Yasuni : « Le Choix de la Défaite »

Tout s’est passé comme prévu. Le Projet Yasuni ITT a été abandonné. Plus d’un million d’hectares de forêt tropicale du parc national d’Amazonie, dans le nord-est de l’Équateur tombe entre les mains des compagnies pétrolières.

Après la mort de Kyoto et son enterrement dans la roche mère des « sommets de la terre », le coup est dur pour les écosystèmes et les peuples indigènes, le monde se referme dans la course aux énergies.

Il n’est pas certain que le président Équatorien ait été menacé de mort pour prendre en pleine conscience une décision aussi catastrophique pour la biodiversité. Nous ne sommes plus au temps héroïque du Chili de Salvador Allende et d’Henry Kissinger. L’Amérique n’a plus besoin d’intervenir directement pour privilégier sa logique économique par le jeu musclé et sanglant des juntes militaires. Le temps des Dictatures est fini dans toute l’Amérique Latine, il a cédé la place aux régimes spectaculaires et festifs des « Démocratures ».

Dans tout le sous continent la procession des urnes célèbre la voix des urnes souveraines. Au Brésil, pays émergent et resplendissant de vitalité populaire, le Parti des Travailleurs tient ferme les rênes du pouvoir et de Lula à Dilma il travaille de tout cœur, mobilise les masses laborieuses… pour satisfaire les oligarchies terriennes, financières et industrielles nationales et transnationales, en fait exactement les mêmes que celles des temps héroïques des juntes militaires.

Par une déclaration officielle extrêmement désolée le président Équatorien Rafael Correa a fait « Le Choix de la défaite » face aux puissances pétrolières : « C’est avec une profonde tristesse, mais aussi avec une absolue responsabilité envers notre peuple et l’histoire que j’ai dû prendre l’une des décisions les plus difficiles de mon mandat. » S’il est peu probable qu’il ait parlé un pistolet de la CIA sur la tempe, la phrase est suffisamment bien construite pour qu’elle nous permette de suspecter qu’elle lui a été soigneusement préparée. Et même si en définitive elle est bien de lui, on devine le poids immense de la fatalité feinte, l’influence de puissances surnaturelles ou transnationales rendant impossible un choix de politique énergétique libre a l’échelle locale ou nationale.

Il fut un temps où les « Sept Sœurs », les sept plus puissantes compagnies pétrolières au monde, étaient capables de faire et défaire les États, il faut croire, avec cette déclaration d’un chef d’État que ce temps est loin d’être révolu…

Yasuni est un parc national équatorien classé réserve mondiale de la biosphère. Inutile de préciser l’exceptionnelle biodiversité de cette forêt primaire tropicale et le désastre écologique de son passage sous le contrôle des compagnies pétrolières, c’est partout dans le monde la même histoire : le sacrifice du vivant sur l’autel de l’énergie…

Après une campagne d’exploration pétrolière sur trois sites, Ishpingo-Tambococha-Tiputini, d’où le sigle ITT associé à Yasuni, le président équatorien Rafael Correa avait proposé la non-exploitation des réserves de pétrole estimées à 850 millions de barils en échange d’une contribution des pays les plus riches pour compenser le manque à gagner équivalent à la moitié des bénéfices escomptés.

Outre le fait que cela éviterait l’émission de quelques 400 millions de tonnes de CO2, cet argent destiné à donner une valeur à la biodiversité servira à la reforestation et à la protection de l’Amazonie, au soutien aux populations, à l’approfondissement des connaissances biologiques et à préparer l’équateur à l’économie post-pétrolière (1).

Sans nul doute une belle initiative de sensibilisation aux responsabilités environnementales soutenue par le Programme des Nations Unies pour le Développement (le PNUD), « elle n’a pas obtenu la réponse attendue ». « Le monde nous a laissé tomber » a conclu Rafael Correa au nom du peuple Équatorien (2). La dite « communauté internationale » en porte la responsabilité, cette culpabilité consolatrice est évidente pour l’équipe aux commandes de l’État équatorien, mais est-elle recevable aux yeux des peuples autochtones ? N’y a-t-il pas « haute trahison » de l’élite envers son peuple et sa Terre et les générations futures ?

Aux yeux du mouvement Indien Ecuarunari regroupant douze communautés indigènes, il y a effectivement trahison: « Que le gouvernement, qui se dit démocratique, organise une consultation populaire sur l’exploitation du pétrole, pour que le peuple décide seul du futur de Yasuni, une réserve naturelle unique dans le monde (3). » La Résistance au désastre commence.

