Le règne de la machine

Voici un passage intéressant extrait du livre « En marchant au pas des goums dans le désert » écrit par Michel Menu (éditions SEDIAC, 1980).

« Nous sommes, depuis plus d’un siècle, manifestement, en pleine phase de surchauffe de la Politique, avec la persuasion croissante qu’une bonne « organisation », savamment calculée à la Saint-Simon, et méticuleusement prévue jusque dans… le détail, à la Karl Marx, ne peut que parfaire nos rendements sociaux. L’Ere des Organisateurs (J. Burnham) bat son plein. La technocratie lui donne des ailes (J. Lesourne) ou, des…frayeurs épouvantables (M. Crozier).

Le développement de la circulation des autos nous fournit, d’ailleurs, un exemple assez réaliste de ce genre d’engouement. Il est assez évident, en effet, qu’à partir du moment où les citoyens deviennent des mobiles d’une tonne, lancés à toute vitesse, il nous faut un « système de circulation » avec les mêmes normes pour tous, les mêmes signaux impératifs, les mêmes conditions de manœuvre. Il ne l’est pas moins que, pour établir et imposer ce Code de la Route, il nous faut absolument une Autorité (politique) totalement centralisée, des structures uniques de distribution et d’apprentissage, des moyens de contrôle objectifs.

Quant aux conducteurs, ils se doivent, bien entendu, d’évacuer de leurs comportements toute initiative ou appréciation « personnelle ». Notre système de circulation n’atteindra, en effet, son rendement… idéal qu’à partir de l’instant où tous les pilotes seront devenus des robots, obéissants aveuglément à un réseau de signaux automatiques. Ça crève les yeux. C’est, en somme, par nécessité, que nous devenons des machines plus ou moins télécommandées.

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Il y a encore, malgré tout, quelques ratés et, depuis un quart de siècle, on tue, bon an mal an, sur les routes de France, 12 à 15.000 hommes, femmes et enfants. Mais ces avatars ne nous ont nullement dissuadés d’établir des systèmes similaires dans l’instruction collective, l’économie ou les loisirs. Les massacres y sont, certes, moins faciles à chiffrer, mais, dès lors que des individus se concentrent en masses compactes, il n’est pas d’autre solution, semble-t-il, pour leur éviter de s’entrechoquer, dans tous les domaines où ils se côtoient, que celle de l’établissement d’un Cerveau ou d’un Pouvoir central puissant, capable de concevoir un Ordre général et de le faire respecter. »

En marchant au pas des goums dans le désert
Michel Menu
Sediac 1980

Photo: sculpture de Wolf Vostell