Polémique sur la fin de l’automobile

Diable, nous voilà embringués au cœur d’une polémique suite à la venue de Jean-Luc Mélenchon au Mondial de l’automobile pour « soutenir les travailleurs de l’automobile en lutte ». Petite mise au point.

Tout part d’un article de l’inénarrable Claude-Marie Vadrot dans le magazine Politis qui dénonce le productivisme de Jean-Luc Mélenchon. Selon l’écolo-motard Vadrot, en défendant les salariés de l’automobile, Mélenchon défend une industrie automobile à la dérive et devient même « l’allié objectif de l’Automobile Club de France et des lobbies de la voiture« . Bigre!

Le plus drôle, c’est que Claude-Marie Vadrot se présente comme une sorte de mélenchoniste déçu, un farouche partisan du Front de Gauche durant l’élection présidentielle de 2012, complétement « démystifié » par la « croisade politique (de Mélenchon) pour sauver les voitures« .

La réponse (du Parti de Gauche) n’a pas traîné et c’est Corinne Morel Darleux, secrétaire nationale à l’Ecologie du PG, qui a publié une « réplique à Claude-Marie Vadrot » sur son blog.

Elle accuse à son tour Claude-Marie Vadrot et son argumentaire se veut assez percutant: « critiquer ainsi ceux qui soutiennent les salariés, c’est se ranger du côté des actionnaires qui sont justement les vrais responsables de l’impasse productive et écologique actuelle de l’automobile« .

S’il est vrai que les actionnaires et les capitalistes au sens large ont eu tout intérêt à massifier les ventes de voitures pour le plus grand bien de leurs profits, il me semble que les automobilistes sont aussi un peu « responsables de l’impasse productive et écologique actuelle de l’automobile« .

Et parmi ces automobilistes, il y a… les salariés de l’automobile! N’oublions pas le concept initial du fordisme, produire des voitures que les ouvriers soient en mesure de pouvoir acheter.

Pour le reste, elle rappelle essentiellement les thèmes de campagne de Mélenchon, en particulier la planification écologique et l’idée selon laquelle il faudrait opérer une vaste reconversion de l’industrie automobile « sur des bases sociales et écologiques ».

Vous me direz, pourquoi Carfree France se trouverait embringué dans cette polémique? Tout simplement parce que Corinne Morel Darleur se sert d’un article de Carfree pour railler l’antibagnolisme supposé de Claude-Marie Vadrot.

En mars 2012, nous avions en effet publié un article intitulé « Claude-Marie Vadrot a raison de fermer sa gueule » pour critiquer le pseudo-écologisme d’un opposant à la voiture… qui est en fait un farouche partisan de la moto! Sous couvert d’écologie, le chroniqueur « écolo » de Politis apparaît en effet comme l’allié objectif du lobby des motards…

Alors qui a raison au bout du compte? A vrai dire, si on analyse les déclarations de Jean-Luc Mélenchon au Mondial de l’automobile, il semblerait bien que ce soit Corinne Morel Darleur qui vise juste. Selon Le Point, Mélenchon aurait déclaré: « dans l’automobile le défi est particulièrement important: nous savons que nous devons sortir de l’énergie carbonée et du pétrole et nous ne pourrons le faire sans inventivité. Ce sont les travailleurs qui ont ce savoir-faire« .

Cela colle plutôt bien avec l’idée de planification écologique et de reconversion de la filière. Donc, il apparaît bien une fois de plus que Claude-Marie Vadrot raconte vraiment n’importe quoi.

Sauf que tout ceci reste bien flou… Il faut « reconvertir » la filière sans trop dire clairement de quoi il s’agit. Faire des tramways? Des éoliennes? Des voitures électriques? On ne sait pas trop…

En outre, l’article publié par Corinne Morel Darleux n’est pas non plus sans contradictions. D’un certain point de vue, selon le Parti de Gauche, il faut arrêter de construire des voitures mais… les gens ont toujours besoin des voitures:

« Car on ne peut par ailleurs aujourd’hui nier l’utilité sociale et le besoin fonctionnel de la voiture ! Eh oui, hélas, dans nombre de nos zones rurales, on n’a juste pas le choix pour se déplacer, aller au boulot, faire les courses ou emmener les gamins à l’école. »

Sur ce coup, le Parti de Gauche semble atteindre la limite de son raisonnement. La voiture, c’est fini, il faut reconvertir l’industrie automobile, mais les gens ont encore besoin de la voiture…

Lire aussi :  Comment faire prendre conscience du massacre routier?

Ce « juste pas le choix », on le connaît bien sur Carfree France, c’est la réponse la plus fréquemment employée par les partisans inconditionnels de la voiture. Car une fois qu’on leur donne tous les arguments rationnels pour en finir avec la bagnole, la plupart des automobilistes acquiesce mais conclut « qu’on a juste pas le choix »…

Nous pensons au contraire que nous avons encore le choix, du moins pour l’instant, d’envisager une autre société que la société actuelle de l’automobile. C’est seulement si nous ne faisons pas les bons choix maintenant, que nous risquons de ne plus avoir le choix dans le futur.

