Les affres de la circulation

Comme son nom ne l’indique pas, Jean-Paul Marcheur est un adepte du 4×4. Pas par conviction idéologique ou pour épater la galerie, mais tout simplement car le 4×4 représente selon lui le seul moyen de se protéger efficacement des dangers de la circulation routière.

En effet, Jean-Paul Marcheur est terrorisé par l’idée même de se faire percuter par une voiture, du moins tant qu’il n’est pas à l’abri, confortablement protégé par la carrosserie imposante de son 4×4. La circulation routière étant ce qu’elle est, la durée de vie moyenne du piéton en ville ne lui semble pas dépasser les 10 minutes.

Quand il est dans son 4×4, il se sentirait presque invincible, d’autant plus qu’il peut toiser le trafic et menacer de toute la masse de son véhicule les autres usagers de la route. Dans son 4×4, il en viendrait même à souhaiter que l’accident se produise afin de bénéficier de la protection rassurante de ses multiples airbags capitonnés.

Aussi, le grave problème existentiel de Jean-Paul Marcheur réside dans la nécessité pour lui de rejoindre tous les jours à pied son véhicule depuis son domicile. L’idéal pour lui serait sans doute d’avoir son 4×4 garé directement à son domicile, mais comme il habite dans un appartement en ville, il se trouve dans l’obligation de le garer plus ou moins loin, en fonction des contraintes habituelles du stationnement. Il a bien essayé de le garer devant chez lui sur le trottoir ou sur la piste cyclable, mais il s’est lassé de récupérer son véhicule vandalisé par des piétons ou des cyclistes vengeurs.

Dans ces conditions, chaque sortie à pied de son domicile devient pour Jean-Paul Marcheur un véritable cauchemar. Il est obligé de se préparer psychologiquement en mémorisant à l’avance le trajet piéton qui le sépare de son 4×4. Il cherche à anticiper tous les risques qui l’attendent sur le chemin afin de pouvoir les esquiver. Enfin, juste avant de partir, il pratique toute une série d’échauffements et d’exercices physiques pour être en condition d’affronter les nombreux risques urbains.

Ainsi, ce matin, Jean-Paul Marcheur descend comme d’habitude les escaliers de son immeuble avec appréhension. Juste avant d’ouvrir la porte d’entrée de l’immeuble, il se concentre une dernière fois et inspire une grande bouffée de l’air fétide causé par les pots d’échappement. Enfin, il se lance tel un athlète sur le trottoir pour accomplir les 300 mètres qui le séparent de son 4×4.

Les premiers mètres se passent plutôt bien, malgré la présence inopinée d’un piéton devant chez lui qu’il manque de percuter en sortant de l’immeuble. Après l’avoir copieusement insulté, il arrive assez rapidement au bout de la rue tout en slalomant entre poubelles éparses et diverses pancartes commerciales.

Lire aussi :  Le rapport cycliste/automobiliste en question

La situation se complique au niveau du carrefour, avec une voiture stationnée sur le passage piéton, une terrasse de café qui empiète largement sur le trottoir et un SDF assis par terre en train de mendier. A la vitesse de l’éclair, Jean-Paul Marcheur analyse la situation et décide d’enjamber le SDF tout en poussant une chaise du café pour passer. Arrivé au passage piéton , il se faufile entre les pares-chocs pour tenter de traverser la rue mais une voiture qui passe au même moment le frôle de quelques centimètres.

Après avoir failli perdre la vie pour une banale faute d’inattention, Jean-Paul Marcheur reprend sa traversée du passage piéton mais il se rend compte alors avec frayeur que l’arrivée du passage piéton en face de lui est complétement obstruée par un camion de livraison. Sans moyen d’atteindre le trottoir d’en face, il se décide à longer la file de voitures en espérant pouvoir se faufiler plus loin entre deux véhicules.

Obligé d’improviser, Jean-Paul Marcheur se met à courir sur la chaussée entre portières de voitures qui s’ouvrent et motos qui foncent. Heureusement, il arrive à rejoindre le trottoir au bout de quelques dizaines de mètres à la faveur d’un arrêt de bus. Mais, c’est pour se rendre compte aussitôt que l’ensemble du trottoir de la dernière rue menant à son 4×4 est entièrement occupé par des voitures en stationnement illégal. Le trottoir est quasiment impraticable et Jean-Paul Marcheur voit même une poussette aventurée sur la chaussée se faire klaxonner par un taxi.

Il alterne alors son parcours final entre bouts de trottoir partiellement accessibles, piste cyclable plus ou moins dégagée et chaussée parcourue par une triple file de voitures qui foncent en sens unique.

