Gaz de schiste, l’Académie des Sciences fossilisée dans la Roche Mère (2)

Critique de l’avis de l’académie des Sciences sur les gaz de schiste. Seconde partie.

Considérations générales sur l’Ordre de mobilisation

L’avis en lui-même comporte cinq parties : un « cadre général », une « synthèse des recommandations », une brève « introduction » essentiellement économique, une première partie intitulée « contexte » où dominent encore des considérations économiques et une seconde partie : « analyse des recommandations » suivie d’une longue « annexe »… On a neuf pages de rapport , huit pages d’annexe, deux pages de références puis suivent la liste des 19 éclairagistes et lampistes savants et celle des sommités auditionnées…

On aurait aimé, sans forcément être émerveillé, acquérir quelques connaissances nouvelles éclairantes et passionnantes comme les revues de vulgarisation scientifique nous y ont habitué depuis des lustres. Mais, au lieu de nouvelles sensationnelles et palpitantes, les académiciens nous répètent aujourd’hui mot pour mot un discours déjà entendu il y a 40 ans au moment du premier choc pétrolier : « la France n’a pas de pétrole mais elle a des idées ».

Il faut comprendre ici la France savante d’en haut… On a vu ce que ça a donné… A cette époque des pustules uranifères françaises, il s’agissait de vendre le nucléaire à la France profane d’en bas au nom de l’indépendance énergétique nationale. Dans ce domaine, la concrétisation des idées lumineuses des élites scientifiques et polytechniques n’a pas été des plus brillantes… Les neutrons thermiques se sont fossilisés et finissent leur vie en friches industrielles… Les neutrons rapides se sont crashé au décollage, au moment même où ils étaient censés prendre le relais des neutrons lents précédents.

Avant l’An 2000 où le passage de flambeau était claironné, le premier grand réacteur à entrer en déconstruction a été le Surgénérateur Superphénix, la honte… S’annonçait déjà la « Bérézina nucléaire » en clôture des « Soixante désastreuses » ; mais n’anticipons pas, laissons aux historiens le soin de requalifier les « Soixante radieuses » comme ils ont fait avec les « Trente glorieuses », devenues « Trente ravageuses »…

Il y a au total une petite vingtaine de pages à lire. Si l’on doit les résumer en une seule phrase cela donnerait à peu près ceci : « étant donné la conjoncture économique internationale et les contraintes prévisibles sur l’énergie il n’y a pas d’autre choix que (d’explorer et) d’exploiter les gaz de roche mère ». Inutile d’être scientifique, n’importe quel technocrate aurait été capable d’une telle bafouille. Du Giscard à la manœuvre sur le petit écran au moment du premier choc pétrolier. L’ensemble du rapport est un « thème et variations » ou plus simplement une répétition en boucle d’un discours technocratique standard de la 5e République. Ici, sur le plan technique, le nucléaire a été remplacé par les gaz de schiste. Par contre, la rhétorique économique, la phraséologie nationaliste et les bonnes intentions sont restées inchangées.

Mission impossible pour les académiciens éclairagistes de « rester dans le domaine de compétence de l’évaluation scientifique. »

On aurait pu être éclairé sur l’étendue des risques environnementaux, comme le font aujourd’hui les experts sur le changement climatique. Le commun des mortels aurait aimé disposer d’un bon texte de vulgarisation scientifique… Rien de tout cela. On a eu une diatribe typique du temps du première choc pétrolier « Étant donnée la conjoncture économique internationale et les contraintes prévisibles sur l’énergie il n’y a pas d’autre choix que de se lancer dans le nucléaire ». Les gaz de roche-mère remplacent dans la phrase le nucléaire… Pour des scientifiques, si la science n’est pas totalement synonyme de la guerre, c’est assez maigre…

Introduction

Dans la courte introduction, l’éclairagiste, rappelant sa précédente bafouille académique savante (4), se désole que « des décisions au sujet des gaz de schiste avaient été prises hâtivement et sans que le dossier soit véritablement instruit, et concluait qu’il ne fallait pas négliger cette nouvelle ressource, l’avenir énergétique étant trop incertain pour ne pas faire, au minimum, une évaluation des potentialités. »

Autrement dit, il déplore la victoire des collectifs et de tous les résistants de France ayant sauvé le territoire de l’invasion gazière. Il regrette aussi la reculade du pouvoir contraint au vote de la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique pour rétablir le calme et reprendre l’initiative. En cette année 2011 les candidats aux présidentielles et leurs partis battent la campagne à la récolte des suffrages. La capitale doit reprendre l’initiative sur les provinces et voter la loi pour que la machinerie électorale donne dans une France pacifiée et paisible un président à la République…

Notons d’emblée le parti pris et la dérive économique du discours : Là où les collectifs anti-gaz de schiste alerte sur le désastre environnemental, le rapporteur parle de « nouvelle ressource » à ne pas négliger face à un « avenir énergétique trop incertain ».

