Gaz de Schiste, l’imposture médiatique aussi (1)

Lecture critique d’un article de la presse officielle française : « Faut-il avoir peur du gaz de schiste ? » Le Monde 14 septembre 2012. Par Marie-Béatrice Baudet, Jean-Michel Bezat, Stéphane Foucart et Hervé Kempf (1). En trois épisodes, première partie.

Remarques préliminaires

En février 2011, le public Québécois recevait une information en langue française sur les gaz de schiste de la part de l’IRIS. Par son article au titre très précautionneux « Gaz de schiste : Une filière écologique très profitable pour le Québec ? » cet Institut de Recherche et d’information Socio-économique démontait point par point tout l’argumentaire technico-économico-écologique des gaziers, l’hypothèse du titre était donc infirmée par l’article (2).

La même année, le public français disposait déjà d’une somme importante d’informations avec le livre de Marine Jobert et François Veillerette « Le vrai scandale des gaz de schiste » (3) et depuis 2010, dans toutes les régions de France menacées par l’invasion gazière, des collectifs retransmettaient haut et fort le refus clair et net exprimé contre les gaz de schiste par les populations.

Plus d’un an après, en septembre 2012, les lecteurs du Monde recevaient une information pour le moins ambiguë sur le sujet. L’article « Faut-il avoir peur du gaz de schiste ? » resservait quasi-intact l’argumentaire des gaziers et se trouvait de fait très en retrait par rapport à ce qu’un public bien informé savait déjà depuis quelques années.

Comment interpréter cette information et son anachronisme manifeste ?

Le Monde est un journal généraliste réputé sérieux et considéré comme de bonne tenue dans les milieux bien pensant de France et dans le monde il représente la vitrine de la presse quotidienne française… Ce n’est pas ce que pense tout le monde, il y a des critiques virulentes sur la valeur informative de ce journal, mais très minoritaires en définitive.

Alors, par voie de conséquence, face à ce large consensus, si certains se risquent à dire la triste vérité, à savoir que Le Monde est vendu aux milieux d’affaires, ils s’exposent à la réprobation générale. Les catégories de « gauchiste sectaire » ou de « Khmer vert », « écologiste extrémiste » aigri et rabougri dans un dogmatisme d’un autre âge s’abattent en hallebardes sur l’impertinent…

« Vendu au grand capital », cette vérité objective dite sans nuance ou délicatesse relève de ce qu’on appelle en psychanalyse : l’«interprétation sauvage » ; alors pour s’épargner l’anathème débutons une analyse pour révéler le message subliminal véhiculé par cet article du Monde de mise au point sur les gaz de schiste. La question est brulante et hautement politique, les gaziers placent leurs pièces maitresses et menacent de toutes parts, l’offensive est imminente. Beaucoup d’information circule « tout le monde entend parler de gaz de schiste » il est donc important de savoir « de quoi il en retourne » comme le remarquait encore Jacques Ambroise en introduction de son livre « Gaz de schiste histoire d’une imposture (4).

Le titre de l’article du Monde est d’emblée suspect avec son a priori psychologisant. Par le choix du mot « peur » les journalistes ont aussi choisi leur camp ou alors, ils se sont laissé dicter leur article par les agences de marketing des compagnies pétrolières. On récidive dans le même registre que le vieux « Faut-il avoir peur du nucléaire ? ». Dans une discussion du niveau Café du Commerce ceux qui ont peur sont des lâches et ceux qui n’ont pas peur ne sont pas forcement des irresponsables. Un mot plus neutre aurait était plus adapté. Si le « Faut-il combattre les gaz de schiste ? » n’est pas neutre non plus car il met le courage dans le camp adverse on aurait bien vu un « Faut-il condamner les gaz de schiste ? » encore acceptable pour un journal de bonne tenue.

