et exclusion…

Ce projet baptisé « Aspartam » reprend dans ses grandes lignes les caractéristiques du transport aérien low cost, adaptées pour une nouvelle offre de TGV low cost. Dans un document de travail confidentiel – mais présenté par de nombreux quotidiens – la SNCF précise se montrer « bienveillante et populaire, en proposant un niveau de qualité satisfaisant, et une gamme de prix transparente et accessible au plus grand nombre« . Pour cela, la SNCF va transformer, dans un premier temps, quatre de ses TGV Duplex, en en supprimant la 1ère classe, pour augmenter le nombre de passagers transportés à 630 places (+20%); de même que la voiture bar.

Les destinations choisies sont ciblées « loisirs » (pour éviter, selon le document, « de capter la clientèle professionnelle » qui, elle, continuera à voyager en TGV classique): ainsi, les trains Aspartam relieront Marseille et Montpellier à Lyon et Marne-la-Vallée. Le plan est basé sur 62 circulations hebdomadaires. Par exemple, Aspartam desservira, depuis Marne-la-Vallée, Marseille deux fois par jour, et Montpellier une fois par jour. Les changements pour le futur voyageur, en principe pauvre, sont importants:

– Pour éviter de saturer un peu plus la gare de Lyon à Paris et celle de La Part-Dieu à Lyon mais aussi pour éviter d’attirer la clientèle d’affaires, deux des quatre gares desservies seront situées en périphérie: Marne-la-Vallée qui permet d’accéder à Disneyland Paris et qui est reliée à Paris par la ligne A du RER ainsi que Lyon Saint-Exupéry, la gare du premier aéroport de Rhône-Alpes reliée à sa capitale par tramway.

Lire aussi :  Pouvoir vivre en ville sans voitures individuelles

– La vente (et le service après-vente) se fera exclusivement sur internet.

– Le prix sera fixe quelle que soit la période. Aucune indication de prix, si ce n’est qu’il est précisé que « le panier moyen sera inférieur à 25% à celui de TGV loisir ».

– Notre voyageur aura une place assise garantie, aucune surréservation ne sera autorisée.

– Mais il devra se présenter 45 minutes avant le départ, pour le contrôle des billets et de son unique bagage. Le quai sera fermé 5 minutes avant le départ (il s’agit autant de ne jamais retarder les trains que de pouvoir ensuite promouvoir le TGV classique dans lequel le passager peut monter jusqu’à 2 minutes avant le départ du train).

– Il n’y aura pas de restauration à bord.

– Le remboursement du billet sera impossible, les éventuels échanges seront payants.

– En cas de pépin, la prise en charge et le dédommagement seront « tels que définis par la réglementation européenne » (beaucoup moins généreuse que ne l’est aujourd’hui la SNCF).

Les cheminots seront également soumis à un régime fort différent:

– Leur rythme de travail sera retravaillé – et donc renégocié – « le modèle Aspartam étant porteur d’éléments pouvant favoriser la qualité de vie au travail« : les trains roulant toujours à la même heure, les mêmes jours, les emplois du temps seront fixes. Et les roulements seront organisés de façon à éviter les « découchés » qui coûtent très chers à la SNCF: les cheminots rentreront tous les soirs chez eux.

– Les cheminots travailleront, en alternance, des journées « longues » et des journées « courtes »: pendant les journées longues, quatre à huit d’entre eux contrôleront les billets, à l’entrée du quai, puis embarqueront dans le train. Pendant les journées courtes, ils n’effectueront que l’accueil en gare.

– Dans le train, la suppression de la voiture-bar permettra de transformer cet espace en salle de repos, qui permettra aux cheminots de faire des « coupures » et de poursuivre ensuite leur journée de travail.

– Il sera « ponctuellement » demandé aux cheminots d’aider les sociétés de nettoyage des rames, malgré la présence systématique à bord d’un « nettoyeur en circulation ».

– Leur rémunération sera située entre celle d’un cheminot travaillant dans un TER et celle d’un cheminot conduisant un TGV. C’est sur ces trois derniers points que les syndicats pourraient être particulièrement difficiles à convaincre.

Dans un entretien aux Echos en avril 2012, la directrice générale de SNCF Voyages Barbara Dalibard avait indiqué que la SNCF travaillait à l’élaboration d’un TGV low cost dans le cadre d’une « meilleure segmentation de (l’)offre, en examinant attentivement les besoins exprimés par les différents clients« . « Certaines personnes souhaitent encore plus de confort et de services, ce à quoi nous répondons entre autres avec l’offre Pro 1ère. D’autres demandent qu’on leur propose une activité durant le trajet, c’est le cas par exemple avec IDzap sur IDTGV« , avait-t-elle souligné.