La fin de l’introduction est alambiquée à souhait. Là où un bon politicien en allant droit au but aurait dit « ne pas fermer la porte au gaz de schiste », l’académicien a savamment tourné sa phrase : « Le message essentiel qu’elles contiennent est que la question d’une exploration, puis d’une éventuelle exploitation des gaz de schiste mérite d’être examinée, qu’il faut avancer sur ce sujet et développer la recherche, mais que rien ne saurait être entrepris sans de nombreuses vérifications et expérimentations préalables encadrées par une réglementation rigoureuse, afin de maîtriser les risques potentiels pour l’environnement et pour la santé. » En clair « le message essentiel » est bien celui d’un bon ministre du « redressement productif » rêvant en boucle d’une « fracturation écologique propre »

Point 1 de la première partie : « contexte. »

Propagande, douze lignes pour dire « la France doit au plus vite s’accrocher au TGV des gaz de schiste ». Hors sujet donc et inutile d’être scientifique pour aligner de pareils impératifs économiques, c’est le discours quotidien du politicien de base répétant inlassablement ses gammes et vocalises pour briller dans l’arène parlementaire…

Point 2 du « contexte » : estocade assassine

Pour la cause des gaz de schiste le lampiste de service n’hésite pas porter une estocade assassine aux énergies renouvelables. Là rien d’intéressant, le savant pour son parti pris gazier a puisé son argumentaire technico-économique dans la hotte des nucléocrates.

Point 3 du « contexte » : artillerie lourde

Ça commence par un poncif, puis ça déraille encore dans les gammes majeures de la propagande économique néolibérale. On est dans l’artillerie lourde où avec les gaz de combat des gaziers, l’éclairagiste se fait artificier et attaque au lance-flamme… Là encore du Giscard au corps de chasse… Citons une seule phrase : « L’exploitation des gaz et des huiles de roche-mère permettrait de réduire le déficit commercial de la France et pourrait assurer des gains de compétitivité pour l’industrie. On pourrait aussi consommer ce qu’on produit sur place, ce qui est globalement favorable puisqu’on évite ainsi les problèmes associés au transport de gaz sur de grandes distances. »

Lorsque l’on dit « du Giscard » on n’est ni dans l’exagération ni dans la caricature ; l’éclairagiste n’est pas non plus à son aise dans ce domaine économique. En 2013, quelques patrons gaziers américains faisaient preuve de réalisme en public et avouaient « qu’ils allaient y laisser leur chemise ». L’euphorie est en train de virer au cauchemar. L’éclairagiste s’il était bien informé aurait dû en avoir vent en novembre 2013… Le mois suivant, en décembre les craintes étaient officiellement avouées. L’administration Obama annonçait que le boom du pétrole de roche-mère, concentré au Texas et dans le Dakota du Nord, devrait durer sept ans au total (de 2009 à 2016). La production américaine devrait donc plafonner à partir de 2016. L’éclairagiste incompétent dans son domaine d’évaluation scientifique ne brille pas plus dans le domaine économique…

Lire aussi :  Et si on tuait nos enfants?

Entre les points 3 et 4 ça déraille complètement. L’éclairagiste se permet une digression sentimentale dans le domaine économique et rêve d’Amérique. Rien de très scientifique : « On ne peut rester indifférent à la renaissance industrielle des États-Unis dans les industries qui dépendent de l’énergie, telle l’industrie chimique : le prix du gaz, trois ou quatre fois inférieur à celui payé en Europe (essentiellement grâce à l’exploitation des gaz de schiste), donne aux États-Unis un avantage compétitif fort par rapport à l’Europe. » Toujours hors sujet et archi-faux ! Le lampiste savant s’est laissé embrumer par la sirène néolibérale étatsunienne…

Le gonflement des bulles spéculatives et les transactions financières lui suffisent pour juger l’état de santé d’une économie. Quant au bien-être du peuple américain, il ne s’en soucie guère. Depuis justement le premier choc pétrolier les indices d’analyse économique, PIB en tête, se gonflent davantage grâce aux désastres qu’avec de réelles améliorations sociales. Leur embonpoint apparent dissimule de plus en plus mal la réalité sociale misérable de ce pays où depuis la crise des subprimes presque un quart de la population américaine gravite autour du seuil de pauvreté. C’est justement sur cette base effroyable que Naomi Klein définit le capitalisme du désastre. A tire de culture générale pour éclairer sa lanterne, conseillons-lui de lire aussi Howard Zinn « Une histoire populaire des États-Unis ». Il découvrira le cauchemar pluriséculaire des peuples enrôlés sous la bannière du « Rêve Américain »…

