Les Chariots de Feu

Des historiens, ethnologues, et autres sociologues se plaisent à affirmer que la civilisation n’est qu’un vernis fragile plaqué sur des atavismes barbares antédiluviens. En langage non universitaire, cela signifie que malgré quelques bonnes manières du style “bonjour, merci, au revoir”, durement inculquées par nos darrons, nous ne serions que des bourrins des cavernes mal dégrossis.

Le cyclisme ne dérogerait pas à la règle. Il est vrai que sous des dehors respectables, ce sport est souvent victime de réflexes quasi-chamaniques. Cela contribuerait à expliquer que la consommation anarchique de substances toxiques reste ancrée dans le comportement des compétiteurs. Sport moderne par excellence, le cyclisme se nourrit paradoxalement d’une spiritualité plusieurs fois millénaire qui le dépasse. Il en découle parfois une surprenante perte de toute rationalité et une brusque résurgence de pratiques païennes qu’on croyait disparues mais qui n’étaient que refoulées.

Cette thèse audacieuse, n’a jusqu’à présent pas été corroborée par une vraie démarche scientifique. L’increvable chercheur en vérité que je suis s’est, une nouvelle fois, dévoué. Je me suis frotté à une secte cycliste adoratrice de la “Roue-Soleil”. Née en Anjou, ce groupuscule est en quête de nouveaux/elles membres, le prosélytisme les a poussé à adopter un nom anglo-saxon plus “commercial”. Officiellement, ils constituent donc la secte des “Wheels on Fire”.

Leur corpus théologique est à leur image, simple et pouilleux dépouillé. Ils vénèrent le “Dieu-Soleil” qui sous sa forme terrestre s’incarnerait dans la roue d’un vélo. Leur croyance peut-être résumée par l’accroche suivant : “La Roue est grande (ils préfèrent le 700C) et Jalabert est son prophète !”.

Peut-être les avez-vous déjà croisés car, le dimanche, ils battent la campagne à vélo et cherchent à rallier à leur cause le plus grand nombre possible de disciples. Sans grand succès pour le moment.

Chaque année, après une enième échappée, ils se réunissent dans un lieu tenu secret. Le pèlerinage se tient aux alentours du solstice d’été. Ils saluent alors le Soleil qui, au sommet de sa gloire, va bientôt infléchir sa course vers les rigueurs de l’hiver où ils feront alors pénitence. Cette longue soirée voit les démonstrations de foi se succéder à vive allure. Comme vous allez le constater en images, le feu et la symbolique de la lumière y tiennent une place centrale. Cette frénésie bacchique n’est pas sans danger et certains n’en sont pas sortis physiquement et mécaniquement indemnes. Pourtant, malgré les meurtrissures, leurs visages irradiaient de joie. Je pouvais lire sur leurs traits tirés l’extase de la révélation.

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Avant de clore cette courte présentation, je tiens à dire que le pèlerinage s’est déroulé cette année dans un climat de défiance extrême à l’égard des journalistes et autres chercheurs. Comme vous le savez leur prophète est actuellement attaqué sur le terrain de la moralité. Le rassemblement ressemblait donc cette année à une démonstration de force de la part des sectateurs qui sont persuadés que le martyr de leur “Jaja” ne peut que contribuer à leur donner la visibilité et le respect jusqu’ici tant attendus. Pour ma protection, je me suis fondu dans la masse et j’ai fait profil bas.

Evidemment, en cycliste adhérant au courant rationnel et émancipateur, je n’adhère pas à tout ce fatras néo-païen. Les offrandes inutiles et barbares de saucisses et autres chipolatas carbonisées, ou encore la tentative désastreuse d’un des membres de la secte de faire un “bunny-up” au dessus d’une église me semble d’un archaïsme criant. Pourtant, convaincus d’être à l’aube d’un âge d’or de la “Roue-Soleil”, je dois reconnaître que le groupe respire une certaine joie d’être au monde et une créativité communicatives. Alors, pour apporter une amorce de réponse à la thèse de départ de cet article, je dirai que se sont certes des « barbares » mais, leur absence de civilisation ne signifie en rien absence d’humanité. Malgré leur aveuglement religieux, ils ont su me prouver le contraire.

Le « MC » et son attirail
Une des fresques de leur temple
Un message probablement codé
Leur prophète, le grand absent de la soirée
Purification des vélos
Quelques offrandes
« Roue-Soleil »

Le démarrage canon d’un sectateur. Plus rapide qu’un correcteur du bac

La frénésie gagne

Toujours plus de pyrotechnie
Une victime expiatoire