Gaz de schiste, l’Académie des Sciences fossilisée dans la Roche Mère (4)

Critique de l’avis de l’académie des Sciences sur les gaz de schiste. Quatrième et dernière partie.

Troisième partie de l’annexe « L’analyse des risques pour l’environnement associés à l’extraction des gaz de roche-mère »

Dernière ligne droite, on entre enfin dans le vif du sujet. La science va-t-elle nous éclairer sur ce point essentiel à l’origine d’un conflit généralisé à l’ensemble des pays d’Europe ? Va-t-elle faire mieux que « Gasland » et surtout « Gasland 2 » le second film documentaire de Josh Fox qui s’aventure justement sur le domaine de compétence de l’éclairagiste « qui est celui de l’évaluation scientifique » ?

Nous l’espérons très fort. Après trois années d’extraction intensive aux États-Unis depuis la sortie du premier film, les connaissances scientifiques se sont forcément accumulées, les Académiciens qui n’ont rien d’autre à faire qu’à lire des magazines savants sont forcément aux premières loges et auraient par conséquent beaucoup de connaissances à nous communiquer.

Déception immédiate, seconde grosse déception après le faux départ du chapitre 2. Ici dès les deux premières phrases : paternalisme, langue de bois et ton précautionneux par l’usage abusif des mots « potentiel » et « principalement » dominent et rendent lourd et suspect le discours…

« L’impact potentiel de l’extraction des gaz de roche-mère est un sujet d’inquiétude… » « Les préoccupations portent principalement sur : la contamination potentielle de l’eau potable à partir du méthane ou de produits chimiques… » (…) « Les critiques de l’extraction des gaz de schiste concernent principalement les effets induits sur l’environnement ». Ces tournures de phrase révèlent au moins que l’Académie des Sciences n’est pas totalement fossilisée dans la roche-mère. Elle est parfaitement consciente qu’il y a de gros problèmes…

L’éclairagiste se fait chimiste et tente de les rendre solubles dans la rhétorique savante, mais en pratique, sur le terrain, les peuples européens entrés en résistance savent déjà qu’il n’en n’est rien…

Cette troisième partie de l’annexe qui aurait dû constituer l’essentiel du texte, comporte sept petits paragraphes titrés.

1e La pollution des aquifères par le méthane.

L’éclairagiste se défile, brouille les pistes et fait l’impasse sur la fracturation hydraulique : « A ce stade, on peut rappeler que la présence de méthane peut avoir plusieurs origines qui n’ont pas toutes comme source des fuites dans l’exploitation des gaz de schiste. On trouve ainsi du méthane biogénique généré par la respiration des micro-organismes dans les couches plus superficielles, et du méthane géogénique correspondant à un flux naturel dans les zones de failles de forte pression. »

Le ton consommé transpire à toutes les lignes et confine à une démarche négationniste dans le traitement des conséquences sanitaires de l’exploitation des gaz de schiste : « Des fuites induites par les activités d’exploitation pourraient aussi être source de méthane dans les aquifères. Les chemins de migration peuvent avoir des origines variées. Ils peuvent emprunter des fracturations existantes ou induites… » (4 lignes) (…) « Cependant, le risque de contamination directe due à la fracturation hydraulique est peu probable et il peut être maîtrisé si on respecte une distance verticale de sécurité avec les aquifères. » On est dans une véritable rhétorique négationniste des risques, pouvons-nous être rassuré pas cet exercice de style ?

2e « L’intégrité du tubage »

L’éclairagiste se fait plombier, il s’approche du point critique mais suffisamment clairvoyant il redouble de prudence et soigne son ton circonspect. Au final il botte en touche par une phrase expéditive pleine de vaines exhortations : « La probabilité de défaillance est faible si les puits sont réalisés, exploités puis abandonnés selon les meilleures pratiques mais il y a aussi des exemples de ce qu’il ne faut pas faire et c’est le rôle de la réglementation de les éviter. »

Un expert de Total interrogé après une contamination et des fuites manifestes avait été plus expéditif en affirmant devant la réalité du problème « on a un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire ».

