Ils livrent tout, par tous les temps et à l’heure… à vélo!

Au pays du vélo, Eddy Merckx a fait des émules. Mais pas forcément pour la compèt’. A Bruxelles, une jeune entreprise lance la livraison à vélo, de la simple lettre au canapé trois places, et se montre tout aussi efficace, sinon plus, que les services de livraison motorisés, tout en proposant une alternative à l’étouffement du trafic automobile bruxellois.

Correspondance, Bruxelles

Un colis à livrer ? Une lettre ? Une machine à laver ? Pas besoin d’appeler une camionnette ou un service de livraison polluant. Pour le même prix, et par la simple force de leurs jambes, et de leur guidon, les livreurs à vélo de “Dioxyde de Gambettes” amèneront vos envois à bon port, quelle que soit la météo, et sans jamais souffrir des embouteillages.

Dioxyde de Gambettes, c’est le nom de la petite entreprise bruxelloise fondée en 2009 par Damien Lesca (34 ans). Une structure de trois personnes, qui pédalent à contre-courant, et qui a transporté 38 tonnes – l’équivalent d’un semi remorque – l’an dernier, sans jamais déroger à la sacro-sainte règle de la ponctualité.

“Tout est parti d’un constat” explique Damien Lesca. “Bruxelles est étouffée par le trafic, notamment par les centaines de milliers de voitures qui y entrent chaque jour, conduites par des gens qui n’y vivent pas et qui viennent pour y travailler.”

“Ces automobilistes”, poursuit-il, “voient notre ville comme un grand parking. L’espace public se réduit chaque jour un peu plus au profit des voitures.” Des voitures où les gens sont seuls, le plus souvent, et qui donnent à Damien Lesca un profond sentiment d’étouffement. “Il y a cent quarante sociétés de livraison enregistrées à Bruxelles. Chaque jour on brûle du pétrole pour transporter des petites enveloppes dans des grandes camionnettes. C’est un véritable gaspillage des ressources naturelles, un vrai gâchis.” Le concept de Dioxyde de Gambette était né.

Damien Lesca s’achète un vélo danois muni d’une sorte de benne à l’avant, auquel il est possible de rajouter une remorque, au besoin. Il commence seul mais est vite rejoint par deux comparses, Fanny et Thomas, qui permettent à l’entreprise de couvrir les dix-neuf communes (arrondissements) bruxelloises pour des envois allant de la simple enveloppe au canapé trois places !

L’avantage d’avoir recours à un livreur à vélo est double : il est “eco-friendly”, et aujourd’hui beaucoup de particuliers et d’entreprises intègrent la dimension d’empreinte écologique dans leurs comportements.

Il est économique, ensuite, puisque Damien et ses collègues se faufilent sans problème à travers les voitures. “Certains clients, comme les snacks ou les traiteurs, ont un besoin impératif que la commande arrive à l’heure. S’ils envoient leurs sandwichs en camionnette, ils courent le risque que la commande soit bloquée des heures dans un embouteillage.”

Dans une ville où la mobilité est catastrophique Damien a donc trouvé un bon créneau. Les clients ne manquent pas, des plis administratifs aux distributions de magazines, en passant par les déménagements et la livraison de paniers bios. Mais la structure mise en place il y a quatre ans a tout de même du mal à se développer.

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“Je sens qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure. Il faudrait mettre quelqu’un à temps plein à l’administratif, engager plusieurs cyclistes, acheter d’autres vélos, commencer des livraisons en tandem pour des envois plus lourds. Mais il n’y a pas de soutien des pouvoirs publics. On est dans le règne de la machine. Si je voulais acheter un camion électrique, je l’aurais presque gratuitement grâce aux primes de la Région. Mais pour embaucher des cyclistes il n’y a rien. Personne ne s’intéresse à une structure de trois personnes.”

Damien craint l’arrivée, un jour, d’un investisseur qui mettra d’un coup vingt-cinq vélos sur le terrain et viendra tuer dans l’oeuf cette belle entreprise qu’il s’efforce de faire éclore. Mais en attendant, lui et ses amis se sont lancés il y a quelques jours dans un défi de taille : amener 450 kilos de sapins depuis les Ardennes belges vers Bruxelles (180 kilomètres) en trois jours.

