La famille Quandt

C’est une bien belle histoire de famille que celle de la famille Quandt, principal actionnaire du groupe automobile allemand BMW. Après avoir profité largement du système nazi durant le Troisième Reich, la famille Quandt fait aujourd’hui du lobbying actif pour faire baisser les objectifs européens de réduction des émissions de CO2 dans le secteur de l’automobile.

Le lobbying peut aujourd’hui être considéré comme consubstantiel du capitalisme. Mais là, la pilule est un peu grosse à avaler. Johanna Quandt et ses deux enfants, Stefan Quandt et Susanne Klatten (photo), qui, à eux trois, détiennent 46,7 % du capital du constructeur automobile BMW, ont, mercredi 9 octobre, donné chacun 230.000 euros à l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel, soit au total 690.000 euros (1).

On connaissait les dons aux partis politiques pendant les campagnes électorales, mais là, les élections sont terminées depuis un mois maintenant! Et cinq jours après ce don de la famille Quandt, Peter Altmaier, ministre allemand de l’environnement, parvient miraculeusement à convaincre ses collègues européens de reporter un vote sur la réduction des rejets de CO2 des voitures à 95 grammes par kilomètre en 2020. Cette mesure est farouchement combattue par les constructeurs automobiles allemands, spécialistes des grosses berlines polluantes, qui veulent repousser au maximum les contraintes de réduction des émissions de CO2.

Évidemment, il ne faut y voir aucun rapport. D’ailleurs, dès juillet dernier, la chancelière allemande Angela Merkel s’était explicitement opposée au projet européen de réduction des rejets de CO2 par les nouvelles voitures à 95 g/km à partir de 2020. (2) Par ailleurs, on apprend en fait que ce don était prévu depuis le début de l’année, mais cela n’a sans doute eu aucune influence sur les positions de la chancelière allemande durant l’été. (3)

Selon le porte-parole de la famille Quandt, ce don est une forme de reconnaissance « pour la politique très réussie de la chancelière pour surmonter la crise de l’euro ». Du côté de la CDU, on précise « que les Quandt les soutiennent depuis de nombreuses années ».

Le quotidien allemand des affaires, le Handelsblatt, a fait sa « une » sur « l’auto-chancelière », notant qu' »aucune autre branche (économique) n’a un tel accès au pouvoir ». De son côté, l’ONG Transparency International (qui lutte contre la corruption des gouvernements), très influente en Allemagne, est plus radicale. Sa présidente, Edda Müller, a reproché à la CDU d’être « un homme de paille de l’industrie automobile ».

Ceci dit, il apparaît assez clairement que tous les partis politiques allemands touchent de l’argent de BMW. Ainsi le SPD (parti social-démocrate) aurait touché en début d’année 107.376 euros (sous forme de voitures!) et le Parti libéral aurait reçu quant à lui 69.081 euros. (3)

C’est bien là le problème. A vrai dire, ce don de 690.000 euros à la CDU tombe sans doute très mal du point de vue timing, mais cela reste une peccadille pour la famille Quandt, un don parmi d’innombrables autres dons étalés sur des décennies.

Et que représentent au bout du compte 690.000 euros? A peine le prix de 6 ou 7 voitures BMW, soit pas grand chose pour une famille dont les membres occupent la cinquième (Susanne), neuvième (Stefan) et dixième (Johanna) place dans le classement des fortunes allemandes (26 milliards d’euros en 2007).

En fait, c’est moins ce don-là qui pose spécifiquement problème que ce qu’il révèle des accointances entre la famille Quandt et le pouvoir politique allemand depuis plusieurs décennies.

Tout commence avec Günther Quandt, fils d’un fabricant de drap, qui se lance dans l’industrie durant la première guerre mondiale. Très vite, son entreprise devient le principal fournisseur de l’armée allemande (textile, matières premières, armement).

Günther Quandt a une première femme, Antonie Ewald, avec laquelle il a deux enfants, Hellmut et Herbert.

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Le 4 janvier 1921, Günther Quandt, âgé de 40 ans, se marie en secondes noces avec Magda Ritschel (1901-1945) qui n’a alors que 19 ans. Un enfant va naître de cette union, Harald. Or, Günther et Magda divorcent en 1929. Et Magda épouse ensuite en 1931 un certain Joseph Goebbels, qui deviendra par la suite le ministre de la propagande du Troisième Reich.