3e « La gestion des fluides de fracturation »

Là l’éclairagiste en chef change de tactique : noyer le poison dans la pollution et finit en beauté par une recommandation qui vaut son pesant d’or. On est obligé de citer tout le paragraphe introductif pour bien évaluer la lourdeur de la chute : « Une contamination peut aussi résulter d’un débordement ou d’une défaillance des moyens de stockage en surface des fluides utilisés pour la fracturation. Ce risque, présent dans beaucoup de secteurs industriels, peut lui aussi être réduit par un respect rigoureux des meilleures pratiques. » Après plus d’un siècle de prospection pétrolière conventionnelle et de désastre environnemental on a du mal à imaginer ce que peut être un respect rigoureux des meilleures pratiques dans la prospection non-conventionnelle.

Suit un long paragraphe qui ne nous apprend rien sur les additifs de la fracturation hydraulique. Son rôle est d’être truffé de piètres avertissements. Dans ce segment stratégique longtemps resté opaque sous le sceau du secret industriel, l’éclairagiste réclame plus de « transparence », c’est le mot clé du paragraphe : « Il y a un réel besoin de transparence sur ces additifs… » « Pour lever les interrogations, il faut assurer la plus grande transparence sur les additifs… » Que n’a-t-il pas fait appel pour éclairer sa lanterne à l’éminent Professeur André PICOT, toxicochimiste, directeur honoraire de recherche au CNRS, expert honoraire auprès de l’Union Européenne pour la fixation des normes des produits chimiques en milieu de travail, auteur principal du rapport « bilan toxicologique et chimique du gaz de schiste ».

4e « Qualité de l’air et fuites de méthane »

S’agit-il d’un lapsus révélateur ? A vous de trancher ! La brièveté de ce paragraphe permet de le citer en entier. L’éclairagiste s’est aventuré trop loin à ses risques et périls, libre à lui, le ridicule ne tue plus. Il nous révèle donc qu’il y a des fuites, qu’il faut les éviter et n’a rien à nous proposer. Jugez vous-même : « La question de la qualité de l’air et des problèmes de fuite de méthane est aussi à prendre en compte. Ce risque, bien identifié par l’industrie du gaz et du pétrole, doit être réduit en multipliant les efforts pour contrôler les émissions de méthane en mettant en œuvre un contrôle des émissions sur les équipements du puits. Il s’agit dans tous les cas de capter le méthane pour le torcher plutôt que de le libérer, puis de développer des alternatives au torchage. » C’est la préhistoire de l’industrie pétrolière !

5e « Les nuisances »

Là encore, un long paragraphe où l’éclairagiste sort de son domaine de compétence. Il se fait homme politique ou expert en communication. Il brosse un tableau rapide des multiples « nuisances » et conclut par un conseil éclairé de marketing : « D’une façon générale il importe de communiquer clairement et honnêtement sur les inconvénients et les avantages potentiels (avant toute exploration/exploitation) et de mettre en place un dialogue avec toutes les parties prenantes. »

6e « La ressource en eau »

L’éclairagiste à court d’argument reprend sa méthode de dilution, noyant le poisson dans la gabegie d’eau douce qui caractérise la civilisation industrielle depuis un siècle. On apprend qu’une mégalopole comme Paris engloutit 550 000 m3 d’eau potable par jour et 200 millions de m3 par ans à comparer aux 15 000 m3 pour une fracturation hydraulique. Le lecteur est diligemment invité à conclure que, dans la gabegie générale, cette technique n’est pas la pire… Précisons que 15 000 m3 d’eau cela fait quand même 7 piscines olympiques…

Même si son statut social avec ses trois sinécures le lui permet, l’éclairagiste savant n’est pas amateur de golf. Dans ses exemples comparatifs pour relativiser l’effarante potomanie de la fracturation hydraulique il se fait « écolo » et cite en s’adressant cette fois à la France d’en bas un scandale dénoncé depuis longtemps : « un golf haut de gamme de 18 trous en France consomme en moyenne 90 000 m3 par an »…