Enfin, il atteint miraculeusement son 4×4 garé au bout de la rue et se précipite à l’intérieur, soulagé d’avoir survécu à ce parcours piétonnier à haut risque. Jean-Paul Marcheur démarre aussitôt son moteur afin d’entendre le bruit rassurant et apaisant du V8, il enclenche la vitesse et sort de sa place de stationnement.

A ce moment précis, un poids-lourd arrive à toute vitesse par derrière et le percute de plein fouet dans l’aile gauche.

Jean-Paul Marcheur meurt sur le coup.

15 commentaires sur “Les affres de la circulation

  1. struddel

    Très bon récit qui montre habilement plusieurs absurdités de la société motorisée.

  2. kw

    Dans sa prochaine vie il s’achètera un hummer et déménagera dans un petit pavillon de banlieue à 50km de son lieu de travail. Travail qu’il choisira dans une zone industrielle ou commerciale afin de bénéficier d’un parking !

  3. Alain

    Pauvre Jean-Paul Marcheur.

    Mais avez-vous déjà rencontré Michel GroCon? Non?
    Moi, je vois les membres de sa famille régulièrement car le magasin où je travaille se situe juste sur une grande place.
    La famille de Michel Grocon se comporte ainsi:
    – La place est en partie interdite aux voitures alors quand y’a plus de place, sa famille décide de se garer devant toutes les autres voitures ou tout simplement sur la partie de la place interdite aux voitures.
    – Parfois, il y a de la place pour se garer. Mais la famille de Michel Grocon préfère quand même se garer devant d’autres voitures garées puis part vaquer à ses occupations. Quand les gens gênés ne peuvent pas sortir, ils viennent au magasin avec parfois un air inquisiteur « c’est à qui la voiture ». Ben, je sais pas. Nous avons alors droit à tut-tut. Le klaxon se met à vrombir de longues minutes. Ca ne fait pas venir la famille de Michel Grocon mais bon, ca dure…
    – Arfff!!! Un sms. Alors la famille de Michel Grocon se gare n’importe comment, laisse tourner son moteur pendant de longues minutes, lit le sms reçu, envoie le sien et attend de recevoir la réponse. Le moteur tourne, et tourne et tourne..Mais bon, c’est « allo, quoi… »
    – Quand c’est jour de marché, la famille de Michel Grocon tente de garer son char entre 2 marchands, mais parfois çà passe pas, alors c’est concert d’insultes « va chier, ta gueule, pauvre con, enculé, va niquer ta mère ». Bon, quand la voiture de Michel Grocon gêne ces jours là, la police téléphone pour avoir l’identité, des fois que… rarement des amendes… Parfois une par ci, par là. Et là aussi, la famille de Michel Grocon s’insurge: « Pourquoi j’ai une amende, je gêne personne, y’a jamais de place pour se garer, j’en avais que pour 2 mns ».
    – La famille de Michel Grocon va chercher ses enfants en voiture à 16h30. Elle habite dans le quartier et arrive à 15h45, puis attend. Si il fait froid, il laisse le moteur tourner pour se réchauffer, si il fait chaud, idem pour la clim’. Enfin, les enfants sortent. Mais la famille de Michel Grocon garé comme un (…) ne manquera pas de dire à ses petites têtes blondes « fais attention aux voitures ». Ben oui, parce que la famille de Michel Grocon a horreur des voitures de Gérard PousseToideLa ou de Yvette LaisseMoiPasser.

    Ahhhh, la famille de Michel GroCon. Je l’observe tous les jours. Sacré famille!!!

  4. pedibus

    Aprés « garé comme une merde » la formule « écrasé comme une merde »?

  5. Jeff

    Quand on voit le slalom qu’on doit faire pour circuler à pied en France et dans les pays du Sud de l’Europe, on n’a plus beaucoup d’espoir que cela s’arrange. Je pense qu’en tant qu’handicapé, ça doit être encore pire.
    Serait-on contraints à faire une demande d’exil pour un pays plus respectueux des piétons et donc des gens (le Nord de l’Europe)?

  6. Jean-Marc

    @ Jeff

    regarde la photo de cet article :

    on y voit des poubelles sur un trottoir
    l avantage, c est que ce trottoir fait 3m de large… mais c est très rarement le cas.

    Quand il n’y a pas une poubelle à 4 roues+moteur (ou à 2 roues + moteur) garée sur un trottoir, on y trouve très souvent de vraies poubelles.
    Ceci, même sur des trottoirs de 1m :
    70cm de poubelle… laissant royalement 15cm à droite et à gauche, pour que les aveugles et les personnes en fauteuil puissent passer sans descendre sur la chaussée…

    -> malgré la tolérance que les valides ont pour l’usage du trottoir, ces poubelles n’ont rien à faire sur les trottoirs
    -> descendez la vôtre… et de temps en temps, celles que vous croisez, à cheval sur le caniveau et la chaussée.