Le « Big Business » derrière le « Choix de la Défaite »

« Le choix de la Défaite » est le titre d’un livre historique qui explique la victoire trop facile de l’Allemagne nazie sur la France en 1940. L’historienne Annie Lacroix-Riz révèle les origines sociologiques et les mécanismes politico-économico-financiers de cette aussi rapide victoire : la longue et active collaboration de l’élite financière et industrielle française. Dès le début des années 1930 et plus encore avec l’accession au pouvoir du parti national-socialiste et l’intensification de l’effort de réarmement de l’Allemagne, les grands capitaines de la finance et de l’industrie française avaient choisi leur camp : le totalitarisme.

La militarisation de la société civile ne présentait que des avantages dans le développement du capitalisme aux yeux des élites de toute l’Europe Occidentale y compris de la France dite républicaine et démocratique (4)…

Cette histoire invraisemblable mais soigneusement révélée par les méthodes reconnues de la recherche historique explique aussi le choix de la défaite du chef d’État Équatorien. Qui se cache derrière celui qui parle ?

Le président Rafael Correa pas plus que Gorge Bush ou Barack Obama ne représente le pouvoir réel.

Sous l’Ancien régime le pouvoir c’était le Roi. Aujourd’hui le pouvoir réel est ailleurs, il décide en coulisse de la guerre en Afghanistan et de la guerre en Irak et quelle que soit la couleur politique ou la couleur de peau du locataire de la Maison Blanche le début et la fin de la guerre sont décidés ailleurs, en coulisse. A Bush ou Obama la tâche d’exceller dans le storytelling, de raconter une belle histoire aux contribuables…

Le texte est écrit par des nègres littéraires, reste au président de trouver le ton épique, le geste auguste et les mimiques convenables pour rallier à lui les suffrages des contribuables…

La même oligarchie financière militaro-pétrolière qui avait décidé des guerres en Afghanistan et en Irak a aussi statué sur le sort minier à réserver au territoire américain… Tout s’est passé en coulisse, les lois environnementales ad hoc ont été fixées et votées. Aujourd’hui et depuis dix ans on en découvre le résultat par le film de Josh Fox : « Gasland », le territoire des États-Unis d’Amérique est dévasté sur le plan écologique au vu et au su de tout le monde par l’exploitation des gaz de schiste.

Le storytelling de l’oligarchie tenant les rênes du pouvoir dans ce pays valorisant le désastre court toujours et contamine la France et le monde. Si le territoire de la première puissance mondiale et la population représentant le « rêve américain » ne sont même pas un tant soit peu ménagés, comment peut-il en être autrement dans un pays économiquement pauvre et situé dans le premier cercle historique d’allégeance politique aux États-Unis d’Amérique estampillé « ZLÉA » : la Zone de Libre-échanges des Amériques.

Ce vaste territoire économique a sa capitale stratégique au Texas, l’État des oligarques au pouvoir depuis un siècle sur ce continent. Il a aussi son mur pharaonique ultramoderne sur la frontière Mexicaine, plus de 1000 kilomètres de long et déjà près de 10 milliards de dollars dépensés pour un désastre écologique, trois fois la somme demandée pour épargner une réserve de biosphère…

Alors qui se cache derrière les belles histoires, le storytelling ou les « armes de distraction massive » ? Aujourd’hui comme hier : le Big Business (5)… Mais pour le saccage à venir d’une « réserve mondiale de la biosphère » il nous faut trouver un coupable convenable.

Un coupable au désastre écologique prévisible

Comme pour « le choix de la défaite », on ignore tout des faits et gestes en coulisse, on ne sait rien de ce qui s’est passé. Tout ce que l’on peut dire, c’est que ce qui était prévisible sur le plan géostratégique de l’énergie a eu lieu. Le projet a capoté.

Il était pourtant tentant d’y croire tellement la somme demandée était dérisoire : 3,6 milliards de dollars sur 12 ans, rien ! Même pas un kopeck par rapport aux budgets militaires des grandes puissances industrielles. Même pas trois ans d’aide militaire des seuls États-Unis à l’Égypte actuelle (6). Qui est le coupable du désastre prévisible dans une « réserve internationale pour la biodiversité » ? Pour la caste dirigeante équatorienne et sa politique intérieure, cela ne fait aucun doute, la faute, l’incurie est à mettre sur le compte de la « communauté internationale ».