Point 4 du « contexte » : vœux pieux

On ne pouvait y échapper car il faut parler quand même un peu des problèmes (insolubles) de la technique de fracturation hydraulique. L’éclairagiste botte d’emblée en touche, en évoquant sentimentalement le passé : « On peut rappeler, à ce stade, que l’exploitation du gaz de Lacq (gisement découvert dans le sud-ouest en 1951, dont l’exploitation a débuté dans les années 1960 et s’est arrêtée le 14 octobre 2013) qui n’est pas un gaz de schiste, posait cependant des problèmes technologiques sérieux. Elle s’est faite dans des conditions respectueuses pour l’environnement et la qualité des eaux locales, malgré la proportion élevée de gaz acides (hydrogène sulfuré) dans ce gisement. » Quant au « retour expérience », seuls sont recevables et d’intérêt les fracturations hydrauliques sur la roche mère pour extraction de ses hydrocarbures, les autres fracturations ne font que brouiller les pistes, noyer le poisson, diluer statistiquement les contaminations et fausser l’analyse des risques écologiques et sanitaires. Depuis trois ans, le « retour expérience » d’Amérique est largement suffisant pour mesurer l’ampleur du désastre.

Avec cette évocation nostalgique des « gaz de Lacq » on croirait entendre Michel Rocard en personne. Lorsque le gérontocrate fut réveillé de sa retraite par la nouvelle des gaz de schiste il s’est écrié « La France est bénie des dieux ». Lui aussi s’est mis à évoquer comme référence le « Gaz de Lacq » avant d’être remis en place par les journalistes « Gaz de schiste, gaz de Lacq : les erreurs de Michel Rocard et de François Fillon » « La fracturation hydraulique n’a jamais été utilisée dans le sol calcaire des Pyrénées-Atlantiques » (5)

Si dans sa digression l’éclairagiste s’est émerveillé sur la renaissance industrielle des États-Unis, dans ce point 4 concernant les risques de la technique de fracturation hydraulique, aucun mot n’est dit sur l’expérience désastreuse de ce même pays. On reste dans des évocations nostalgiques :

« La fracturation hydraulique elle-même a déjà été largement utilisée dans le passé. Elle est mise en œuvre chaque année dans le monde entier dans plusieurs milliers de forages pétroliers ou gaziers conventionnels et bien qu’il s’agisse d’autres types de roches que les schistes il existe un important retour d’expérience. » On aimerait disposer d’un référentiel, au moins d’une échelle de temps pour comprendre le « largement utilisée dans le passé ».

Point 5 du « Contexte » : Le comble

« Comme pour beaucoup de sujets complexes, il est nécessaire de présenter de façon non partisane,… » L’éclairagiste n’a pas froid aux yeux. Après nous avoir infligé l’enfumage des gaziers, c’est le pompon ! Le pompier pyromane au lance-flamme !

La lecture critique pourrait s’arrêter là, le savant est irrécupérable, incompétent en sciences, incompétent en économie, il est illusoire d’espérer un rattrapage par la suite.

Continuons par simple curiosité. Courage !

Point 6 du « contexte » : le coup de grâce

« Même si à long terme, les besoins d’énergie électrique peuvent être couverts par le nucléaire et par certaines énergies renouvelables (…), il subsistera de toute façon un besoin impérieux de combustibles liquides ou gazeux (pétrole, gaz naturel, et aussi de combustibles synthétiques fabriqués à partir de la biomasse, de déchets végétaux, d’algues et d’hydrogène, lui-même résultant de l’électrolyse de l’eau…). » On a « la totale » : Nucléaire, biocarburant et gaz de schiste. Les énergies renouvelables ne sont là que pour le greenwashing, puisqu’elles ont reçu l’estocade mortelle au point 2. L’éclairagiste des gaz de schiste nous a épargné la méthanisation scientifique par les « fermes des mille vaches ». Nucléaire, biocarburant et gaz de schiste, c’est le trident du Medef et de la FNSEA pour la transition énergétique à la française « dans la continuité ».

On a atteint la 7e page du rapport qui hors annexe en compte 9 et l’académicien est toujours hors sujet.

Ce point six finit par l’argument massue des gaziers dont le caractère fallacieux est connu depuis avril 2011 : «  il importe de se rappeler que la combustion du gaz naturel, tout en dégageant des gaz à effet de serre, est deux à quatre fois plus propre, en terme d’émission de ces gaz, que celle du charbon. » On sait que pour le bilan carbone des hydrocarbures et leurs « gaz à effet de serre » il faut prendre en compte l’ensemble du cycle : installation des infrastructures, production, traitement, distribution des gaz de schiste et là c’est exactement le contraire qui a été constaté par le bio-géochimiste Robert Howarth : les hydrocarbures de roche-mère c’est pire que le charbon (6).

