« Reconstruction » ou Guerre aux Chaumières

Contribution à la critique de la notion « d’indépendance énergétique ». Troisième partie.

En introduction de cette réflexion on avait posément affirmé: l’énergie est l’essence de la « guerre totale ». L’espace et le temps vont s’unifier par l’énergie et le champ de bataille est partout. En France, au cours de la période d’après guerre qui a été nommée la « Reconstruction » il n’a jamais été question de reconstruire ce que la guerre avait détruit. Bien au contraire… On s’est très précisément fixé comme objectif premier de détruire au plus vite ce que la guerre n’avait pas pu détruire.

Les symptômes institutionnels de cette orientation politique sont nombreux. Le plus symbolique par son importance historique est la Création du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) en octobre 1945 par le Général de Gaulle. Dans un pays en ruine, peuplé d’affamés et de sans logis, la première préoccupation du Grand Libérateur fut de faire de la France un complexe militaro-industriel moderne de premier plan. A peine sorti de la guerre, le pouvoir en place ne veut pas prendre de retard dans la fabrication de la bombe.

La Reconstruction et les Trente Glorieuses sont habituellement considérées comme une période de prospérité et de progrès social ou d’État-providence. En réalité, elles ont été une phase nouvelle hautement conflictuelle. Avec la puissance de feu permise par le pétrole et l’idée fixe de « l’indépendance énergétique » on assiste à l’émergence politique d’un nouvel absolutisme, le centralisme étatique devient scientifique et technique. « L’État Providence » est contemporain de l’enrégimentement général des masses laborieuses dans l’activité économique industrielle. A la tête d’un peuple de fantassins travailleurs, de mécaniciens et de conducteurs d’engins, la nouvelle élite d’État lance son offensive de conquête technique du territoire.

L’euphémisme « aménagement du territoire » masquait une logique hautement conflictuelle des grandes manœuvres d’après guerre. Quels que soient ses axes de conquête, remembrement agricole ou construction du monde de la circulation automobile, dans ce processus paroxystique hautement énergétique de reconfiguration totale du territoire, il y a bien eu une véritable épuration ethnique en France. L’équation d’état de cette dépense colossale d’énergie est bien celle d’une métamorphose complète de la population.

Au cours de cette période dite des Trente Glorieuses, le pouvoir centralisateur a mécano-militari purgé les campagnes de sa population rurale. La Noblesse d’État a mené au pas de charge une deuxième guerre aux chaumières après la saignée massive de la « Grande Guerre ». Le territoire a été techniquement centralisé, l’agriculture paysanne quasiment anéantie. Le paroxysme énergétique pour aboutir à cette rupture sociologique et ce désastre écologique est venu de la ville et a été l’œuvre délibérée de la caste des technocrates. La dépendance massive de « La France » aux énergies fossiles date de cette époque, elle est d’abord choix arbitraire et manifestation compulsive de sa classe dirigeante.

L’illusion du progrès social est totale… Le peuple devient souverain en n’étant plus rien d’autre que la pure et simple création de son Léviathan technocratique tutélaire. Le processus de transmutation sociologique d’une violence extrême vu des campagnes est resté invisible de la ville dans l’ambiance euphorique de la « Reconstruction ». L’euphémisme d’exode rural censurait le rapport conflictuel de cette production industrielle d’une humanité « hors-sol » concentrée dans l’espace urbain.

Dans ce processus de phagocytose industrielle, le nouveau peuple est pris totalement en charge pour les besoins de son Léviathan. Instruit et discipliné par les exigences de la grande technique industrielle, il semble comme entrainé dans une dynamique irrésistible et heureuse « d’ascension sociale ».

Avec ce paroxysme énergétique rendu possible par le pétrole et les diverses maîtrises de l’énergie, la lutte des classes est abolie, la classe dirigeante modèle le monde, étaye la hiérarchie sociale et produit sa basse de masse selon ses exigences propres. Pour la première fois dans l’histoire la classe dominante est capable de créer de toute pièce son propre peuple et sa large base de masse politique, d’heureux petits bourgeois gentilshommes ou d’automobilistes téléspectateurs.

Cette production industrielle d’une hiérarchie sociale avec une croissance rapide de la classe moyenne arbitrairement organisée par la classe dirigeante est devenue l’un des phénomènes les plus spectaculaires de la seconde moitié du 20e siècle. Il s’est produit au cours des décennies d’après guerre en Europe occidentale et a débuté vers la fin du 20e siècle dans les pays dits « émergents ». Comme pour l’exode rural, l’euphémisme « émergent » masque la dimension éminemment conflictuelle du processus: la guerre aux chaumières et aux peuples indigènes au Brésil, en Chine et en Inde, le paroxysme énergétique dans la construction de la mégalopole et le déluge dévastateur sur l’ensemble des écosystèmes.

Origine technocratique du Réchauffement climatique.