“Ce défi, c’était l’occasion de montrer au grand jour tout ce qu’il est possible de transporter à vélo. On peut transporter presque tout, et pas seulement les petits colis. C’est aussi une volonté de prise de conscience autour de la notion de “Sport utile”. Une notion qui naît au regard des parcs bruxellois, pris d’assaut sur le temps de midi par des centaines de joggeurs qui se dépensent pour préparer des marathons mais effectuent tous leurs déplacements en voiture. Dans la société d’aujourd’hui, les gens travaillent tellement qu’ils n’ont plus le temps d’être en mouvement. Par contre, certains vont dépenser une énergie folle à réaliser des exploits parfaitement inutiles.”

A travers leur métier, Damien, Fanny et Thomas, prouvent qu’on peut rester en forme tout en gagnant sa vie et en inventant d’autres manières de participer à l’économie.

Source : Grégoire Comhaire pour Reporterre

13 commentaires sur “Ils livrent tout, par tous les temps et à l’heure… à vélo!

  1. Vincent

    > Bruxelles est étouffée par le trafic

    S’il y a des lecteurs bruxellois dans l’assistance : à quoi est dû l’engorgement de BXL?

    La place bien maigrelette du vélo à BXL est d’autant plus étonnante que la ville se trouve quand même en Flandres, où le transport en vélo est très développé.

    > S’ils envoient leurs sandwichs en camionnette

    Les livreurs de pizza/sandwiches à BXL ne roulent pas en scooter?

    > Mais en attendant, lui et ses amis se sont lancés il y a quelques jours dans un défi de taille : amener 450 kilos de sapins depuis les Ardennes belges vers Bruxelles (180 kilomètres) en trois jours.

    À supposer que le train qui relie les Ardennes belges à BXL roule à l’électricité et que celle-ci soit produite par des centrales nucléaires, une solution plus rapide et également décarbonnée* aurait été de mettre les sapins dans le train et de les récupérer à BXL pour les livrer à vélo.

    Le sapin multimodale, en somme.

    > C’est aussi une volonté de prise de conscience autour de la notion de “Sport utile”.

    Exactement. Avec la fin du pétrole, voilà un autre argument que les associations de cyclistes devraient utiliser plus souvent pour convaincre les autorités d’investir dans les modes de transports décarbonés.

    * en tt cas, beaucoup moins que des centrales thermiques

  2. Pedibus

    « à quoi est dû l’engorgement de BXL? »
    – aux infrastructures routières nouvelles ayant éventré la ville?
    – au projet de RER toujours remis à + tard?
    – à une absence de maîtrise foncière et de cohérence dans les projets d’urbanisme de la région?

  3. Driss

    Cher Vincent,

    En tant que bruxellois (habitant de la Région Bruxelloise, subdivision de l’Etat Fédéral qu’est la Belgique) permettez-moi de vous répondre. Premièrement Bruxelles (donc la Région Bruxelloise ne pas confondre avec la Ville de Bruxelles-Capitale) est une région autonome (donc avec son propre parlement et exécutif et ses lois que nous appelons ordonnance) au même titre que la Région wallonne (sud du pays, majorité francophone avec une zone germanophone) et la Région flamande (sud du pays, majorité néerlandophone). Donc non elle n’est pas en Flandre.

    Ceci étant dit, la mobilité est une compétence régionale et donc chaque région en fonction de son législatif et exécutif et de ses moyens (les flamands sont riches c’est bien connus) adopte une politique différente en matière de mobilité.

    En ce qui concerne Bruxelles le problème est que les centaines de milliers de véhicules qui y passent sont essentiellement des travailleurs des 2 autres régions. Qui pour rien au monde n’accepterai de prendre le train (la Belgique possède un réseau ferroviaire très développé). Pourquoi? Car les tarifs du chemin de fer sont devenus exorbitants, la SNCB supprime de plus en plus d’arrêt et de train (faire rouler un train à vide coûte moins cher qu’avec des passagers à bord merci l’Union européenne), et que les trains ne sont jamais à l’heure.

    Oui certaines sociétés de livraison utilises des scooters (souvent des étudiants pas toujours dispo) mais de plus en plus on demande au livreur d’utiliser leur propre véhicule (l’autre jour un livreur Domino pizza avec sa voiture) comme ça, le patron ne paye pas d’assurance en plus pour le véhicule…. (bonjour l’esprit des lois)….

    Nos trains (à 2 exceptions) roulent en effet à l’électricité, plus de 55% de l’électricité belge est produite par des centrales nucléaires (8 réacteurs au total). Mais dans ce cas il aurait fallu utiliser le service de train de marchandise (compter à partir de 1000€ le wagon) voir le container également…Et quand on sait que chez nous les pépinières ont des patrouilles armées (pour éviter le vol), le transport par train n’est pas forcément le plus safe…. Mais en effet, c’est le multimodale (comme la compagnie Vert chez vous à Paris) qui devrait être développé.