Nul doute possible, avec cet article un habitué du Café du Commerce apprendra beaucoup de choses sur le sujet des gaz de schiste. Indéniablement il y a de l’information objective dans l’article. Cependant notre client ne pourra pas se faire une opinion, il découvrira que des personnes convoquées au titre d’experts scientifiques ne sont pas sûres et ne sont même pas d’accord entre elles, alors sa conclusion logique sera que tout cela lui passe bien au dessus de la tête…

Ne pas faire d’investigations propres, ne pas prendre position sur un sujet de cette importance vitale et se contenter de mettre en scène une joute verbale entre experts, le faire en 2012 alors que de nombreuses informations sont largement disponibles, bref, cette belle neutralité journalistique ne peut qu’orienter notre pilier du Café du Commerce à la conclusion souhaitée par les pétroliers : le sujet des gaz de schiste est bien trop compliqué pour lui : les experts n’ont qu’à accorder leurs violons…

Avant de commencer l’analyse critique paragraphe par paragraphe signalons encore une chose d’importance, il y a quatre auteurs pour cet article, ce qui est assez inhabituel. Les noms des complices apparaissent dans l’ordre alphabétique et dans cette belle brochette figure celui Hervé Kempf, en dernière position. Il n’est pas possible de dire s’il est l’auteur principal de l’article. En tant que spécialiste des questions environnementales et auteur du livre au titre engagé « Comment les Riches détruisent la Planète » il dispose d’une certaine crédibilité sinon non d’une respectabilité certaine bien au-delà des milieux écolo-bobo. Qu’est-il venu faire dans cette galère médiatique de désinformation ? Apporter sa caution de journaliste « écolo », on l’ignore… Avec quatre journalistes à la tache dont l’un des spécialistes des questions environnementales, on dispose avec cet article du meilleur échantillon pour notre analyse critique du Monde.

Lire aussi :  De la disparition de sa propre espèce

Premier paragraphe : « L’impact sur le climat reste controversé »

Faux bien sûr, ce qui reste controversé… non, soyons à la page de 2012 ! L’imposture des gaziers sur l’impact climatique de l’industrie des gaz de schiste a déjà été démasquée depuis au moins une bonne année. Le titre de paragraphe aurait dû le prendre clairement en compte. Certes les pétroliers contestent encore l’impact important des gaz de schiste sur le climat ou encore ils persistent à dire que l’impact sur le climat est négligeable… car en aucun cas il ne peut être « favorable » ce que prétendent encore les gaziers.

– Le Monde « L’un des arguments forts en faveur du gaz de schiste est son impact climatique, réputé plus faible que celui du charbon. »

Faux ! Le débat est clos ! En septembre 2012, date de l’article cette affirmation ne devrait plus apparaître dans la presse dite d’information. L’argument est obsolète, il relève tout au mieux de l’argument massue, plus que de l’ « argument fort » En fait, il pointe déjà dans le registre grenwashing du marketing. Tous les milieux bien informés sur le sujet des gaz de schiste et en premier lieu, il faut le rappeler, les compagnies pétrolières savent qu’il s’agit d’un gros mensonge, exactement le même que celui brandi au temps de la gloire des biocarburants. Bidouillé sur des données partielles de laboratoire, il est construit sur mesure pour caresser dans le bon sens les piliers du Café du Commerce.

Suit la présentation des argumentaires contradictoires ou l’on apprend quand même que les scientifiques indépendants en sont arrivé au résultat qu’en étudiant tout le cycle des gaz de schiste, le « bilan carbone » et « gaz à effet  de serre » serait « pire que celui du charbon ». Comme Le Monde est un journal sérieux il est obligé d’être à la page et de faire apparaitre l’information car elle est déjà facilement disponible à la date de l’article.

– Le Monde: « En définitive, selon Robert Howarth, le gaz de schiste serait pire que le charbon pour le climat, surtout si l’on considère l’effet climatique sur vingt ans et non sur un siècle, comme c’est habituellement l’usage. »

Mais les journalistes, en fragrant délit de désinformation, concluent ce paragraphe par une formule massue, KO assuré : « Le débat scientifique est loin d’être clos ». Pauvre pilier du Café du Commerce, il s’en prend plein la figure, que peut-il bien penser après cette sentence ? Depuis plus d’un an, les scientifiques indépendants ont au moins renversé sinon pulvérisé « l’argument fort » dans leur littérature scientifique, mais l’argument massue fleurit toujours dans l’espace médiatique. La force de frappe colossale des compagnies pétrolières exactement comme aux premiers temps de la ruée des biocarburants doit pouvoir expliquer cela.