Source: http://bellaciao.org/fr/spip.php?article128338

Image: Le Wagon de troisième classe par Honoré Daumier (1864)

13 commentaires sur “SNCF: la 3e Classe est de retour

  1. Guillaume

    Héhé, il faut s’attendre à un franc succès à Lyon s’ils ne desservent que la gare St-Exupéry (dont je ne connaissais même pas l’existence) : à 25€ l’aller-retour pour le tram qui y mène, les 25% gagnés risquent d’être souvent peu rentables.
    Si on prend en compte les 30 minutes de trajet supplémentaires auxquelles il faut ajouter à ce que je lis dans l’article un délai d’avance pour le train, ça rend la chose franchement peu attractive…

    Sinon, on écrit un slogan « caduc ».

  2. Le cycliste intraitable

    Est-il vraiment pertinent de « forcer » les voyageurs à prendre le TGV entre deux destinations ? C’est là une des plus grandes bêtises de la SNCF, qui s’imagine que tous les voyageurs sont pressés d’arriver à destination, ce qui est faux. Combien de fois, en bonne compagnie, ai-je regretté d’avoir fait Paris – Aix TGV en 2 h 55 seulement ?

    Si la SNCF veut faire du bas coût, qu’elle fasse remarcher les trains traditionnels sur les longues distances couvertes par les TGV. C’est ce qui se passe en Allemagne. On payerait moins cher pour un transport moins rapide, mais plus souple (bagages, emport de vélo…) et plus équitable, car desservant les villes moyennes shuntées par le TGV.

  3. xtoflyon5

    « Dire qu’il suffirait que les gens l’achètent pas pour que ça n’se vende plus » disait Coluche. Bref, la faute à la SNCF si les gens en veulent ?

    Je pense qu’il y a plus à dire sur la volonté de concurrence sans investissement et sur lignes rentables imposée à la SNCF (qui sera ensuite encore plus critiquée pour la fermeture de lignes non rentables), pour faire plaisir (comprendre « enrichir ») quelques opportunistes du business rapace et parasitique. D’ailleurs, mon petit doigt me dit qu’en éliminant ce problème ci et les morpions associés, on éliminerait au passage ce 3eme-classisation du TGV.

  4. xtoflyon5

    45 min d’avance + le déplacement à une gare « périphérique » (30 min), ils sont complètement malades ?! Rendez-nous nos trains corail !

  5. apanivore

    Pour aller de Paris à Marne-la-Vallée il faut 45 minutes de RER environ. En ajoutant tous les délais ça veut dire qu’il faut près de 4h pour relier les 2 centre-villes de Paris et Lyon.
    Alors qu’il y a des TER Bourgogne, beaucoup moins contraignants (pas de réservation) et prévisibles (prix fixes) qui font ce trajet en 5h. Bien qu’il y en ai 4 ou 5 par jour, ils sont quasi introuvables sur le site voyages-sncf.

  6. Lomoberet

    La SNCF essaye de rabattre tous les voyageurs possibles sur les TGV, si possible en faisant un grand détour par Paris et faisant un bon gros bénéfice.
    Pour des renseignements sur les TER en France, je conseille le site de la Deutsche Bahn (en français) qui donne TOUTES les liaison possibles en France et en Allemagne
    http://reiseauskunft.bahn.de/bin/query.exe/fn?
    Jamais déçu avec ce site.
    Par contre, pour les réservations et achat des billets, je me suis toujours contenté des guichets des gares (ils existent encore à peu près partout)

  7. Tassin

    La 3ème classe : c’est la première chose que j’ai pensé quand j’ai entendu parlé du TGV « low-cost »!

    On retourne en arrière à une de ces vitesses, c’est incroyable.

  8. tichit

    Bien d’accord… autant passer 2H de plus dans un vieux train que perdre son temps à rejoindre ces gares morbides…

  9. Florent

    Hum… ça dépend. Dans certains cas, les gares de Marne-La-Vallée, Massy et Roissy-CDG sont plus pratiques que les gares dans Paris Intramuros… Si vous allez de ou vers des destinations en banlieue, vous allez parfois plus vite pas ces 3 gares. Je ne sais pas pour le cas de Lyon St Exupéry.
    Parmi tout les points mentionnés, le seul qui personnellement, me dérange, c’est le fait de devoir arriver 45 min avant (comme pour l’Eurostar) surtout que franchement, 45 min pour contrôler juste les billets et aller à sa place sur le quai, c’est long…
    Après pour les conditions de travail des cheminots, tout n’est pas négatif (ex: le fait de pouvoir rentrer chez soi tous les soirs).
    Le reste, c’est du déjà existant (à part la limitation de bagage et l’absence de bar… qui est exorbitant, autant prévoir et apporter ce qu’on souhaite, c’est meilleurs et moins cher): les tarifs prems par exemple.

