L’automobile moins attractive, moins symbolique: est-ce réellement une menace?

Une étude commandée par l’assureur Allianz souligne la perte d’attractivité symbolique de l’automobile. Un bon signe pour l’avenir ?

Pas du tout, selon Allianz, qui s’inquiète de la tendance de fond se dégageant de l’étude. Tout d’abord, la responsabilité sociale et environnementale gagne les automobilistes, qui privilégient donc des modèles plus raisonnables et moins attrayants, si on lit entre les lignes du résumé. Ces schémas ne serait-ils pas (aussi) dans l’intérêt sinon des assureurs, du moins de l’industrie automobile ?

Les motifs d’inquiétudes se précisent dans la suite de l’article d’Auto-Addict : il s’agit de rien de moins que les défauts du tout automobile, à commencer par la congestion. Allianz dénonce les politiques urbaines laissant moins de place à l’automobile, à travers les trottoirs élargis, les suppressions de places de parking…

Une analyse qui manque cruellement de partialité : il suffit de voir ce que deviennent les villes et territoires qui ont déroulé le tapis rouge aux bagnoles (autoroutes, rocades, grands axes de circulations, activité économique autour du « tout automobile »). Ces villes sont embourbées dans la pollution, les nuisances sonores, la destruction du paysage par le bétonnage sauvage et – oh surprise ! – les bouchons !

Quand on incite les automobilistes à prendre leur bagnole, ils ne se font pas prier ! Ces aménagements ne sont pas spécialement faits pour embêter les automobilistes, ils visent surtout à réparer en partie ses dégâts : restauration d’un climat favorable aux piétons et donc d’un espace urbain partagé, création de cadres de vie agréables, retour du végétal en centre ville, « déghettoïsation » par un meilleur sentiment de sécurité….

Autre point relevant des forces publiques, les taxes à l’achat et l’usage de l’automobile. Mais de qui se paient-ils la tête ? L’automobile et le transport routier en général sont les champions en matière de non paiement des externalités négatives qu’ils induisent.

Les tentatives de récupérer de l’argent sur ces usages paraissent bien dérisoires au regard des inconvénients engendrés par ce mode de transport. Heureusement pour nous, certains coûts (permis de conduire, achat, usage et entretien du véhicule), qui rebutent de plus en plus les jeunes automobilistes (à moins qu’ils préfèrent s’affirmer autrement…)

Plus drôle : « [cette taxation]  a rendu presque compétitives des solutions de locomotion qui jusque-là ne l’étaient pas. Les autres solutions étant la palette des modes doux et des transports en commun, pourquoi ne pas admettre que l’on met fin à la tricherie de l’automobile de ce point de vue là ? Et serait-ce à ce point non souhaitable de voir de telles solutions se généraliser ?

Lire aussi :  La crise automobile est structurelle

L’étude s’inquiète également de l’autopartage, qui vise à réduire virtuellement le parc automobile urbain et le recours à un véhicule secondaire pour les foyers, voire renoncer au véhicule principal dans le meilleur des cas, remettant l’automobile à sa place d’outil, et non plus de finalité, tout en apportant une solution collaborative appréciable.

Autre solution « tiède », le recours à l’achat en ligne, qui ne peut lutter face au marché du centre ville, obtient aussi des résultats intéressants de réductions des émissions de CO2 face aux courses mensuelles à l’hypermarché.

À vrai dire, Allianz ne commente pas le point du vue social ou environnemental (sinon le rapport aurait fini à la poubelle avant que l’on puisse envisager de le publier), mais le point de vue industriel, et c’est là que se fait sentir la proximité (géographique du moins) de son siège social avec celui de BMW. L’étude comme l’auteur de l’article s’inquiètent des conséquences de ce désintérêt naissant. L’industrie automobile serait menacée, et avec elle des centaines de milliers d’emplois. Et Jacques Chevaliers de rajouter, par rapport à ces chômeurs potentiels, que « ni la SNCF ni la RATP, si largement subventionnées et qui prétendent volontiers se substituer à l’automobile, ne pourront leur offrir des emplois ».