Point 7 du « Contexte » Hors sujet et lapsus révélateur

L’éclairagiste s’égare, descend à la mine et se met à évoquer les textes de loi. Il sort donc de son « domaine de compétence d’évaluation scientifique » Autant lire le livre de Danièle Favari qui elle est dans son domaine de compétence…

Cependant son faux pas est un lapsus révélateur, le chercheur qui s’émerveillait de la « renaissance économique » outre Atlantique est parfaitement conscient du désastre écologique de l’exploitation des gaz de schiste et en conséquence il tente par les codes miniers de circonscrire l’horreur aux Etats-Unis. Pour le savant éclairagiste il y aurait donc, par la magie des codes miniers de l’Ancien Monde, une réelle exception culturelle française et européenne de la fracturation de la roche-mère qui serait « plus respectueuse de l’environnement »

Courage il nous reste trois pages…

Fin de la seconde partie

(1) « Éléments pour éclairer le débat sur les gaz de schiste » Avis de l’Académie des sciences
15 novembre 2013
(…)

(4) « La recherche scientifique face aux défis de l’énergie »
Rapport du Comité de prospective en énergie de l’Académie des sciences présidé par Sébastien Candel et Bernard Tissot, Membres de l’Académie des sciences

(5) Le Monde vendredi 16 novembre 2012 « Gaz de schiste, gaz de Lacq : les erreurs de Michel Rocard et de François Fillon » « La fracturation hydraulique n’a jamais été utilisée dans le sol calcaire des Pyrénées-Atlantiques »

(6) Le Monde samedi 3 novembre 2012 « Climat : Les États-Unis encadrent le gaz de schiste »

3 commentaires sur “Gaz de schiste, l’Académie des Sciences fossilisée dans la Roche Mère (2)

  1. Jean-Marc

    Pas directement sur le sujet, mais une info de dernière minute sur les mines (info vieille de 7h ^^)

    http://www.leparisien.fr/economie/arnaud-montebourg-la-renaissance-d-une-compagnie-nationale-des-mines-21-02-2014-3611305.php

    Montebourg qui promets une Compagnie nationale des mines de France (CMF)

    « La CMF aura pour mission de faire de la prospection dans les sous-sols français, y compris les territoires d’outre-mer »

    Soyons clair, ce n est pas pour du marbre, de la craie, du granit ou une autre pierre de parement ou de construction, que la CMF va être (re)créer.

    Mais, pour les terres rares (exploitation ULTRA polluante, et très peu rentable actuellement), métaux rares et.. bien que celà ne soit pas officiellement dit… pour les gaz de schistes…

    Le pb (c.f. le fiasco du gaz de schiste en Pologne : le pays est ouvert aux gaz, les compagnies y vont, font plein de forages… et récoltent des clopinettes => elles ont dépensées plein en prospection, et ne récoltent ~rien..)

    Le pb donc, c est que la prospection coûte TRÈS très cher, surtout pour les gaz de schistes, dont on a aucune idée réelle de leur +/- grande présence

    => Montebourg veut créer une société qui fera le travail coûteux non rentable, grâce aux impôts, grâce à nos sous,
    et, si jamais ils trouvent un jour qq chose d exploitable, il braderont la concession à leurs amis

    [comme celà a été fait dans de nombreux autres domaines, par ex, la téléphonie : les prix des concessions des 3 premiers opérateurs ont été ultra-sous-estimées, par rapport à leur rentabilités (pour Free, le tarif avait été revu à la hausse)]

    Bien sûr, cette société ne forera pas pour trouver du gaz de schiste, mais… du charbon, de l étain ou du manganèse ?
    (pourquoi pas du nickel tant qu’on y est ?… alors que la france croule deja sous le nickel néocalédonien?)

    du moins.. officiellement…
    par contre, s’ils trouvent du gaz de schiste, celà sera bien sûr répertorié…

  2. sebastien

    A propos de GdS, les sommets de l’hypocrisie et du cynisme viennent d’être pulvérisés par Rex Tillerson, patron d’Exxon Mobil!

    http://www.lefigaro.fr/societes/2014/02/25/20005-20140225ARTFIG00241-gaz-de-schiste-le-patron-d-exxon-n-en-veut-pas-dans-son-jardin.php?pagination=2#nbcomments

    Ce sagouin refuse l’installation à proximité de son ranch dans un beau quartier, non pas d’un puits, mais simplement d’un château d’eau pour stocker l’eau de fracturation

    Ce genre de merde pourtant peu nuisible au regard d’un puits, c’est bon pour la plèbe

    Forons joyeusement chez Montebourg, Desmarets et tous les chantres de la pollution

  3. pédibus

    10 Rue de Solférino, 75007 Paris, c’est ce qu’indique ma poêle à frire: gisement de soufre natif, foi de pedibus… ça va péter!

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