Derrière Margerie, les morts du pétrole

Eh ben non, on ne pleure pas. Total détruit les territoires et les peuples, s’attaque autant qu’il lui est possible aux équilibres climatiques, et aimerait qu’on l’aime, comme tous les salauds de la Terre. Pensée émue pour les Patagons d’Argentine, les Egi du Nigeria et les esclaves de Birmanie.

Louis XVI, lui aussi, était une excellente personne, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir des soucis. Les infernales prosternations devant la dépouille de Margerie signifient au moins une chose : ce pays va très mal, qui conduit même les écolos estampillés à quelques trémolos de circonstance. La palme indiscutable à Jean-Vincent Placé, rendant hommage « à un grand capitaine d’industrie français très lucide sur la situation de la planète ». Il y a pourtant une vérité simple : on ne peut pas pleurer tout le monde, car la mort est partout, car il y a trop de candidats. Or Margerie dirigeait une entreprise criminelle, et si ce rappel embête nos petits chéris de l’Élysée et d’ailleurs, c’est tant pis pour leur gueule.

On ne peut ici qu’évoquer deux ou trois points, parmi des centaines d’autres. Ne revenons pas sur la Birmanie et le rapport frelaté de Kouchner – 2003 – contestant le soutien de Total à la junte militaire, explicitement dénoncé par le prix Nobel Aung San Suu Kyi, alors encabanée. Ne parlons pas des enquêtes précises pour corruption dans le cadre de l’exploitation pétrolière au Cameroun. En Libye, en Tanzanie, en Russie. Ni de celles menées sur fond de pétrole et de gaz offshore iranien. Ni du « Pétrole contre nourriture », qui permit d’arroser tant de mafieux et de salauds, quand l’Irak de Saddam Hussein était soumis à embargo. Ni du grand massacre de la Patagonie argentine – en cours – où Total envoie se faire foutre Indiens mapuche et pumas. Ni du saccage biblique du territoire Egi, au Nigeria.

Qui l’ignore, franchement ? Le pétrole, c’est la guerre, rien d’autre. Et avant cela, l’entubage, les menaces, le chantage, l’extorsion, les équipes hautement spécialisées. Et après cela, quand il le faut, la mort pour ceux qui résistent encore. Si Total a pu acquérir la taille mondiale d’une supermajor pétrolière, c’est parce qu’elle a absorbé en 2000 Elf Aquitaine, et doublé du même coup son chiffre d’affaires. Elf, entreprise hautement barbouzarde, avait été créée en 1967 par un De Gaulle obsédé par la concurrence américaine, notamment en Afrique. Le projet se confondra avec la Françafrique, et comprendra d’innombrables coups fourrés, du Gabon de Bongo au Congo de Sassou Nguesso, passant par le Biafra martyr. Jusqu’à la fin, Elf enverra des armes aux Biafrais, pour la seule raison que le delta du Niger contient de prodigieuses réserves de pétrole.

Lire aussi :  Aux États-Unis, les bagnoles sont plus grosses que jamais

Le reste, au fond anecdotique, s’appelle « Affaire Elf ». Sous la présidence Le Floch-Prigent – 1989-1993 – , les moteurs de la corruption s’emballent. On ne tape plus seulement dans la caisse pour acheter les satrapes, mais pour se payer putes et champagne, belles chaussures et grandioses maisons. C’est l’époque royale de Dédé la Sardine, Roland Dumas, Alfred Sirven, qui se termine sans qu’aucun des vrais dossiers n’ait été mis au jour.

Pourquoi ? Mais parce que chut. Les initiés – pas si rares que cela – savent parfaitement que Margerie était l’un des visiteurs du soir de Hollande et Valls, qui pleurent d’ailleurs à chaudes larmes leur si cher ami disparu. Au-delà, car il y a un au-delà, la puissance colossale de Total – autour de 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel – interdit toute action contre la crise climatique. Du point de vue de l’histoire humaine, le plus grand crime de Total est là. La plus grande entreprise française gagne ses milliards en déstabilisant le climat pour des milliers d’années.

Alors que la France prépare une nouvelle conférence mondiale sur le climat, en 2015, qui fait bander bureaucrates et charlatans politiques de tout poil, la mort de Margerie remet si besoin les pendules à l’heure. Tous les signaux sont au rouge vif. L’objectif de limiter à deux degrés l’augmentation moyenne des températures n’est plus défendu par personne, pour la raison simple que les émissions de gaz à effet de serre explosent. Notamment à cause de la place démesurée qu’ont tous les Margerie de la planète auprès de nos si grands dirigeants de poche. Non, décidément, Margerie n’était pas plus coupable que Louis XVI. Mais pas moins. Et donc, fuck.