Lire aussi :  Un épouvantable rapport d'étape (sur les gaz de schistes)

Mais de quoi parle-t-on quand on fait référence à cette entité collective ? Des complexes militaro-industriels et de leurs États vassaux. Au sommet c’est peu brillant et très sanglant, on a les puissances impériales qui durant un siècle ont mis la terre à feu et à sang pour s’assurer le contrôle des zones pétrolifères sur les cinq continents et continuent toujours le combat avec les États-Unis en tête pour atteindre sous terre et en mer les hydrocarbures non-conventionnels. En commençant par l’exemple déplorable de la première puissance mondiale…

La Guerre Froide, qui a duré moins de trente ans, a coûté plus de 5000 milliards de dollars aux contribuables américains et d’après la Brookings Institution, qui en a fait l’audit, on sait que cette guerre a été abusivement surfacturée. Devenue totalement inutile sur les plans géopolitique et militaire elle continue de coûter quelques milliards de dollars par an, simplement pour assurer l’atelier protégé des chercheurs scientifiques, des ingénieurs et techniciens de la dite « dissuasion atomique ».

« Une victoire à 5800 milliards de dollars », vers la fin des années 1990 au tournant du siècle et juste avant l’offensive militaire en Afghanistan, l’Amérique pensant à retardement se posait la question « Fallait-il vraiment construire 70.000 armes nucléaires pour gagner la « Guerre Froide » ( 7) ?

La Guerre d’Irak a coûté plus de 3000 milliards de dollars aux contribuables américains et va continuer à leur coûter quelques milliards par an pour la prise en charge des traitements et pensions des estropiés de guerre. Avec autant de déraison dans les dépenses militaires et d’inconséquence écologique, l’irresponsabilité des États-Unis d’Amérique peut être considérée comme acquise, il faut faire sans cette puissance exclusivement obsédée par la guerre.

La France aussi a maintenu sa redoutable défense par la fameuse et coûteuse mais obsolète « dissuasion nucléaire »… des milliards auxquels il faut rajouter les dizaines de milliards des grands projets inutiles imposés GPII, EPR et ITER sans parler de Serval et des milliards militaires de pompe à fric durant le demi-siècle passé de Françafrique (8)… Là encore on reste dans la logique de guerre.

Les pays de l’Opep auraient pu faire un petit geste, l’aumône musulmane réglementaire. Ils en avaient largement les moyens, mais dans leurs rangs ne subsistent que les pétromonarchies qui préfèrent dépenser leurs milliards d’argent de poche dans des clubs de football européen et autres projets débiles et kitchs pour monarques sénescents.

Le reste de la communauté internationale n’est pas plus brillant. Le Brésil de Dilma consacre aussi ses milliards aux coupes de football, le Parti des Travailleurs a lui aussi besoin pour gouverner de son « opium du peuple »… Mais contrairement à la Rome esclavagiste Antique qui assurait « le pain et les jeux », le Brésil démocratique de Lula et Dilma ne finance que le cirque et comble de l’absurde les plantations de cannes à sucres dévastatrices de la forêt primaire ne sont pas pour nourrir les travailleurs mais pour les « automobiles »… Les brésiliens n’ont même plus les moyens de se payer leur ticket de transport en commun…

En Asie, la Chine et le Japon auraient pu aligner le pognon mais ces deux pays sont prêts à s’entretuer avec des milliards de dépense militaire pour des zones maritimes économiques exclusives en Mer de Chine. Encore du pétrole non conventionnel convoité et un désastre écologique en perspective…

Passons sur tous les pays pauvres… Les dictatures et « démocratures » qui les dirigent vivent et se reproduisent depuis 50 ans du détournement militaire, crapuleux et personnel de la dite « aide au développement ». L’Égypte des militaires en est l’exemple en action.

Ricoché à un kopeck loupé

Reste la Russie ! Voilà le vrai coupable sur les plans énergétique et géopolitique. Elle pouvait aligner à elle seule la totalité de la modique somme et elle ne l’a pas fait. Une occasion en or lui était offerte de redorer son blason pour une bonne cause sur les terres dévastées « ZLEA ». Une opportunité inespérée d’intervenir au nom de la « communauté internationale » sur les chasses gardées des États-Unis d’Amérique, lui tombait du ciel et lui aurait permis de faire d’une pierre deux coups pour un kopeck, la Russie ne l’a pas saisi.

Après son K.O. de la Guerre Froide, une revanche honorable avec une victoire facile lui était présentée sur un plateau en or et elle l’a refusé. Le lourd passif soviétique pourtant très handicapant de la Russie n’a pas empêché son oligarchie de rattraper en peu de temps l’intelligence cupide des castes dirigeantes occidentales, des Bush et Blair, des Reagan et Thatcher et de leurs multiples rejetons actuels.

