Vendredi noir

Vendredi noir

Vendredi 31 août 2012, le temps s’est mis à la fraîcheur, au vent et à la pluie. Je suis dans le train pour Charleroi. J’ai été tiré du lit par un appel de Karine. En pleurs et à grand peine, elle m’a annoncé la mort de sa nièce Emilie. La vie s’ouvrait devant cette jolie jeune fille fraîchement diplômée. Elle allait avoir 24 ans. Sa voiture s’est encastrée dans un camion à 4 heures du matin. Un mode de transport qu’on veut accessible à tout le monde l’a privée de son destin et a plongé ses proches dans la douleur.

Ces deux dernières années, deux accidents de la route auraient pu tourner aussi mal pour deux de mes sœurs et deux de mes nièces, ainsi que pour ma petite-nièce de deux ans. Sinistre pas de deux. Dans la même période, un autre accident de la route a laissé un de mes cousins défiguré et avec le poignet droit en compote. Quelques années plus tôt, mon meilleur ami perdait son fils âgé de vingt ans, écrasé sur le trottoir par un chauffard ivre.

Quelle absurdité. Quel gâchis. Ma tristesse est mêlée de colère contre notre propre bêtise, à nous humains qui nous imposons de tels risques alors même que nos exigences sécuritaires n’ont jamais été aussi élevées. Nous tremblons et protestons parce qu’une femme sous influence, condamnée pour sa participation à des rapts et des meurtres d’enfants, est libérée sous conditions, mais nous acceptons que tous les jours nos enfants soient exposés à la circulation automobile sur le chemin de l’école.

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D’aucuns diront qu’on ne peut qu’essayer de limiter les dégâts par l’amélioration des véhicules et de la sécurité. En somme, il faut adopter un comportement à risques, mais avec prudence. Mettre de la raison dans un mode de vie fondamentalement déraisonnable. Atteindre le ciel en ayant soin d’avoir son assurance-vie dans le portefeuille. Ces vies sacrifiées seraient donc le prix de la modernité, dont le paiement ne peut être évité. Car la modernité c’est le progrès, le progrès c’est la vitesse, et qui dit vitesse dit liberté. Liberté d’aller où nous voulons, quand nous voulons et peu importe pourquoi. Aller voir ailleurs. S’échapper. Fuir, et surtout se fuir. Nous fuyons toujours plus loin, toujours plus vite, nos vies toujours plus vides, par tous les moyens. Le conducteur du car accidenté en Suisse en mars dernier, transportant une classe d’enfants belges en vacances de neige, était sous anti-dépresseurs, autre échappatoire tellement banalisée qu’elle fait la fortune de l’industrie pharmaceutique. C’est le progrès, qui va tellement de soi qu’on ne se demande même plus à quoi il devrait servir. A mieux vivre ? Vraiment ?

3 commentaires sur “Vendredi noir

  1. allamezon

    Que ce que tu écris me rend triste…
    Quelle bêtise !
    Ton témoignage est tellement juste.
    Il n’y a rien à ajouter !

  2. Joshuadu34

    Cette navrante histoire se répète 4000 fois par an en France. Et c’est sans compter les 50 000 personnes non décédées qui garderont des séquelles d’un accident dont 3200 un handicap lourd…et encore, je ne parle pas des 360 000 accidentés de la route qui ne garderons pas de séquelles, même si leur état aura nécessité une intervention chirurgicale. A tiens, si, j’en parle…

  3. Legeographe

    Et le plus absurde dans tout ça, c’est qu’on peut même marcher sur un trottoir et perdre la vie, comme le fils de votre meilleur ami.
    Les piétons et les cyclistes, c’est un peu comme la catégorie des intouchables dans l’hindouisme. Hop, le trottoir était déjà trop luxueux pour toi ! Hop, tu n’avais que deux roues et même pas de moteur !

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