Dans son « Tour de France d’un écologiste » Fabrice Nicolino tente de donner quelques images fortes et suffisamment parlantes pour faire comprendre l’ampleur historique du saccage des paysages. Il veut révéler et inscrire profondément dans les mémoires l’œuvre désastreuse des « Trente Glorieuses ». On découvre dans son enquête l’état d’esprit guerrier dominant dans la caste des technocrates. Dans la période dite d’après guerre, c’est une autre guerre de conquête territoriale qui commence avec son état major et ses pleins pouvoirs. Si de la ville il est économiquement permis de parler de « Trente Glorieuses », dans les campagnes le terme de « Guerre de Trente Ans » serait plus approprié. Pour lancer un déluge énergétique épurateur des paysages sur l’ensemble du territoire national, l’esprit et l’organisation militaire s’imposaient.

Quand on parle de « Noblesse d’État » pour décrire et désigner cette caste de technocrates, il ne faut surtout pas oublier sa mission militaire première sur la centralisation du territoire. Il n’y a pas que les aspects sociologiques et économiques intervenant dans sa reproduction et dans sa transmission héréditaire du pouvoir. A la consanguinité intellectuelle décrite par Pierre Bourdieu, il faut ajouter l’aspect conflictuel, la mission militaire de la « noblesse »: la guerre de conquête pour un contrôle technique total du territoire.

Que dit Fabrice Nicolino dans sa rétrospective écologique des « Trente Glorieuses »: « De 1950 à nos jours [fin du 20e siècle], près de 200.000 kilomètres, soit 5 fois le tour du globe! de talus boisés et de haies ont été arrachés. La terre seule ne peu plus retenir les eaux, elles-mêmes surchargées de diverse chimie qu’elles entraînent par ruissellement jusque dans l’océan. Remembrer, maître mot, grand désastre. On ne dira pas ici la guerre qui se livra pendant des décennies, en Bretagne ou ailleurs. On n’évoquera pas les suicides, les rages, les désespoirs. Il fallait. Les petits bouts de terre dispersés aux quatre coins d’un village, les bocages, les arbres au milieu des champs, tout cela gênait le passage des engins, le triomphe mécanique du « progrès ». L’action eut lieu sans état d’âme, et au pas de charge: fin 1990, 14 millions d’hectares avaient été remembrés en France, soit le quart de la superficie totale du territoire.  Ce qui veut dire des milliers de ruisseaux « recalibrés », d’innombrables routes et chemins d’accès créés, de colossaux travaux d’hydraulique, de drainage et d’assèchement de zones humides. Tout cela n’est pas gratuit. L’une des grandes perversités de ce dossier tient en ceci: les fonctionnaires chargés du programme de remembrement, et surtout des juteux travaux connexes qu’ils entraînèrent, étaient personnellement intéressés à l’affaire. Les ingénieurs des Directions Départementales de l’Agriculture, le plus légalement du monde, touchaient un pourcentage coquet sur le volume des travaux entrepris. Une rivière éventrée: prime. Un système d’irrigation mis en place: prime. Un marais drainé: prime… » (p. 186) L’autre grande perversité de ce déluge technocratique et paroxysme énergétique pour conquérir le territoire est qu’il libérait vers l’atmosphère des masses astronomiques de CO2 jusque là piégé dans la terre et le couvert végétal.

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Pour le réseau autoroutier, l’autre grande et brutale conquête technique du territoire défigurant à jamais le paysage, Fabrice Nicolino a qualifié ces héros nationaux « d’aménageurs massacreurs ». Là aussi règne l’arbitraire le plus total et les opérations sont menées au pas de charge. « De 10 kilomètres en 1960, le réseau autoroutier est passé à 1000 en 1970, 6000 en 1990 et atteindra 12.000 dans 15 ans si les citoyens français acceptent ce radical bouleversement du paysage. Non seulement ils n’auront pas été consultés directement, mais le Parlement lui-même n’aura pas une fois été appelé à voter. Les décisions étaient prises par des cercles extrêmement restreints de hauts fonctionnaires, baignant dans une culture technicienne qui ne les a en rien préparés au choc de l’écologie« . (p.294)

Inutile de continuer sur ces deux désastres écologiques et sociologiques, Le tour de France d’un écologiste dresse un tableau accablant. Seuil 1993.

Le saccage des paysages et des terres arables continue encore aujourd’hui. Dans de pharaoniques contrats en PPP (Partenariats Public-Privé) se chiffrant en milliard d’euros, les nouveaux grands chantiers sont confiés désormais aux transnationales du BTP. Ces mastodontes investis de la charge d’aménager le territoire ont pris le relais de l’ancienne « Noblesse d’État » et construisent leur propre empire technique. Par ces concessions industrielles et commerciales d’exploitation territoriale sans plus aucune utilité sociale, ils perpétuent l’œuvre dévastatrice des Trente Glorieuse… Les « grands chantiers inutiles »: réseaux autoroutiers et lignes TGV privatisées, lignes à très haute tension, ont été relancés et éco-labélisés par le Grenelle de l’environnement…

Pour la France, grand pays obsédé depuis bientôt un siècle par son indépendance énergétique, les choses sont claires et les responsabilités aussi. En ce qui concerne les origines politiques des émissions de gaz à effet de serre, il faut citer en premier l’arbitraire de la Noblesse d’État.