Durant le Troisième Reich et en particulier durant la seconde guerre mondiale, la famille Quandt s’enrichit considérablement. En premier lieu, en profitant de l’aryanisation des biens juifs, de nombreuses entreprises juives étant cédées à vil prix à des industriels allemands, dont Günther Quandt. Ainsi, le cas de l’industriel luxembourgeois Léon Laval qui dut céder, sous les pressions répétées de la Gestapo, son entreprise à l’empire Quandt n’est qu’un exemple parmi d’autres. (4)

Ensuite, Günther Quandt profite également des commandes de l’armée allemande qui devient son premier fournisseur. Mais surtout, les Quandt participent activement à l’exploitation des travailleurs forcés. Dépourvu de scrupules, le groupe Quandt a employé jusqu’à 57.000 travailleurs forcés, souvent dans des conditions inhumaines.

En novembre 2007, la Norddeutsche Rundfunk a présenté le film Das Schweigen der Quandts (Le Silence des Quandt). Le film montre des centaines de prisonniers devenus incapables de travailler après avoir servi dans l’usine d’accumulateurs des Quandt à Hanovre-Stöcken (ex Varta) et logés dans une succursale du camp de Neuengamme. Ils furent déportés à Gardelegen et y furent assassinés dans la grange d’Isenschnibbe.

L’espérance de survie à Stöken ne dépassait pas six mois. Le site était dirigé par le fils de Quandt : Herbert Quandt. Chaque mois environ 80 déportés mouraient et devaient être remplacés. C’est ce qu’on appelle sans doute une gestion très serrée des ressources inhumaines.

En 1945, dans le bunker d’Adolf Hitler, Joseph et Magda Goebbels se suicident, après avoir assassiné leurs six enfants (Helga, Hilde, Helmuth, Holde, Hedda et Heide). Seul Harald, le fils de Magda Goebbels et Günther Quandt, va survivre.

Étrangement, Günther Quandt et Herbert Quandt, gravement compromis avec les Nazis, seront très peu inquiétés après-guerre. (5)

Libéré en 1947, Harald va diriger et développer avec son demi-frère Herbert, le spécialiste des ressources inhumaines, l’empire industriel de leur père, composé entre autres de BMW (Bayerische Motoren Werke).

Le père Günther Quandt meurt en 1954 après avoir légué conjointement à Herbert et Harald la gestion de l’empire.

Aujourd’hui, nous retrouvons Johanna Quandt et ses deux enfants, Stefan Quandt et Susanne Klatten. Johanna est la troisième femme et ex-secrétaire d’Herbert Quandt. Stefan Quandt et Susanne Klatten sont donc les enfants d’Herbet Quandt, les petits-enfants du fondateur et les neveux de Harald Quandt, le fils de Magda Goebbels.

Tout ce petit monde émarge désormais aux classements des milliardaires les plus importants de la planète. Autant vous dire qu’on n’est pas à 690.000 euros près…

1- Quand BMW soigne « l’auto-chancelière » Merkel, Le Monde, 16/10/2013.
2- Automobile : Merkel s’oppose au projet de réduction des rejets de CO2, Le Monde, 05/07/2013
3- Le don des actionnaires de BMW à la CDU provoque un débat sur le financement des partis, Le Monde, 16/10/2013
4- Les entreprises allemandes et le national-socialisme : l’exemple de la famille Quandt, Markus Gabel, La Documentation française.
5 – BMW : la famille Quandt rattrapée par son passé nazi, Libération, 22/11/2007

12 commentaires sur “La famille Quandt

  1. Vincent

    > Cette mesure est farouchement combattue par les constructeurs automobiles allemands, spécialistes des grosses berlines polluantes, qui veulent repousser au maximum les contraintes de réduction des émissions de CO2.

    Entre ça et le développement des centrales élecriques au charbon, on se demande pourquoi l’Allemagne continue à être le modèle pour les écolos.

    Avec ses plus petits bagnoles et ses centrales nucléaires, la France est plus écolo 😀

  2. Rapha

    Coucou,

    Moué on se demande pourquoi c’est le modèle, mais en même temps, le nucléaire n’est pas propre, à quasi aucun moment entre l’extraction et l’enfouissement…

  3. paco

    Chassez le diable par la porte, il revient par la fenêtre…

    PS: l’origine évidente du mot « berline » ne m’avais jamais percuté jusque là.

  4. Eskamotable

    Un peu hors sujet mais je me demande d’où vient que les petits de Goebbels portent tous la même initiale.

  5. Lomoberet

    Globalement, à part pour quelques familles juives, et . . . . 20 millions de soviétiques, cette joyeuse deuxième guerre mondiale a été une bonne affaire

  6. Pédibus

    Qu’en-dira-t-on, Peugeot, Porsche et les autres familles à tuyau de poêle ce qui est sûr c’est que ça pue, et pas seulement du pot d’échappement…

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