Oublions l’empreinte de mauvaise foi de la conclusion de l’article. Faut-il maintenir toute une filière destructrice de la société et de la planète juste pour éviter de mettre des milliers de personnes au chômage ? Reporterre nous rappelait il y a peu que le monde produit déjà plus de véhicules que de pétrole pour les faire rouler. Entre ces deux extrêmes, d’autres solutions existent, il ne faut pas confondre difficultés conjoncturelles et structurelles. Le tout automobile n’est pas viable, ce n’est pas une révélation. Mais comme il a dessiné nos sociétés, les solutions ne seront pas à la marge, et à ce niveau, le chantage à l’emploi n’a pas sa place. Ne perdons pas de vue non plus le fait que de telles perspectives de sociétés plus sobres sont pleines d’opportunités.

Lire aussi http://carfree.fr/index.php/2010/09/24/la-voiture-un-objet-symbole/

3 commentaires sur “L’automobile moins attractive, moins symbolique: est-ce réellement une menace?

  1. Jean-Marc

    Article intéressant,

    juste un point particulier que je tiens à détailler :

    « Autre solution « tiède », le recours à l’achat en ligne, qui ne peut lutter face au marché du centre ville, obtient aussi des résultats intéressants de réductions des émissions de CO2 face aux courses mensuelles à l’hypermarché. « 

    J’ai bien vu les guillements autour du « tiède »,
    ainsi que le « qui ne peut lutter face au [..] centre-ville »,
    mais je tiens à préciser :

    En fait, se faire livrer en 24h chrono grâce à une commande sur internet, c est s assurer une livraison uniquement par la route, par une compa de messagerie rapide (UPS, sernam (coté camion), ou autre Express« #département » ).

    Avec une livraison en 72h, ou, mieux, une livraison en 72h à 15 jours dans un centre local (hypermarché… ou supérette), on a une livraison +/- optimisée, qui PEUT (même si ce n est quasi jamais le cas…) passer par le train ou le fluvial.

    Mais, au minimum, une livraison est faite pour autre chose que notre seul colis.

    La livraison à domicile rajoute des derniers kilomètres fait par les livreurs, la tournée de distribution :
    ce que le particulier gagne en n allant pas à l hyper, et +/- gaspillé par les transporteurs.

    La solution ? aller à pied, à vélo ou en TEC chez la petite boutique du coin (boutique info, boulanger, boucher, épicier, vendeur d habit, de biens culturels ou autres produits) pour y faire sa commande puis pour y retirer sa commande.

    Cette petite boutique se fait livrer en camion, sans doute, mais pas que notre colis : chaque kilomètre est partagé sur de nombreux colis.

    (quand le produit (par ex, un timbre ou une clé USB) est livré dans une simple enveloppe, livré par le facteur, alors il n’y a pas de kilomètre supplémentaire… mais celà ne concerne qu’une minorité des produits achetés par internet)

    Allianz est un assureur…

    hors, il existe (en france) 2 assurances obligatoires représentant la majorité de leur CA et de leur bénéfice :

    le logement, et la voiture (et qq autres véhicules rapportant énormément moins, comme la moto, les 50cc).

    Donc, voir un de ses 2 centre de profil menacé nécessite une réponse à la hauteur.

    Ils ont le choix entre se transformer, évoluer (par ex, en devenant une banque-assurance de soutien à certains projets actuellement mal financés), ou s arque-bouter, pour défendre leur pré carré menacé.

    Ils ont choisi la même méthode que l industrie du disque, de la video ou des licenses informatiques avant eux…

    Ne surtout pas s adapter au monde qui change semble être une belle constance de bcp de grosses entreprises.