    Il se fait que la région bruxelloise malgré l’augmentation du nombre de cycliste, le combat constant des associations et groupes cyclistes (des 2 communautés linguistiques) a une fâcheuse tendance à faire du tout à la voiture, que le gouvernement fédéral aussi (ah ben oui vu comment l’industrie auto c’est cassé la gueule en Belgique, allons y convainquons tout le monde d’acheter un cercueil de tôle et d’acier pour enrichir les porte-feuilles du groupe VW…) et donc voilà le problème….Notre ministre bruxelloises de la mobilité est d’ailleurs une andouille qui préfère débloquer un budget pour peindre les feux de signalisations en jaunes et bleu (couleurs de la région) histoire de faire comme les flamands (jaune & noir couleurs de la Flandre) plutôt que d’allouer ce budget au tracé de pistes cyclables… Rajouté à cela les constants conflits entre chaque commune qui ont toute un bourgmestre (maire) des échevins (adjoints au maire) et conseil communale (municipale) avec eux aussi leur vision de la mobilité et les conflits que ça entraine et tadam…Bienvenue à Bruxelles 🙂

  4. puic_puic

    L’engorgement de Bruxelles est dû en grande partie au fait que le citoyen belge aime sa voiture.
    Depuis la moitié du siècle passé on a tout fait pour que la voiture puisse aller partout, jusqu’au coeur même de la ville, sur la grand place de Bruxelles. Mais Bruxelles est une ville avec une morphologie particulière: une échelle réduite, une densité importante et des voiries de petites tailles. C’est une ville chargée d’histoire, une ville construite avant la voiture, une ville que l’on a essayé de tailler, de percer, d’ouvrir, pour permettre le passage de l’automobile. Mais cela présente des limites.
    Aujourd’hui on essaie tant bien que mal de faire marche arrière, mais ce n’est pas sans peine, vu que la politique des années passées allait dans le sens du tout à la voiture et à la voiture pour tous.
    Il y a donc une période difficile où le nombre de véhicules est trop important pour la capacité de la ville. Mais n’ayons pas peur, petit à petit les gens s’adapteront. L’humain à cela de formidable: sa capacité d’adaptation. C’est pour cela qu’il faut tenir bon et continuer dans le bon sens, le sens de la raison, le retour à la ville « humaine ».

  5. pédibus

    Puic_Puic où en est-on à Bruxelles pour ce qui concerne un réseau de RER qui ressemble à quelquechose approchant ce qui existe à Zurich par exemple?
    Existe-t-il également un plan piéton? Et quelles sont les réalisations concrètes, quel phasage, quelles échéances…?

    « […] le citoyen belge aime sa voiture. » Il y aurait donc des Européens bagnolophobes autour du royaume…?

  6. Puic_puic

    @ Pédibus:
    Le réseau RER est inexistant certe. Et pour un long moment encore, même si certains avancent l’idée d’un REB, un réseau express bruxellois, c’est à dire l’utilisation du réseau ferroviaire intra urbain comme un métro. Ceci implique le développement de gares existantes (et nombreuses) et la création de nouveaux points d’arrêt. Malheureusement cela ne semble pas représenter un investissement suffisament intéressant pour la SNCB et surtout cela risque de renforcer encore la saturation du réseau. Pas trop d’espoir de ce côté là pour le moment donc.
    Le plan piétons? J’avoue que je ne sais pas s’il existe réellement un plan piétons. On parle bien de « piétonniser » certaines zones de la capitale, mais c’est à chaque fois la levée de bouclier des riverains et surtout des commerçants. Donc rares sont encore les politiciens qui osent s’aventurer ouvertement sur cette voie là. Mais tout de même, l’idée semble rester dans les cartons et refaire surface de temps à autre. Espérons qu’avec le temps, cela finira par être accepté par les Bruxellois.
    Dans cette logique de réflexion et surtout de mise en avant d’alternatives, Il y a plusieurs projets et appels à projets qui ont été lancés par la région: Toolbox Mobility – entraver le trafic de transit dans les quartiers bruxellois, Quartiers durables,… bref une série d’action dans le sens du développement local intégré, partant de l’idée que si la démarche et la réflexion vient du citoyen, elle sera plus facile à faire accepter par tous. C’est assez intéressant et porteur je pense.
    Mais au compte de 5 ou 6 projets par an, la voie est encore longue avant le salut de l’ensemble de la capitale…
    Surtout qu’en terme de mobilité, si on n’applique pas une réflexion globale, chaque intervention déplace le problème et est perçue comme une entrave au reste. En réalité, le gros problème c’est la mentalité du citoyen lambda qui est formaté à l’usage unimodal de la voiture. Tant que chacun ne prendra pas ses responsabilités au lieu de se plaindre et de continuer à faire « comme-on-a-toujours-fait » rien ne peut évoluer. Le problème c’est pas la voiture, c’est la quantité de voitures et l’usage qu’on en fait. La question existentielle est: comment faire évoluer la mentalité des gens?
    Pour moi dans un sujet aussi dense et aussi fondé sur l’individualisme, le seul salut est une politique volontariste, qui ne craint pas les mesures impopulaires. Une politique basée sur une réflexion globale sur la ville et qui « imposerait » le réaménagement de l’espace publique aux citoyens. Dès lors, l’usager s’adaptera et réalisera à quel point il se leurrait. Là il y aura évolution. Mais bon….