L’horloge tourne, la fin du pétrole, le réchauffement climatique et la pollution généralisée feront sinon les choix pour nous. Et ça risque d’être particulièrement douloureux.

En fait, il semblerait que les salariés de l’automobile et le Parti de Gauche ne soient pas encore remis de la rupture historique du contrat moral fordiste. Aujourd’hui, l’industrie automobile ne souhaite pas spécialement vendre des voitures à ses salariés; en fait, elle ne souhaite même plus avoir de salariés du tout dans les pays développés!

Le parc automobile est saturé en occident, c’est un marché de renouvellement qui peine à se renouveler. Seuls les vieux ont encore les moyens d’acheter des voitures neuves. Les constructeurs ne s’y trompent pas en investissant, comme Renault, au Maroc. Mais l’avenir, c’est la Chine, l’Indonésie et l’Inde. Leur objectif est clair: que chaque chinois et chaque indien ait une voiture! Et ce ne seront pas des salariés français qui les produiront!

Un groupe comme Renault employait près de 250.000 salariés à la fin des années 70; aujourd’hui, c’est deux fois moins, tout en produisant près de deux fois plus de voitures par an! La robotisation est passée par là… Et pour ce qui n’est pas entièrement automatisable, autant employer des salariés dans les pays du Sud!

En fait, les quelques dizaines de milliers de salariés encore employés dans l’automobile en France le sont uniquement à des fins politiques, à coup de subventions et de soutien public de la filière depuis maintenant des années. Comme dans le cas de la sidérurgie des années 80, quand les politiques diront stop, les salariés de l’automobile n’auront plus que leurs yeux pour pleurer…

Et le pire dans tout ça, c’est que nous finançons avec nos impôts le maintien d’une filière dont le but est de pourrir la planète avec des milliards de voitures pour le plus grand profit des actionnaires et en se passant des salariés français.

Alors, ce « juste pas le choix » de » Corinne Morel Darleux, c’est en fait l’aliénation volontaire d’une armée de salariés qui travaille à sa propre perte.

Illustration : Lasserpe

10 commentaires sur “Polémique sur la fin de l’automobile

  1. kaeshiwasa

    A nous de nous retrousser les manches pour faire avancer le schmilblick où il à l’air de ne demander que ça !

  2. epicurien

    Si l’objectif des constructeurs est de vendre des voitures en asie parce que les européens ne les renouvellent qu’avec parcimonie, doit ont en conclure que leur objectif plus lointain est d’aller les vendre sur mars quand l’asie sera dans la situation européenne? 😉

  3. epicurien

    Je répondrai à CMD que plutôt que d’inventer la vie qui va avec la voiture (pour reprendre la pub twingo) à nous d’inventer la vie qui va sans, cette absence de choix est la conséquence de choix successifs qui ont aboutit à l’impasse actuelle (achat de voiture ,course en grande distribution, mort des commerces de proximité, endettement pour l’achat de la voiture et du pavillon loin du lieu de travail, nécessité de deux salaires, mutation du conjoint…) il fallait réfléchir au lieu de se laisser lobotomiser et emprisonner par la pub.

  4. Pekomoz

    Le problème du front de gauche, c’est surtout le parti communiste. Sur ces sujets, il existe de véritables contradictions au sein du front de gauche, d’où le discours un peu ambigu.
    Mais politiquement et dans la « démocratie » actuelle, cette alliance ne peut être qu’une bonne chose.

  5. gronobo

    Le fait est que l’on ne peut pas remplacer l’automobile en 6 mois, depuis 100 ans notre pays suis un modèle de développement géographique de pair avec l’automobile. Les solutions existent et elle sont multiples, mais s’ici à ce qu’elles soient misent en place je comprend que l’on souhaite garder la main d’oeuvre qualifié de PSA en action. Il me semble bien que JLM avait lancé une phrase su type « aujourd’hui ils fabrique des automobiles, demain avec les mêmes gestes ils feront des trams/ trains/ véhicules électriques ou je ne sais quoi. Quand au zone rurale très enclavées on peu imaginer un système d’autopartage pour se rendre à une gare. Bref je ne suis pas la pour donner mes solutions, mais je tenais à affirmer mon soutient au Front de Gauche qui tient pour moi le meilleur raisonnement par rapport à ce dilemme. Mes amitiés aux admins de ce site.

  6. kaeshiwasa

    Merci pour l’éclaircissement de Corinne. Dommage qu’elle ne soit pas aussi médiatisée que JLM.
    Est-ce qu’il ne manquerait pas un front de l’écologie plutôt qu’un front de gauche ?

Les commentaires sont clos.