Fabrice Nicolino
http://fabrice-nicolino.com
Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 22 octobre 2014

7 commentaires sur “Derrière Margerie, les morts du pétrole

  1. igorpopov

    « La plus grande entreprise française gagne ses milliards en déstabilisant le climat pour des milliers d’années. » voila qui resume bien une situation que la classe politique refuse d’admettre, en dehors peut etre de quelques rares exceptions comme Y. Cochet dont le livre sur le petrole donne le ton et rappelle certains passages de cet article. Bien a vous et merci! Je partage! Igor

  2. Vincent

    > Du point de vue de l’histoire humaine, le plus grand crime de Total est là. La plus grande entreprise française gagne ses milliards en déstabilisant le climat pour des milliers d’années

    En même temps…
    1. le charbon émet encore plus de GES que le pétrole. Quand nos voisins européens, notamment allemands, vont-ils fermer leurs centrales électriques au charbon?

    2. on est tous complice : pour se passer de pétrole, et d’énergie fossile de manière plus générale, il faut revenir deux siècles en arrière, c.a.d. vivre comme les Amish.

    Visiblement, très peu de gens dans la population sont prêt à ça.

    Donc, business as usual.

    Incidemment, sans pétrole, pas de panneaux solaires, pas d’éolienne, puisqu’il en faut pour extraire les minerais nécessaires.

    We’re fuc*ed.

  3. paladur

    Re spécial dédicace à Gérard Filoche, le seul a n’avoir pas pas courber l’échine devant la dépouille du pollueur-tueur et qu’un certain Valls a menacé d’excommunication pour cela.

  4. pedibus

    Des monarchies pétrolières – dont la tsariste poutinienne – jusqu’aux tyranniques et Total-y-taire* entreprises y a-t-il un espace tranquille pour s’y recueillir et verser une larme de crocodile?

    Les politiques de la même couleur que la bestiole précédente semblent l’avoir dénicher : les écologistes appellent ça une espèce opportuniste…

    *(BOAAAAAAA…)

  5. alain

    Vincent:
    L’Allemagne va commencer à fermer des centrales à charbon qu n’étaient qu’une étape de transition entre nucléaire et énergies renouvelables.

    Paladur:
    Filoche est sans doute le seul à ne pas avoir courbé l’échine à la mort du pollueur, mais j’ai toujours du mal à comprendre ce qu’il fout au PS

  6. Jean-Marc

    Fabrice Nicolino :
    « Total [..]la plus grande entreprise française gagne ses milliards en déstabilisant le climat pour des milliers d’années »

    réponse de Vincent :

    En même temps…
    1. le charbon émet encore plus de GES que le pétrole

    Et?????

    Quel est le rapport????
    C est le même usage ? non…
    mais il y a pire :

    Le pétrole, c est 65% de l énergie totale consommée en france…. c.f. http://www.planetoscope.com/petrole/1480-consommation-de-petrole-en-france.html
    (pour les non-matheux, 65%>50% et 65>>>35% la part restante pour tout le reste : hydro + biomasse + … + nucl *+ charbon)

    et aussi plus de 60% de l énergie totale consommée en allemagne, alors, se pencher sur la production minoritaire, pour regarder si elle est plus ou moins bien ou pas… c est comme couper l eau quand on se brosse les dents, mais ne pas tenir compte de l’eau virtuelle :
    on économise 1l d eau (Youpi), mais consomme 5 000l d eau virtuelle dans son escalope de veau indus du supermarché de 500gr, par rapport à une potée de légumes bio locaux…

    Ce qui compte, toujours, c est les ordres de grandeur, et s occuper de ce qui est le pire, et/ou le plus facilement modifiable :

    Peux-tu plus facilement fermer (sans la remplacer par rien) une centrale nucléaire française ou une centrale au charbon allemand, OU prendre un TEC ou le vélo, pour aller à 5km de chez toi, plutôt qu’en voiture ou 2RM?

    Le pétrole, en france, (mais +/- aussi en allemagne) est utilisé à 98% dans le transport, surtout dans des véhicules autonomes (camions, voitures, 2RM) qui permettent un gaspillage monstre d énergie :

    Transporter 50 tonnes de fret sur 500km consomme moins d énergie en un bateau de mer, une péniche de mer ou de rivière ou un train qu’en de très nombreux camionss

    Transporter 1.2 personne et ses affaires, soit +/-100kg de charge utile, chaque jour, sur 25km de moyenne, à 16km/h de moyenne, ne nécessite AUCUNE consommation d énergie fossile, ni aucune énergie artificielle, même renouvelable, contrairement au gigantesque gâchis d’une voiture ou d’un 2RM :
    100% inutile dans plus de 80% des déplacements en france…

    et, si seulement 25% des déplacements voitures actuels n étaient plus fait en voiture, la ville n aurait plus besoin de chaussées auto si larges (créations de rues piétonnes), ni d autant de voies auto, donc elle serait bien plus dense, donc les distances seraient plus courtes, donc encore moins de déplacements « nécessiteraient » une telle assistance.