Remarquons que l’éclairagiste n’est pas complètement maboul dans ses comparaisons il a diplomatiquement épargné les automobilistes en évitant de parler du scandale du lavage des voitures en France (8)… Pourtant il aurait pu facilement briller chez les « bobos écolos », recycler le scandale en le verdissant, récupérer l’eau de lavage pour la fracturation hydraulique… Mais n’oublions pas que l’éclairagiste est aussi pompiste de l’IFPEN…

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Dans ce paragraphe n’apparait aucune référence, l’éclairagiste ne cite pas ses sources… Le lecteur innocent ne peut pas savoir qu’il est en train de lire l’argumentaire démagogique des pétroliers, celui mis au point par le service de communication de l’IFPEN, l’Institut Français du Pétrole et des Énergies Nouvelles. C’est normal, répétons-le, l’éclairagiste avec sa casquette académique cite le pompiste scientifique de l’IFPEN qui n’est que lui-même. Il oublie aussi de préciser (ou passe délibérément sous silence) que la gabegie d’eau potable d’une mégalopole est encore à la portée des stations d’épuration. La ressource en eau consommée aussi colossale qu’elle soit n’est pas totalement détruite. La réalité de la fracturation hydraulique est totalement différente, l’eau douce utilisée est métamorphosée en déchet toxique terminal, inaccessible au traitement par les stations d’épuration… un petit peu comme l’eau pour refroidir la centrale de Fukushima… Il serait plus juste de parler de déchet hautement toxique dont les risques sanitaires et en particulier cancérigènes sont encore sous-évalués à ce jour. Ils mériteraient bien qu’au moins un scientifique, pas obligatoirement dans le style radical d’un Séralini, s’investisse avec son équipe dans ce « domaine de compétence relevant de l’évaluation scientifique » et nous éclaire sur ce sujet majeur de santé publique qui préoccupe au plus haut point la population.

Cependant ce paragraphe comporte une information subliminale fatale, une forme d’aveu de l’éclairagiste arrivé en dernière minute de temps de parole. Elle est bien écrite sans être explicite. L’académicien quitte la science-fiction, sort de sa coupole et redescend sur terre avec justement  la Fracturation Hydraulique… pour l’exploitation des gaz de roche mère… Au terme de sa longue dissertation totalement hors sujet par rapport à celui qu’il s’était fixé, il argumente désespérément pour relativiser un des problèmes majeurs de la fracturation hydraulique.

En fait il n’argumente rien, comme on l’a vu plus haut il se contente de puiser dans l’arsenal argumentaire du pompiste de l’IFPEN qui n’est que lui-même…

7e « La sismicité induite »

Ici l’éclairagiste reprend le raisonnement optimiste des académiciens britanniques : puisque les humbles sujets de sa gracieuse majesté subissent des séismes naturels de magnitude 4 à 5 tous les 4 à 20 ans et que les séismes des mines de charbon sont de magnitude 4 il ne devrait pas y avoir de problème pour subir en plus ceux de la fracturation de la roche-mère…

Dans son inventaire de vœux pieux signalons pour finir : « Des études doivent aussi être engagées pour trouver des additifs compatibles avec les normes environnementales. » D’habitude c’est l’inverse qui se passe.

Au terme de cette lecture au moins deux questions se posent.

A qui s’adresse ce rapport ?

Certainement pas aux collectifs mobilisés contre les gaz de schistes. Pour eux tout est parfaitement clair et depuis le début. Ils en savent beaucoup plus sur le sujet que l’éclairagiste de service à l’Académie des Sciences.

Il en va de même des pétroliers, des gaziers et de tous les industriels gravitant autour de l’exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels. Ce rapport reprend mot pour mot leur argumentaire et s’ils ne l’ont pas écrit ils en sont fort probablement les inspirateurs.

Les clients du Café du Commerce, les petits bourgeois gentilshommes, ne sont pas non plus directement concernés par cette littérature laborieuse… En matière de désinformation, ces populations sont plutôt la proie facile des journalistes… En effet dès que l’avis académique est paru, la presse quotidienne, économique et financière l’a lu et l’a resservit comme parole d’évangile aux clients du même Café. Ainsi l’IFPEN à l’origine du texte est passé par l’Académie des Sciences, y a puisé une autorité savante puis a utilisé la presse comme caisse de résonance pour se faire une nouvelle fois entendre auprès du grand public.