Marginalisée avec son « gaz naturel » sur le marché mondial de l’énergie par la bulle spéculative des gaz de schiste (9) créée de toute pièce par l’oligarchie texane, la Russie n’a même pas rebondi pour saisir la chance de sa revanche. Nul doute : voila le coupable !

Alors que les compagnies gazières américaines viennent sans-gêne exploiter les gaz de schiste sur ses anciennes terres d’Europe de l’Est, alors qu’elles forent sans vergogne en Pologne à la barbe de Gazprom et sapent ainsi son marché captif quasi domestique, l’encrouté du Kremlin ne fait rien. Sans nul doute : voila le coupable !

Mais peut-être que l’ex du KGB est lui aussi en ligne de mire de la CIA ou des hommes de mains armés de l’Amérique. Que nous reste-il d’autre comme explication ?

Mille valises de billets pour bloquer un kopeck

Pour ne point être accusé de verser dans la théorie du complot, écartons d’emblée l’hypothèse qu’avec cet ex du KGB momifié on ait à faire à un « agent-double ».

En fait et de manière très prosaïque « La Main Invisible » apparaît comme l’explication la plus plausible. Le jeu en flux continu des milliers de valises de billets sillonnant le monde en dessous-de-table pour biberonner les chefs d’État et leur aides de camp influents peut parfaitement expliquer à lui seul pourquoi un kopeck n’a pas pu arriver à temps au bon endroit et éviter un désastre. La générosité des héritières actuelles des « Sept Sœurs » semble aujourd’hui sans limite.

Sans nul doute nous le saurons un jour. Si les choses se passent comme dans « Le Choix de la Défaite » et le « Big Business avec Hitler », tout s’éclaircira par les procédures standardisées de la recherche historique, c’est-à-dire dans 60 ans peut-être… D’ici là les génocides et ethnocides prévisibles seront terminés…

(1) Jacques Ambroise, « Gaz de Schiste, histoire d’une imposture » Le Sang de la Terre 2013.
(2) Le Monde.fr | 16.08.2013 Jonathan Parienté « Equateur : « Yasuni ITT » ou l’échec de la non-exploitation du pétrole »
(3) Le Monde | 17.08.2013 Thomas Diego Badia et Pierre Le Hir « L’Equateur renonce à sanctuariser le parc Yasuni pour en exploiter le pétrole »
(4) Annie Lacroix-Riz « Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Armand Colin, 2006 et 2010.
(5) Jacques R. Pauwels « Big Business avec Hitler » Aden 2013
(6) Le Monde.fr avec AFP « Suspension de l’aide militaire : l’Égypte met en garde les États-Unis » Le montant de cette aide annuelle est de 1,3 milliard
(7) La Recherche n° 315 décembre 1998
(8) François Xavier Verchave « La Françafrique : le plus long scandale de la République, Stock 1998
(9) Le Monde Diplomatique Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Gaz de schiste, la grande escroquerie », mars 2013

JMS
Août 2013

3 commentaires sur “Yasuni : « Le Choix de la Défaite »

  1. Alain

    Toute l’histoire de notre destruction est expliquée par la série de documentaires de Jean Druon. Il a tourné une série de 6 documentaires nommée « un sicle de progrès sans merci ».
    Cela montre depuis l’avènement de la société industrielle l massacre en cours et son documentaire remet cette destruction en perspective sur 100 ans.
    Un chef d’oeuvre à voir et à revoir, qui le montre le monde tel qu’il a été et tel qu’il est:
    http://www.canal-u.tv/video/cerimes/un_siecle_de_progres_sans_merci_un_pacte_indefectible.11278

    Pour ma part, si je devais me rappeler à jamais ce que j’ai vu de toute ma vie, mon choix irait vers ce docuementaire.

  2. Vincent

    La théorie du complot est inutile pour expliquer ce revirement qui s’explique tout simplement par le fait qu’aucune énergie alternative n’existe qui est aussi efficace que le pétrole. Il suffit de voir la lenteur avec laquelle on tente de passer à la voiture électrique ou la production d’électricité par éolien/solaire.

    Malheureusement – et à supposer qu’elle trouve un moyen de produire autant d’énergie sans CO2 -, quand l’humanité sera confrontée à la fin des énergies fossiles, il est peu probable qu’il existe alors une solution pour résoudre le réchauffement climatique dont nous commençons à peine à subir les conséquences.

    Les décennies qui viennent vont être… intéressantes.

  3. Laurent

    C’est en quelques semaines que le royaume uni s’est installé dans une économie de guerre après 1940. Mais tant qu’il n’y a pas de contrainte forte nous conservons nos habitudes aussi nocives fussent elles et nous fermons les yeux.

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