L’un des scientifiques indépendants, Robert Howarth, biogéochimiste, cité dans l’article pour avoir révélé l’importance des fuites de méthane dans le cycle global d’extraction production des gaz de schiste aura quand même droit un mois et demi plus tard à un autre article du Monde, sous la seule plume d’Hervé Kempf. Comme par volonté de rattrapage on lui laisse librement la parole. Mais là encore on a un titre trompeur « Climat : les États-Unis encadrent le gaz de schiste » (5), alors que les fuites dans l’atmosphère sont matériellement incontrôlables étant donné le nombre vertigineux des forages. Le sous-titre fini par un vœu pieux, suspect pour un spécialiste de l’environnement « le méthane issu des puits ne devra plus être rejeté dans l’atmosphère ». Comment est-ce possible ?

Alors que la découverte du biogéochimiste publié dans la Revue Climatic Change en avril 2011 avait fait « l’effet d’une bombe » (selon le mot d’Hervé Kempf) en pulvérisant « l’argument fort » des gaziers ce nouvel article ne veut pas conclure et laisse le lecteur sur sa faim. Le journaliste se cache derrière la parole du scientifique et sa formule rhétorique de prudence typique en science « Il y a encore beaucoup d’études à mener. C’est une technologie nouvelle, [la fracturation hydraulique], elle présente énormément d’inconnues. Il faut travailler pour mieux évaluer l’importance de ces émissions » On ne sait pas comment interpréter toute cette phraséologie trop précautionneuse confinant à la langue de bois ou à la langue fourchue… Disons que dans « Le Monde comme il va » on n’est pas tout à fait certain que l’indépendance de notre éminent biogéochimiste soit totalement acquise par rapport au gaziers.

(…)

(1) LE MONDE | 14.09.2012 Par Marie-Béatrice Baudet, Jean-Michel Bezat, Stéphane Foucart et Hervé Kempf: http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/09/14/faut-il-avoir-peur-du-gaz-de-schiste_1759902_3244.html

(2) IRIS Québec « Gaz de schiste : Une filière écologique très profitable pour le Québec ? »

(3) Marine Jobert et François Veillerette « Le vrai scandale des gaz de schiste » Les Liens qui libèrent 2011. Réédition en poche Babel en 2013 sous le titre « Gaz de schiste de la catastrophe écologique au miracle énergétique ».

(4) Jacques Ambroise en introduction de son livre « Gaz de schiste histoire d’une imposture » Le Sang de la Terre 2013

(5) Le Monde Samedi 3 novembre 2012 « Climat : les États-Unis encadrent le gaz de schiste » Hervé Kempf

2 commentaires sur “Gaz de Schiste, l’imposture médiatique aussi (1)

  1. MOA

    Merci pour cet article.

    Le Monde?
    Le journal contrôlé depuis 2010 par les hommes d’affaires
    Pierre Bergé (entrepreneur en confection de luxe), Xavier Niel (concurrent de bouygues sur la téléphonie) et Matthieu Pigasse (banquier d’affaires « ami » des grands patrons français : Arnaud Lagardère, François-Henri Pinault, Stéphane Richard, Anne Lauvergeon) ?

    C’est bien ce journal?… sans conteste, Le Monde est un journal neutre (ou éventuellement plutôt de gôche) et complètement autonome. Doit être très critique avec la sacro-sainte croîîîssance Le Monde, à coup sûr.

    Sinon, concernant Hervé Kempf.
    Il me semble que le sujet des gaz de schiste est traité de façon bien différente sur son site reporterre.

    A noter que si jamais H. Kempf a accepté d’avaler des couleuvres en travaillant au Monde, une fois de plus, on voit que cela n’a servi à rien (à la longue, ça se digère mal la couleuvre, non? )… rupture conventionnelle entre Le Monde et lui en début de mois (la goutte aurait été l’Ayraultport Notre Dame des Landes selon H.Kempf)

  2. Haricophile

    Ceux qui croient que Le Monde est encore le journal de Hubert Beuve-Méry sont-ils les mêmes qui croient que Orange est encore un service public ?

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