  7. pédibus

    OK
    et au sujet du stationnement payant, à quelle proportion du territoire de l’aggo bruxelloise ça correspond?
    quelle est la situation des mentalités pour le péage urbain : chez les associations environnementalistes, chez les habitants, chez les décideurs…?

  8. Puic_puic

    Il y a eu un plan de stationnement régional (il faut savoir que Bruxelles est composée de 19 communes qui jusqu’à présent avaient chacune leur propre plan de stationnement…) présenté il doit y avoir une petite année (à vérifier?) et il a été fort décrié autant du côté politique que des habitants eux-même et même du point de vue des personnes habitant en périphérie et qui viennent travailler à Bruxelles! Et comme toujours, on s’écrase (sic) et on retarde la date d’application, on met en place un semi plan, on n’applique pas les sanctions,… bref, je ne sais même plus où il en est. Mais ce qui est effrayant, c’est que les gens voient cela comme une atteinte à leurs droits, comme une enième taxe déguisée. Peu sont ceux qui voient derrière ce plan une mesure coordonnée à la région entière pour dissuader l’usage de l’auto, et donc en définitive pour diminuer la pression automobile. C’est assez révélateur de la contradiction de l’esprit humain: je râle pcq je ne trouve pas de parking, parce que je ne sais plus rouler (vite) avec ma voiture, mais lorsque l’on essaie de mettre en place des mesures pour un mieux, je continue à râler, mais sur les mesures cette fois… Les gens voudraient avoir tout mais sans en payer les conséquences, forcément. Mais en l’occurence, en question de voiture, le prix d’une place de parking n’est rien en rapport au coût réel sociétal de l’usage d’une voiture (sécurité sociale, santé, infrastructure,…)
    A nouveau, seul le temps et le fait accompli feront muer les mentalités.

    Pour le péage urbain, Bruxelles n’en est nulle part, si ce n’est un pseudo débat mais qui patauge un peu. C’est un des gros points à l’ordre du jour dans les discussions pré-électorales.

  9. pedibus

    Pas très risou tout ça… A Bordeaux même topo qu’à Bruxelles… Enfin je vois que tu gardes le moral… Là est l’essentiel.

  10. Puic_puic

    Bah comme les médias aiment à le relever, Bruxelles est la ville la plus embouteillée du monde.. (je ne comprends toujours pas comment on compare 2 villes en terme de mobilité mais soit)
    Donc, si on ne garde pas le moral, je ne donne pas cher de notre santé mentale 😉
    Et puis perso, je n’ai aucun problème à me déplacer à Bruxelles. Mes pieds, mon vélo et les transports publics me conviennent parfaitement.
    Et pourtant je traverse le centre tous les jours.

    Et donc Bordeaux c’est pas folichon non plus?

  11. pédibus

    pas folichonne la situation à Bordeaux…

    pour un pôle urbain de 800.000 habitants seulement 3 lignes de tram actuellement : succès assuré, confit de hareng en caque garanti toute la journée…

    côté trottoir on peut considérer qu’un sur deux sert le plus souvent de parking…

    le libre service vélo existe certes, mais le seul stationnement automobile illicite pose problème sur les bandes cyclables…

    pour le reste, et sans doute comme ailleurs, bien plus de discours que de réalisations…

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