    Celà rendra service aux aveugles, aux personnes en fauteuils, aux enfants (dont aux enfants en roller ou vélo),
    mais aussi aux cyclistes et automobilistes :

    des tests ont été fait : plus une route est large, moins elle a d’obstacle la bordant (arbre, potelets, poubelles) ou plus ils sont éloignés de la chaussée, plus les gens roulent vite :

    En mettant la poubelle à cheval sur le caniveau+la chaussée, vous augmentez la vigilance des automobilistes, apaisez la vitesse des voitures, donc diminuez le risque d accident, et la gravité des accidents quand ils ont lieu.

    (en plus, petit bonus, celà permettra d accélérer la tournée des éboueurs.. donc, à terme, si celà se généralise, celà permettra d’avoir moins de tournées, donc de payer moins d’impôts locaux pour le ramassage des déchets)

  7. Jean-Marc

    Serait-on contraints à faire une demande d’exil pour un pays plus respectueux des piétons et donc des gens (le Nord de l’Europe)?

    La « culture » des piétons de l europe du nord est une légende :
    ce n est pas du tout culturel (ou, au choix.. celà l est… mais ce n était pas inné)

    explication :
    Comme l avait montré un rappel historique sur copenhagenize.com (ou sur carfree… je ne sais plus),
    il y a 50 ans, il n’y avait pas de différence la pratique auto/vélo entre la france, la GB et la hollande :

    Et il y a eu un affreux accident en hollande, avec morts de plusieurs enfants allant ou revenant de l’école :
    les parents et la population a manifesté, celà s est traduit par des lois, et un changement, de l auto-centrisme, vers un léger centrisme sur les personnes :
    après 50ans de dépenses légèrement supérieures dans les pistes cyclables et rues piétonnes, les choses sont devenues très différentes entre la hollande d un coté, la GB ou la FR de l autre :
    la « culture », c est un petit changement, une légère variation, mais enteriné sur des années et des années.

    [la culture généralisée d internet a moins de 10ans, la culture généralisée du tel portable a guère plus de 5ans… la culture de la voiture personnel, quand plus de 50% des adultes en ont… à moins de 20 ans (et moins de 40ans pour la culture de la voiture par foyer)]

    Ainsi, si, en france, on agit pour que les comportements évoluent dans le bon sens,
    dans 10, 20 ou 40ans, celà sera devenu culturel, en france.

  8. Jeff

    @Jean-Marc,

    J’ai trouvé effectivement un lien anglais qui explique pourquoi les Pays-Bas sont devenus cyclistes dans les années 70 :
    http://lcc.org.uk/pages/holland-in-the-1970s
    Combien de morts et de blessés va-t-on attendre en France pour prendre le même chemin?
    Les radars automatiques ne sont pas suffisants pour faire changer les mentalités.
    La peur de tuer ou blesser quelqu’un devrait être prévalente à la peur du gendarme.

  9. Jeff

    Quand on voit les statistiques 2011 d’enfants de moins de 15 ans tué ou blessés par le trafic automobile : 128 morts et 6108 blessés.
    http://www.preventionroutiere.asso.fr/Nos-publications/Statistiques-d-accidents/Accidents-enfants

    Il n’y a pas eu de mouvement populaire pour demander une réduction de la vitesse (voir le succès misérable de la campagne européenne sur le passage des centres-villes à 30Km/h : http://fr.30kmh.eu/).

    C’est plutôt le contraire : on nous empêche de rouler, il n’y a plus de liberté, on est une pompe à fric,…. Tous les poncifs du bagnolard

  10. Jean-Marc

    Merci bcp Jeff.
    Ce n est pas l article que j avais lu, mais il recoupe certaines des même informations.

    extraits créant un résumé, suivi de traduction :

    « These broadly similar paths continued until the 1970s, when our transport policies diverged significantly.  »
    [..]
    At the same time as these innovations were taking place in Delft, a crisis was taking place on Dutch roads. In 1971, deaths by motor vehicles reached record levels, with 3,300 people dead, 500 of whom 
were children.

    One victim of road death at this time was the child of respected journalist Vic Langenhoff, a senior writer on national newspaper De Tijd, based in the south of the country. Langenhoff wrote a series of articles, the first of which used the dramatic headline ‘Stop de Kindermoord’ (Stop the Child Murder) and called for children to be taken to school by bus, in order to reduce their exposure to danger from motorists.

