Les voitures invisibles

Nous parlions récemment des quartiers sans voitures qui se développent à l’étranger tout en déplorant le retard français en la matière. Nous nous étions trompés car en fait la France semble particulièrement en avance en matière de « quartiers sans voitures », avec une innovation sans précédent, à savoir les « quartiers avec voitures invisibles ».

Projet d’éco-quartier « avec voitures invisibles » sur l’île-Saint-Denis

Le concept des « voitures invisibles » mérite d’être explicité pour bien comprendre cette innovation urbanistique française. Autrefois, on pensait naïvement qu’à l’An 2000, on aurait des voitures volantes, non polluantes bien sûr, et donc plus de problèmes de bouchons ou de voitures omniprésentes sur l’espace public. On était loin du compte…

A défaut d’avoir des voitures volantes et non polluantes, nous avons désormais des « voitures invisibles ». En fait, ce sont bien des voitures « normales », c’est-à-dire polluantes et qui ne volent pas, mais on les cache dans d’immenses parkings silos à l’entrée de ce que l’on appelle des « éco-quartiers » ou même des « quartiers sans voitures ».

Le Certu en a même fait un article tout en nuances en parlant de « voitures cachées ». On y parle de quartiers sans voiture… apparente. Ces quartiers se fondent sur le principe de son effacement de l’espace public, à travers des solutions originales en matière de circulation et de stationnement.

L’idée de base est la suivante: les voitures sont dangereuses (vitesse, accidents), bruyantes, polluantes et stressantes. Dans le cadre de la mise en place d’un éco-quartier certifié 150% « bon pour la planète et les petits oiseaux », la voiture fait tâche. Car, en plus des inconvénients majeurs pré-cités, les voitures ont la désagréable habitude de se multiplier et d’occuper tout l’espace public urbain.

Dans ce contexte, comment voulez-vous vendre l’idée d’un éco-quartier labellisé quand il est couvert de voitures diesel? Le greenwashing a ses limites et vous aurez beau parer votre éco-quartier de panneaux solaires, de logements BBC, passifs, BEPOS ou autres technologies vertes, cela restera un quartier rempli de bagnoles dangereuses et polluantes.

Ecoquartier « avec voitures invisibles » à Roubaix-Tourcoing-Wattrelos

A l’étranger, comme aux Pays-Bas, en Suisse ou en Allemagne, ont été mis en place des quartiers sans voitures ou « pauvres en voitures ». Ce sont des quartiers où les habitants s’engagent à ne pas posséder de voiture. En général, il n’y a pas de stationnement individuel ou alors fortement contraint, mais la présence d’une centrale d’autopartage et pour le reste, les habitants se déplacent à pied, à vélo et en transports en commun.

En France, apparemment on ne sait pas faire (sans voiture). Alors on crée des quartiers sans voitures (apparentes), avec des voitures invisibles. Sur les images de communication, les quartiers en question ont l’air complètement « carfree », particulièrement agréables avec leurs espaces piétons et vélos, leurs transports en commun, leurs espaces verts (très importants, les espaces verts!) et la douce quiétude qui va avec cette absence manifeste de l’automobile.

Lire aussi :  Campagne "Une voiture en moins"

Sauf que les voitures ne sont pas très loin, elles sont en général stockées dans un immense parking silo à l’entrée du quartier. C’est même assez comique, le Certu parlant ainsi de « parc de stationnement décentré [conçu comme] le symbole quelque peu paradoxal des Ecoquartiers« .

Un parking de voitures en silo qui devient le symbole des éco-quartiers? On croit rêver… Et, pour faire passer la pilule sans doute, le parking en question se doit d’avoir des panneaux solaires ou autres façades végétalisées…

Projet de parking silo multifonction dans l’Ecoquartier de l’Union à Roubaix-Tourcoing-Wattrelos (Sources : Référentiel dynamique développement durable de l’Union – Idé – SEM Ville Renouvellée)

Certes, un quartier où la voiture est refoulée dans un parking et n’occupe plus abusivement l’espace public, laissant se développer d’autres usages, est toujours bon à prendre. Pour les habitants du quartier en question, c’est à n’en pas douter une meilleure qualité de vie, avec moins de bruit, moins d’accidents, moins de stress et moins de pollution.