    Moins celà marche, plus il faut faire de pub et de lobbyisme pour espérer gagner autant qu’avant l’évolution de la situation… plus il faut s enfermer dans sa tour aux murs borgnes…

  2. jacques dutheil

    Je renvoie à mon papier «Bruit statistique ou indice d’une modification profonde des représentations et des modes de vie? »

    http://carfree.fr/index.php/2013/05/29/bruit-statistique-ou-indice-d%E2%80%99une-modification-profonde-des-representations-et-des-modes-de-vie/#more-20209

    Qui traite des pratiques de mobilité automobile en baisse en zone OCDE, sans qu’en soient à coup sûr connues les causes. La note de travail en anglais :http://www.internationaltransportforum.org/jtrc/DiscussionPapers/DP201309.pdf

    Et la note de lecture que j’ai rédigée : http://www.fichier-pdf.fr/2013/05/27/note-lecture-anglais-enregistre-automatiquement/

    On subodore quand même – noyé dans les questions économiques, démographiques et mercatiques – un changement dans les constructions cognitives, avec un objet symbolique commençant à vaciller sur sa base, malmené qu’il est par vagues périodiques, sans qu’il soit raisonnablement possible de le voir bientôt déboulonné…

    Histoire de temps ? Travail de sape aidant avec – hélas, ouvrons les paris sur nos déboires futurs – la succession attendue des futurs rapports du GIEC accablants à cause de décisions toujours différées, pire encore une augmentation programmée d’émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre par diffusion du mode de vie occidental, avec pour certains Etats, dont la France, une forte contribution des transports routiers individuels et de marchandises ?

    Ou peut on chercher une explication dans la fin définitive du « fordisme communicationnel », c’est-à-dire dans l’émergence d’une minorité, à effectifs à croissance exponentielle, qui refuse de penser de la façon que prétendent imposer les manipulateurs de symboles, plus assez véloces désormais pour coller à l’hyper individualité « hyper moderne », « post post moderne » pour continuer une certaine époque ?

    Les anti pubs, les réseaux vraiment sociaux, les décroissants, les slow partisans, les anti machistes et autres anti–tout–ce–qui–laisse–croire–que–tout–change–en–cosmétisant–le–plus–grand–conservatisme/conformisme, Carfree elle-même… : autant de catégories assez consistantes, visibles et agissantes désormais qui pourraient être à l’origine d’une contre idéologie, évidemment difficilement prédictible, en contenu comme en ampleur ou en récupération…

    Pour rester praxéologique, c’est-à-dire penser au prix des nouilles et des carottes suivant l’injonction du docteur Destouches, rien qu’en France c’est, d’après l’INSEE

    http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=nattef12104

    près de 380.000 salariés qui travaillaient en 2011 pour le secteur automobile, hors construction : c’est-à-dire moins de 1.5% de la population active. Pourquoi ce distinguo ? Nous pouvons raisonnablement attendre une inéluctable disparition des constructeurs européens, allemands compris, face à la bien meilleure opportunité de construire un objet à faible densité technique ailleurs, en Asie particulièrement, zone qui d’ailleurs n’est pas en reste pour combler son retard technique : un million de nouveaux ingénieurs et doctorants chaque année rien qu’en Chine, qui dit mieux ? Tout ceci pour vous amener vers ce qui nous ronge encore, malgré les vertus promises de la mondialisation, avec une compétition forcément arrangeante pour tout le monde : le « patriotisme économique » ! Jugez de la virulence de ce machin là avec l’objet qui nous occupe et préoccupe… L’amour pas la guerre, versus le porte-jarretelles pas la bagnole !

    Plus sérieusement, et non moins pragmatiquement, songeons que le secteur les matériels ferroviaires est – pour l’instant, mais sans doute pour un bon bout de temps – beaucoup plus intensif en main d’œuvre que le secteur de la construction automobile, et qu’un multiplicateur de Khan « keynésien » est là, prêt à l’emploi ( !), si le décideur veut bien se bouger, avec le secteur bâtiment travaux publics et bien d’autres activités connexes, à considérer qu’il juge maintenant esthétique de requalifier nos villes pour y vivre autrement…7

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