    But it wasn’t long before more experienced campaigners contacted him and a policy of reducing road danger at source was agreed as the best way to tackle the unacceptable rise in road crash deaths. »

    Traduc :
    [La GB et la hollande avait +/- les même taux de voiturisation, vélosication et de morts de la route]
    L’évolution était +/- la même jusqu’aux années 70, quand la politique de transport a divergée significativement.
    [..]
    A la même époque que des aménagements de rue à Delft, une crise eu lieu sur les routes hollandaises. En 1971, le nombre de morts de la route atteints un record : 3 300 morts, dont 500 enfants.
    Une de ces victime était l enfant du respecté journaliste Vic Langenhoff, un écrivain expérimenté du journal national « 
    De Tilj« , situé au sud du pays.

    Langenhoff a écrit une série d articles, les premiers à utiliser le titre tragique « Stoppons le meurtre des enfants« , et demanda que les enfants soit emmené à l’école en bus, pour diminuer leur exposition au danger des automobilistes.

    Ainsi, celà pris peu de temps avant que d autres lanceurs de campagnes d’information ne le contactent, et qu’une politique de réduction des dangers de la route à la source soit reconnue comme la meilleure façon de casser la hausse inacceptable des morts de la route. »

  11. Jean-Marc

    dernier paragraphe traduit :
    « Crucially, the introduction of cycle lanes was allied to other improvements for cyclists, such as widespread reductions in speed limits, as well as changes in the law that gave greater priority to cyclists at junctions. »

    « De façon cruciale, l’introduction de pistes cyclables s’est faite conjointement à d autres améliorations pour les cyclistes, comme une réduction drastique des vitesses maximales (pour les voiture/auto), ainsi qu’un changement de la loi, donnant la priorité aux intersections, aux cyclistes »

    Ajoutez quelques années là-dessus… et une nouvelle « culture » se crée
    (par contre, selon copenhagenize.com, cette culture est en régression chez eux : les aménageurs urbains (ré-)aménagent de plus en plus pour la voiture, en particulier au niveau de parkings… allant ainsi à l’opposé de ce que demande la population hollandaise)


    * vitesse limite (légale) + loi :
    Par son application à très large échelle, à tous (pas seulement par les limitants et les gens prudents) la loi est un merveilleux facteur accélérant des tendances…
    sans baisse des vitesses limites, et d autres lois, la hollande ne serait pas ce qu’elle est devenue…
    Il faut y penser, pour chercher à intervenir dans les décisions de son conseil municipal et d’autres instances entérinants des lois et règlements (plan de déplacement de son enteprise, par ex).

  12. Jean-Marc

    autoquote du 3 oct :
    « des tests ont été fait : plus une route est large, moins elle a d’obstacle la bordant (arbre, potelets, poubelles) ou plus ils sont éloignés de la chaussée, [et] plus les gens roulent vite »

    de Jeff :
    « Il n’y a pas eu de mouvement populaire pour demander une réduction de la vitesse (voir le succès misérable de la campagne européenne sur le passage des centres-villes à 30Km/h : http://fr.30kmh.eu/).

    C’est plutôt le contraire : « on nous empêche de rouler », « il n’y a plus de liberté », « on est une pompe à fric »,…. Tous les poncifs du bagnolard »

    Oui… et celà risque de s aggraver :

    le comité d expert du conseil national de la sécurité routière s est réunit, et à donné un rapport.

    il préconise une très bonne mesure :
    réduire le 90km/h à 80km/h, afin de diminuer le nombre d accident, et de réduire (très légèrement…) les conséquences de ces accidents.
    ils estiment que cette mesure permettrait d’éviter 450 morts par an.

    mais il préconise aussi une mesure aberrante :
    comme des automobilistes meurent en rentrant dans un feu, un lampadaire ou un arbre,
    il faudrait les couper, ou les éloigner de la chaussée.

    C est complétement crétin :
    l arbre ou le réverbère n a pas sauté sur la voiture…

    au départ, on a une perte de contrôle

    et, reculer/enlever les obstacle risque d entrainer des conduites beaucoup plus dangereuses, créant ainsi plus de morts et de blessés dans l habitacle…

    Et, si l automobiliste ayant perdu son contrôle, n avait pas rencontré un arbre/réverbère/feu/panneau, il aurait sans doute continué sa course folle plus longtemps… ce qui aurait augmenté ses chances de rencontrer des piétons…
    En les enlevant / reculant, les piétons exposés seront plus nombreux…

Les commentaires sont clos.