Mais, d’un point de vue global, cela ne change pas grand chose. La voiture reste le mode de déplacement principal des habitants du quartier pour aller au travail, faire les courses, visiter les amis ou la famille, etc. En termes de consommation d’énergie, d’émissions de polluants et de CO2, c’est quasiment la même chose.

En effet, après avoir parcouru 10, 20 ou 50 km en voiture, cela ne fait pas grande différence de se garer devant chez soi ou dans le parking silo situé à 150 mètres.

La seule différence, c’est que la pollution se retrouve déportée (ailleurs), créant une distinction entre les habitants (privilégiés) du quartier « sans voitures » et les habitants des autres quartiers qui continuent eux de subir la présence des voitures, en particulier des voitures des habitants du quartier « sans voitures » en transit!

Imaginons un peu le futur. Dans 30 ou 50 ans, quand il y aura une multitude de « quartiers sans voitures » de ce type, où iront les voitures des habitants? Vous sortirez avec votre voiture de votre « quartier sans voitures » pour vous retrouver immédiatement dans un nouveau quartier « sans voitures »?

Sauf à imaginer une succession de « quartiers sans voitures » séparés… par des voies rapides ou autres autoroutes…

Bref, les « quartiers sans voitures » à la française sont une impasse (automobile). Construisons de véritables quartiers sans voitures, connectés à la ville, sans stationnement automobile, avec de l’espace pour les piétons et les vélos, des transports en commun de qualité et des centrales d’autopartage pour l’utilisation ponctuelle d’une voiture éventuellement. Et encore, il serait préférable sans doute d’y prévoir des centrales de partage de vélos-cargos afin d’y développer la vélogistique!

17 commentaires sur “Les voitures invisibles

  1. Michel

    Ce qui me gêne dans ce genre d’article c’est que cela donne l’impression que soit on est un accro primaire à la bagnole soit on est ayatollah du vélo /marche à pied/TER/TEC…
    Alors ok ces parkings silo ont quelque chose d’hypocrite dans la conception des « éco-quartier », en attendant, ne plus avoir sa bagnole dans « son » garage et déjà une belle étape de franchie. Il s’agit bien d’une première étape pour les futurs habitants qui se rendront pour certains compte qu’ils auront intérêt à prendre le vélo ou les TC plutôt que de rejoindre ce fameux parking silo.
    En passant, il faut arrêter avec le coté idyllique de ces même quartiers chez nos voisins car si certains habitants se passent réellement de bagnole, il en reste qui les garent à l’entrée du quartier… Coté hypocrisie on a rien inventé!
    Ce qui me réjouit quand je vois le développement de ce genre de quartier c’est que la voiture est maintenant présentée comme une nuisance. Rien pour ça, ça me plait bien. Quand cette idée de nuisance sera assez forte au sein de la population alors la population demandera ou sera prête à accepter d’aller plus loin dans la diminution d’attribution d’espace public à la voiture.

  2. paladur

    Nous avons déjà les pubs pour voiture sans voiture autre que celle dont on fait la promotion. Pas de bouchon, circulation fluide, route déserte, pas de piéton ni de vélo qui ne font qu’empiéter sur son beau ruban d’asphalte. Le bonheur, quoi!!

  3. SanSan

    et ainsi je constate qu’on était super en avance sur notre temps dans les années 70 quand a été construit à Choisy-le-Roi une série de tours et immeubles sur dalle. Les parkings sont en dessous, et tout l’espace de la dalle est piéton. Comme tous les services publics sont accessibles à pied, on ne prends pas sa voiture pour y aller…

  4. pédibus

    Continuer à produire de l’énergie primaire génératrice de gaz à effet de serre parce qu’on prétend pouvoir stocker de façon stable du CO2…

    Stocker la cause d’une des principales difficultés de la vie en ville – l’environnement en général et à toutes les échelles – en la dissimulant…

    Une tendance lourde du conservatisme des sociétés pour s’épargner le « changement »?

    Une preuve supplémentaire que la « période historique actuelle  » – depuis la fin des années 1960? – est assimilable à une éclipse relativement aux espoirs qu’auraient pu faire naître d’autres moments – Renaissance, Lumières, gouvernance mondiale foireuse ou hésitante depuis le début du 20 ème siécle…? – ?