  10. Le cycliste intraitable

    Il y a déjà l’iDTGV, et son infâme version nocturne l’iDNight, qui permettent de voyager à moindre coût, dans des conditions de confort classiques voire améliorées (en mettant ceux qui veulent discuter ensemble), mais avec plein de petits désagréments sournois (max. 2 bagages / personne, accès non garanti moins de 5 minutes avant le départ…).

  11. apanivore

    En fait je ne vois pas le TGV low-cost comme une réapparition de la 3ème classe. La 3ème classe existe déjà, ce sont justement ces quelques TER longues distances qui subsistent comme le Paris-Lyon.

    L’arrivée en gares excentrées n’est pas forcément un problème, elle rabattra peut-être sur le train, des gens qui ne l’aurait pas pris sinon parce qu’aller jusqu’à la gare en ville est abominable. Je pense qu’il y a moyen de faire passer quelques seine-et-marnais de la voiture au train sur ce coup là !

    Le principal concurrent du train pour le transport longue distance de voyageurs c’est l’avion. Mais à mon sens pas l’automobile.
    Donc suivre le modèle économique des compagnies aériennes est logique. Je ne dis pas que c’est une bonne idée, je n’en sais rien, mais ça se défend.
    La SNCF n’a pas (plus) vocation à faire du social. Elle ne veut pas faire baisser les prix, elle veut avoir plus de clients et être rentable. Je ne m’inquiète pas, si ces TGV low-cost ne sont pas rentables, ils vont vite s’arrêter.

    Et c’est dans cette même optique de rentabilité que certaines lignes sont délaissées. On leur met des horaires improbables et on ne les affiche qu’en gare et après on va arguer que personne n’utilise ces trains, et donc qu’on peut fermer la ligne (d’après des amis grenoblois ça se passe pour la ligne Grenoble-Gap). Ça c’est une pratique bien plus grave.

    Sinon des TGV en plus, même à des conditions abracadabrantesques, tant qu’on ne m’aura pas prouver par A+B que ça met des voitures en plus sur les routes, ça ne me fait ni chaud ni froid.

    Plus anecdotiquement la limitation à 2 bagages ça ne me gênerait pas souvent (en fait c’est uniquement si j’ai mon vélo dans le train que ça me dérangerait). Je suis décroissant à tout point de vue, vive la décroissance des bagages !

  12. Tassin

    @ Apanivore :

    Dans le bouquin « La fracture ferroviaire » de Vincent Doumayrou (déjà intervenu sur ce site), c’est démontré par A+B que le TGV fout des bagnoles sur les routes mais pompe des parts de marchés aux vols court courrier (inférieurs à 1000km).

    Tout le reste du bouquin est excellent au demeurant. Tout ce qu’il faut pour argumenter face à des gens favorables au TGV au nom de l’écologie ou du toujours plus vite (souvent les 2 à la fois).

  13. Jean-Marc

    « et on ne les affiche qu’en gare et après on va arguer que personne n’utilise ces trains, et donc qu’on peut fermer la ligne (d’après des amis grenoblois ça se passe pour la ligne Grenoble-Gap). Ça c’est une pratique bien plus grave. »

    En fait, on fait encore mieux :
    remplacement des trains par des bus [véhicule moins sûr et plus polluant que le train (bien que mieux que la voiture)]
    ce qui prépare un désengagement total

    [remplacement des trains SNCF/payés par la SNCF, par des transporteurs locaux… pour qui on ne pourra pas acheter son ticket à la SNCF -> pour un paris gap en passant par grenoble, il faudra donc aller à grenoble (ou gap) acheter son grenoble-gap… (pas sûr que toutes les petites compa de bus de france ait un site internet, avec vente en ligne de billets… et de plus, qui connait sur quel site aller acheter le ticket des transport creusois, sur le triffouilllis les oies-perpettes les flots ?)

    « Ça c’est une pratique bien plus grave »
    c est exactement le même genre de pratique :
    recherche de la rentabilité et du « prestige » (TGV), avant la recherche du service public (maintien des lignes desservant le plus de localités) ou du service à la clientèle.

Les commentaires sont clos.