Qui d’autre peut bien lire un tel argumentaire délibérément écrit dans un objectif de désinformation ? Dans le paysage politicien français, cet opuscule d’académiciens a parfaitement été conçu pour servir de bréviaire au ministre du redressement productif… Chaque fois que l’occasion lui en est donnée il s’illustre par une pitrerie médiatique relative aux gaz de schiste sans crainte du ridicule. Si les académiciens la disent possible, la « fracturation écologique propre » pourquoi ne pas en faire son credo et le répéter en boucle…

Cependant la date de sortie de cet « avis » académique, le 15 novembre 2013, laisse supposer qu’il avait un objectif plus ambitieux que d’être un simple aide mémoire à pitreries de ministre. A cette date en effet un autre ministre était sous le feu des projecteurs. Alors qu’au mois d’octobre une belle victoire (validation de la loi par le Conseil Constitutionnel) avait pu être célébrée, le ciel s’assombrissait à nouveau avec les gaz de schiste et le comportement suspect du ministre de l’écologie.

Début octobre, le conseil constitutionnel avait bien confirmé la constitutionnalité de la « LOI n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation… » Le ministre de l’écologie avait immédiatement parlé de « triple victoire : juridique écologique et politique » à propos de cette décision. On l’ignore mais cette réaction spontanée a dû choquer et inquiéter les Académiciens. Le mois suivant, changement de décor à l’écologie. Contre toute attente le ministre s’apprêtait sous un prétexte fallacieux à changer de fusil d’épaule… Il révélait par voie de presse une pseudo-obligation urgente de signer sept permis de forer revendiqués par la société Hess Oil.

Il fut pris en flagrant délit de parjure et dénoncé publiquement par Danièle Favari, experte en droit de l’environnement. Avec sa pétition « Monsieur le Ministre ne signez pas », l’affaire était rendue publique (9)… C’est dans ce contexte que l’académie avait dégainé son « avis » avarié ou plus justement que l’IFPEN avait recyclé sa prose en avis académique … Doit-on le considérer comme une tentative de déstabilisation du ministre de l’écologie fomentée par les gaziers ?

Fallait-il entreprendre ce travail fastidieux ?

Nous nous sommes arrêtés à 12 pages, mais notre lecture critique aurait pu en comporter le double ; fallait-il vraiment entreprendre ce travail fastidieux ?

Deux réponses sont possibles : l’une négative, logique dans le strict espace médiatique et l’autre positive dans le contexte plus large de la guerre de « 14-18 » des gaz de schiste.

La premier réponse est non dans l’hypothèse la plus vraisemblable où peu de personnes seront atteintes par cet avis académique ni dans un sens, ni dans l’autre… On aurait pu s’en tenir à révéler l’origine réelle de ce rapport : l’IFPEN et simplement rappeler que l’éclairagiste académique est aussi pompiste chez les pétroliers et qu’il s’est engagé en politique pour la cause des gaz de schiste avec la casquette de l’Opecst. Le conflit d’intérêt suffisamment évident annihile d’emblée l’avis académique.

La seconde réponse est oui, car on est sur le front d’une guerre mondiale qui ne fait que commencer et la désinformation est l’une des armes essentielle dans des conflits modernes. Celle des gaz de schiste, après l’Amérique, recouvre déjà l’Europe entière. Nous sommes en 2014, le pire est toujours possible. La férocité des gaziers est sans limites, la preuve cet avis académique… L’enjeu historique est d’arrêter l’invasion gazière et préserver un territoire viable, juste le temps nécessaire à ce que la bulle spéculative construite autour des gaz de schiste éclate, dont l’échéance est déjà située en 14-18.

Fin

(1) « Éléments pour éclairer le débat sur les gaz de schiste » Avis de l’Académie des sciences
15 novembre 2013
(…)
(8) Le scandale du lavage des voitures
http://carfree.fr/index.php/2007/07/15/le-scandale-du-lavage-des-voitures/
(9) Pétition Novembre 2013 « Monsieur le Ministre ne signez pas »