    On pourrait avoir l’impression que les manipulateurs dominent encore les innovateurs…

  5. struddel

    De PALADUR « Nous avons déjà les pubs pour voiture sans voiture autre que celle dont on fait la promotion. Pas de bouchon, circulation fluide, route déserte, pas de piéton ni de vélo qui ne font qu’empiéter sur son beau ruban d’asphalte. Le bonheur, quoi!! »

    J’ai même aperçu pour une sorte de 4×4 utilitaire ou les vélos sont … dans la voiture !

    Une belle route de montagne avec plein de nature autour pour aller faire du vélo, c’est très vert tout ça, heureusement que le gros 4×4 permet d’arriver à ce lieu merveilleux …

    Pour le reste, je suis parfaitement d’accord avec l’esprit de cet article, je pense la même chose des énormes parking-relais en périphérie des villes pour ma part, mais bon, d’ici à ce qu’on m’explique que pour venir jusqu’à la ville, il faut bien utiliser sa bagnole …

  6. Laurent

    Qu’on prenne garde avec ces nouveaux quartiers qui, dans de nombreux cas, sont un moyen efficace créé par des municipalités pour déplacer certaines populations indésirables (processus de gentrification opéré par les élus).
    L’écologie, dans une société de consommation, n’est qu’un label permettant d’apprécier la valeur de la marchandise (logement, magasin, café, restaurant et c…). Seulement, les personnes instigatrices de ce type de projets (cerveaux malades ?) sont elles-mêmes des marchandises et se vivent comme telles (élus de grandes villes, architectes, urbanistes). Pour ces derniers malheureusement, pas d’obsolescence programmée.

    Un véritable quartier écolo n’est pas un quartier sans auto mais un quartier où l’auto n’est pas nécessaire (production et commerce de proximité ce qui nécessite toutes les classes de la société et les services publics afférents aux besoins de tous).

  7. Vincent

    STRUDDEL > Pour le reste, je suis parfaitement d’accord avec l’esprit de cet article, je pense la même chose des énormes parking-relais en périphérie des villes pour ma part, mais bon, d’ici à ce qu’on m’explique que pour venir jusqu’à la ville, il faut bien utiliser sa bagnole …

    Y a-t-il une étude qui aurait interrogé les automobilites à l’entrée de Paris pour justement savoir pourquoi ils ont pris leur véhicule pour venir, afin de voir si c’est peut-être justifié?

  8. struddel

    Ça serait intéressant à savoir.

    Dans mon entourage direct, en ce qui concerne la RP, ce qui revient le plus sont les problèmes de fiabilité de la RATP/SNCF et le manque de confort des transports en commun.

    En deuxième, c’est le sentiment d’autonomie, le sentiment de ne pas dépendre des horaires et des lieux de départ et d’arrivée indiqués.

    En ce qui concerne les agglo hors RP, la réponse quasi unanime est « la voiture est le seul moyen d’accéder à la ville », même lorsqu’il existe des moyens de transport en commun comme les solutions de cars départementaux (LILA, Cartreize, Cars du Rhône, AnjouBus, etc.) : ils sont jugés négligeables et peu crédibles.

    A chaque fois que j’en emprunte un pour me déplacer, on me demande à l’arrivée si le trajet n’a pas été trop compliqué et on se montre compatissant en m’indiquant que ça n’a pas du être simple et que la prochaine fois, on viendra me chercher en voiture, ça sera plus simple.

    Quant à la possibilité d’utiliser le vélo, les excuses sont bien connues.

  9. Ludovic Brenta

    Il me semble que le critère le plus pertinent pour juger de l’effet de ces quartiers est le nombre de places de parking « cachées » par logement. Si le quartier « sans voitures apparentes » offre deux places de parking par logement, alors oui, c’est de l’hypocrisie pure et simple. En revanche, je connais un example de quartier « sans voitures apparentes », la Confluence à Lyon, où les architectes affichent 0,7 place de parking par logement (pas par habitant mais bien par logement). Un tel quartier suppose nécessairement que seule une minorité d’habitants possédera une voiture. Il paraît que tous les appratements ont été vendus, sur plans, avant même leur construction.

    Plus d’infos: http://www.lyon-confluence.fr/
    http://www.lyon-confluence.fr/fr/deplacements/stationnement.html

  10. psychelau

    c’est éco quartier sont à mi chemin entre le sans voiture et le tout bagnole… c’est mieux que rien… mais ca ne doit pas etre considéré comme un aboutissement…

  11. alain

    A Tours, nous avons un éco-quartier où les voitures se garent sur la piste cyclable. Comme diraient Psychelau ou Michel, c’est mieux que rien. Après tout, elles pourraient se garer sur la route ce qui serait beaucoup plus chiant pour l’éco-mobilité à base de voitures propres et éco-citoyennes.

