La Station-Théâtre: un lieu contre l’arrachement de la langue par la vitesse et le trafic

La Station-Théâtre est aménagée dans un ancien garage de mécanique agricole qui fut construit en 1947 à l’entrée du bourg de La Mézière sur la route de Rennes à Saint-Malo. Les années 50 voient le début du développement de l’automobile au détriment des transports en commun.

Cela se traduit localement par la suppression du train à voie étroite qui reliait Rennes à Saint Malo d’une part et à Dinan d’autre part et dont la gare d’aiguillage se trouvait à quelques mètres du garage.

L’activité de Mr Richard, le mécanicien, s’oriente alors vers les réparations d’automobiles individuelles. Il est réputé notamment des propriétaires de citroën DS qui lui confient la réparation de leurs véhicules sur la route de leurs vacances vers la côte. L’activité s’est doublée d’une station-service et bientôt d’un atelier de carrosserie et de peinture.

Au rythme des marées noires, de la pollution atmosphérique, des guerres du pétrole et de la dégradation du cadre de vie par la vitesse et l’artificialisation galopante des terres, le trafic routier s’accroît, la voiture se démocratise et Pompidou, par ailleurs auteur d’une célèbre anthologie de poésie française, lance les grands travaux d’un réseau autoroutier où se ruent les moteurs.

Pendant ce temps, au garage de Beauséjour, la famille Richard, qui vit sur place, fait le vide des locaux deux à trois fois par an pour accueillir les représentations de la troupe de théâtre du patronage. Dans toute la France, comme à La Mézière, poésie, théâtre et bagnoles font bon ménage.

Dans les années 90 le conseil général d’Ille-et-Vilaine décide d’accélérer la construction des quatre voies, ces autoroutes qui ne disent pas leur nom, de sorte qu’aucune habitation du département n’en soit désormais à moins de 10 minutes en voiture. La construction de l’une d’entre elles entre Rennes et Saint Malo capte le flot d’automobiles qui circulaient devant le garage de Mr Richard.

L’activité de la station-service faiblit alors et la fracturation d’une des cuves au cours d’une livraison de gaz-oil y met un terme avec pour conséquence une pollution de la nappe phréatique et le gâchis de sa purge par pompage pendant cinq ans.

A la fin des années 90, après plusieurs changement de propriétaires, le garage ferme. Le directeur de la compagnie de théâtre de rue Arpion Céleste rachète alors le bâtiment pour y vivre avec sa famille, y répéter ses spectacles et accueillir ceux d’autres compagnies. Cependant, la croissance automobile ne s’arrête pas. En Ille-et-Vilaine comme ailleurs, les pouvoirs publics, quelque soit leur étiquette politique continuent de la financer.

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Le trafic et la vitesse étant favorisés par des aménagements de plus en plus coûteux et destructeurs de l’environnement, les lieux d’habitation s’éloignent des lieux de travail et les collectivités s’endettent. La population du bourg de La Mézière, situé en seconde périphérie du bassin d’emploi, double presque en quinze ans. Des complexes commerciaux, dont les aménageurs chantent les vertus d’avenir, surgissent en pleine campagne, avec leurs théories de hangars basse consommation, leurs noeuds routiers inextricables et leurs ronds points infranchissables pour les piétons et les cyclistes pénalisés par des contournements obligatoires et des priorités aux véhicules les plus agressifs.

Rendu au silence durant quelques années, le carrefour où se situe l’ancien garage se voit désormais pris d’assaut par plus de 400 véhicules à l’heure en heure de pointe. Il devient difficile dans ces conditions de faire entendre la parole du théâtre de rue, à moins de céder encore et toujours à la dictature de l’image, immédiatement saisissable au milieu du trafic comme peut l’être la publicité, au détriment de la langue qui a besoin de silence et de lenteur pour prendre son essor.

Le directeur de la compagnie Arpion Céleste et sa compagne, après avoir éprouvé les vertus de la lenteur et de la méditation en traversant l’Europe à pied du seuil de l’ancien garage jusqu’en Roumanie, décident alors à leur retour de ce voyage, de construire un refuge pour la langue en aménageant dans l’ancien garage, à l’endroit où se trouvait la fosse et la cabine de peinture, un petit théâtre de 49 places et de consacrer dans leur programmation des spectacles la rupture de la poésie d’avec le génie illusoire du progrès technologique et de la croissance économique.

Ainsi naît la Station-Théâtre où l’on cultive aussi désormais un potager dans la terre qui recouvre les anciennes citernes d’essence.

http://stationtheatre.canalblog.com/archives/2009/03/20/13056949.html

2 commentaires sur “La Station-Théâtre: un lieu contre l’arrachement de la langue par la vitesse et le trafic

  1. Laurent

    Quand on voit comment la langue est écorchée sur les autoroutes de l’information , oui on peut parler d’arrachement de la langue par la vitesse et le trafic.

  2. jacques dutheil

    Tous mes encouragements à la petite troupe. Y a-t-il moyen de remplir des bus pour faire venir les habitants non motorisés des ZUS et grands ensembles rennais également relégués de la culture? si les associations ou le CCAS pouvaient se bouger des actions intéressantes pourraient prendre tournure…

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