La gabegie énergétique du demi-siècle d’après guerre était délibérée car elle était la condition première de la victoire. Lorsqu’au début des années 1970 cette victoire est définitivement assurée, la caste dirigeante triomphante annonce la survenue d’un choc pétrolier et l’urgence d’une politique « d’indépendance énergétique ».

« L’Arme du Pétrole » contre la France.

Ce que dit très clairement Fabrice Nicolino dans les divers tableaux de son « Tour de France d’un écologique« , c’est que l’aménagement dévastateur du territoire, le déluge dans le monde rural n’a correspondu à aucune demande sociale. Les « élus du peuple »  interchangeables n’étaient pas forcement consultés. Au mieux ils servaient de décorum démocratique au désastre écologique et au pire ils pouvaient être activement complices comme encore aujourd’hui dans les urbanisations intensives en zones inondables et d’une manière générale dans les GPII comme l’aéroport de Notre Dame des Landes.

Exprimer ce déluge historique de manière résumée en terme énergétique, cela donne ceci: à l’époque juste antérieure au premier choc pétrolier, l’« arme politique du pétrole » n’était pas utilisée par les arabes contre la France, mais massivement employée par la « Noblesse d’État » contre la France rurale et les paysages de France. Par la suite, une fois la victoire acquise sur les campagnes, la dépendance massive de la nouvelle agriculture aux produits pétroliers, œuvre des « aménageurs massacreurs », assurait aussi la pérennité de leur autorité économique centralisée. Ainsi, avec l’arme du pétrole, les technocrates et les eurocrates ont fondé une nouvelle féodalité « hors sol » sur les travaux des champs de la nouvelle France rurale.

La dimension conflictuelle de cette époque de la « Reconstruction destructrice » et des « Trente Glorieuses » a été totalement occultée non seulement par la propagande officielle mais aussi de manière intrinsèque par l’asymétrie extrême des forces en présence. L’« arme politique du pétrole » monopolisé concentrée aux mains de la Noblesse d’État était d’une redoutable efficacité technique. L’épuration ethnique terminale des campagnes n’apparaissait que sous l’aspect d’un nettoyage de nécessité, certes douloureux mais hautement nécessaire au développement d’une agriculture moderne, supposée seule capable d’une véritable indépendance alimentaire nationale.

Dans cette bataille historique reconfigurant le territoire, seule était identifiable la volonté farouche de la Noblesse d’État. Le peuple des campagnes était déménagé sans ménagement et disparaissait dans le même temps que les paysages s’épuraient. L‘ »arme politique du pétrole » utilisé en France par la Noblesse d’État, outre ses conséquences écologiques, environnementales et sanitaires désastreuse a aussi été responsable par la transmutation sociologique recherchée de la dépendance de la France au pétrole.

Lorsqu’en 1973 éclatait dans l’espace médiatique le 1er choc pétrolier, tous les chevaux qui peuplaient le monde rural étaient partis à l’abattoir. Les réfugiés ruraux du paroxysme pétrolier étaient rationnellement rangés dans des « cages à lapin »… Tandis que le peuple souverain des automobilistes téléspectateurs organisé en d’interminables processions cadencées s’immobilisait à heure régulière en embouteillage unanime…

Si « l’arme politique du pétrole » mise entre les mains de l’OPEP a été un grand mythe journalistique de la fin du siècle dernier pour servir une propagande intérieure de type nationaliste dans les pays industrialisés, « l’arme réelle (matérielle et non symbolique) du pétrole » reste aujourd’hui encore massivement employée dans les Grands Projets Inutiles Imposés (GPII) par les Transnationales dans leur concession territoriale. Le « paysage politique » s’est quelque peu modifié, par pantouflage la « Noblesse d’État » s’est métamorphosée pour passer le flambeau de la guerre aux chaumières aux transnationales.

Par cette arme, de nouveaux empires privés se construisent sur le territoire. A Notre Dame des Landes, c’est la guerre, on est au centre de l’empire autoroutier Vinci. La transnationale veut construire un aéroport international. Ce géant du BTP en a les moyens, il détient toutes les armes nécessaires pour faire parler le pétrole avec en particulier dans sa poche l’État providence des banques et du BTP. Quel que soit sa couleur politique, son décorum médiatique, il se charge des sales besognes: réduire par la violence les dernières poches de résistance. L’État providence de la finance et du BTP, c’est donner le monopole de la parole au pétrole.

A suivre.

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