    Bon, sans rire, ces quartiers sans voitures français sont certainement ausi nuls que le principe des normes HQE.

  12. apanivore

    Y’a qu’à voir la copropriété labellisée HQE dans laquelle j’habite.
    Y’a un local vélo avec tout juste assez de place pour mettre 12 vélos, sans rien pour les attacher alors qu’il y a 50 appartements.
    Et ce local vélo est situé dans le parking souterrain auquel une rampe permet d’accéder mais réservée seulement aux véhicules motorisés. (le pire c’est que j’ai eu accès à cette rampe au début mais on m’a désactivé mon badge sous prétexte que je n’avais pas de place de parking automobile)

  13. apanivore

    En fait une bonne vieille dalle comme le quartier de la Défense c’est un écoquartier à la française. Les voitures sont garées et circulent en sous sol tandis qu’en surface on a de vastes espaces piétonniers.

  14. Sam_Nantes

    Je regrette moi aussi le manque d’ambition/de cohérence des réalisations françaises. La France s’est engagée très tard dans la dynamique éco-quartiers.

    Mais l’article gagnerait à signaler que la charte éco-quartier du ministère évoque la mobilité en ces termes :
    « 12 – Favoriser la diversité des fonctions dans l’optique d’un territoire des courtes distances. »
    « 14 – Privilégier les mobilités douces et le transport collectif pour réduire la
    dépendance à l’automobile. »

    http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/charte%20EcoQuartier%20version%20finale%2013nov2012.pdf

    Alors oui c’est lent et c’est décevant pour les militants des modes actifs (et pas « douces ») que nous sommes, mais les choses évoluent quand même.

  15. Bat

    Quand je vois tous les commentaires constructifs et les points de vues objectifs (bon, pas toujours, on est d’accord) sur ce site, je me dis qu’on devrait pouvoir faire quelque chose, avancer ensemble…

    …et puis je prends mon velo pour aller au boulot, et la realite revient rapidement a moi. C’est la voiture qui prime, qui domine, qui gouverne. Et plus il y a de pistes cyclables, plus je me rends compte a quel point de nombreux pietons sont en fait des automobilistes qui se promenent a pied!

    On n’est pas encore rendus!

  16. pédibus

    Bat les acteurs que nous sommes sur ce site avons notre créneau (pas la métaphore automobile, siouplait… ) pour fabriquer une instance sociale – de contre pouvoir, d’influence, de contrôle, d’expertise, de partie prenante exigeante…? – qui fera que ces questions d’aménagement, d’habiter et de vivre ensemble soient mieux traitées : il faudra du temps, mais tenons bon!

  17. corine

    Bonjour
    Petit retour d’expérience sur un projet d’ éco quartier ou j’ai patiemment participé à la concertation jusqu’à l’écœurement.
    Dans la série démarche « green washing » ,il est exact qu’on propose très peu de places de stationnement,non pas pour un monde meilleur sans voiture ,mais parce que ça coute moins cher aux promoteurs.
    Et des circulations douces parce que ça ce vend mieux.
    Il est prévu 1 stationnement par lgt et des parkings excentrés (les nuisances seront pour les quartiers voisins en périphérie)
    Les transports en communs ou en vélo sont souvent la variable d’ajustement.ex: voir http://ddgl200.over-blog.com/ à Dunkerque.
    Et enfin dans l’imagerie du monde virtuel des éco quartier il y à d’autres constantes que « les voitures invisibles « . On notera les thèmes récurrents suivants :
    personne ne bosse ,tout le monde se promène.
    la couleur verte domine,il fait tjrs beau
    il n’y a jamais de personnes âgées.
    Ni de motos bruyantes.
    Bref le monde des bisounours.

    ah les publicitaires!!
    En bref pas de solution miracle dans l’évolution de nos pratiques automobiles.Nous sommes conditionnées par une longue habitude ,il nous faudra du temps pour nous passer de l’auto.
    En théorie ces éco quartiers auraient beaucoup d’avantages,les études sur les retours d’expériences ne sont pourtant pas probants.
    Ne nous laissons pas berner, éco ou pas on nous vend de l’urbanisme et le plus souvent des grands ensembles.

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