    2. on est tous complice : pour se passer de pétrole, et d’énergie fossile de manière plus générale, il faut revenir deux siècles en arrière, c.a.d. vivre comme les Amish.

    ah ?
    l’humanité a eu une empreinte carbone dépassant une terre pour la 1ere fois dans les années 70-80 (flemme de rechercher la date exacte, mais « empreinte carbone » dans Wikipédia donnera la réponse exacte : vu que Vincent fait des affirmations non sourcées fondées sur rien, je ne vais pas perdre mon temps, à chaque fois, à faire des recherches faisables en 1 minute)

    je ne savais pas qu’en 1975 toute la population mondiale vivait comme des Amish…

    Bien sûr, certains consommaient plus que d autres (les occidentaux, et surtout les riches occidentaux).
    et il n y aura jamais d égalité de consommation entre chaque habitants de la terre,
    mais, l essentiel, c est de limiter les pire excès, comme les trop nombreux trajets en avion, en voiture, la trop grande conso de viande rouge (veau, boeuf, mouton, porc) et de viande, la trop grande consommation d énergie grise (béton, métaux, dont l alu, c.f. « énergie grise » sur wikipedia, en particulier, de métaux non recyclés)

    Avoir une empreinte carbone au 1/3 de celle d’un français moyen, je peux te garantir que ce n est pas revenir au XIX siècle :
    j ai fait mon calcul, c est mon empreinte max actuelle, pourtant, je ne me prive de rien.
    (ainsi, je sors même bcp plus que plusieurs de mes collègues péri-urbains avec 2 voitures par foyer… qui restent bien plus cloitrés chez eux)

    Par contre, cela nécessite d un peu réfléchir à ce qu’on fait, de faire certains choix.

    Vivre simplement, pour que tous puissent simplement vivre…


    par ex, 2 exemples de consommations réfléchies, ne privant de rien :

    1- le café
    il serait sans doute mieux, en europe, de ne pas consommer de café,

    pour ma part, j en consomme de façon raisonnable, mais que du bio, et que du café en vrac, en paquets de 250g à 2kg, pas du café aux pesticides en dosettes, bcp bcp PLUS cher (70€ le kilo, le plus célèbre, celui aux dosettes donnant alzheimer grâce à l alu chauffé et sous pression, à 0.35cts la dose d’alzheimer)

    2- les boissons alcoolisées (fermentées, non distillées)

    de même, vu la pollution énorme des vignes (c.f. in vino veritas : moins de 3% des Surfaces Agricoles Utilisées en france, mais plus de 20% des pesticides et autres produits phyto-sanitaires..), il est bien mieux, et moins coûteux si on aime la qualité, de boire de la bière bio (si possible locale, d’une micro-brasserie), que du vin non bio

    mais un cidre, un poirier ou un hydromel locaux et bio, sont d’autres possibilités, toutes moins pires que du vin non bio

    (bien sûr, on peut aussi consommer du vin dit bio…
    mais ce vin vinifié à partir de raisins bio, reste cependant pire que de la bière bio)

    * nucléaire et autres production d’énergie fossile:

    cette année, pour la 1ere fois depuis des années
    (car, pour le nucl seul, c était deja le cas avant la construction de la première centrale nucléaire…),

    la production d’énergie renouvelable, par l’hydro-électricité, la biomasse, et aussi, plus anecdotique, le PV et l éolien, ont DÉPASSÉS, au niveau mondial, la prod. d élec nucl. + les autres énergies fossiles :

    58% contre seulement 42% en 2014 :
    http://leblogdejeudi.fr/energies-nucleaire-se-fait-depasser-les-renouvelables/

    (si je comprend bien, c est les capacités des nouvelles installations, et pas le stock, la production totale déjà installée; mais, même ainsi, cela montre la tendance, l avenir en construction)

    « Incidemment, sans pétrole, pas de panneaux solaires, pas d’éolienne, puisqu’il en faut pour extraire les minerais nécessaires. »

    outre que le PV et l éolien sont la petite fraction des renouvelables,
    la grosse étant constituée par la biomasse (bois, paille, déchets des citadins, lisier, bouses,…) et l hydro-électricité,

    ceci n est vrai qu’actuellement, et n est pas obligatoire :

    avoir un toit bien isolé, favorisant la régulation hydrique, par la végétalisation, permet, en limitant les dépenses énergétique de chauffage et de climatisation, d être aussi ou plus efficace que d’installer du PV sur ce même toit.
    Et là, qu’importe si EDF baisse son prix de rachat :

    on a une terrasse sympa en pleine ville, avec des mousses et des petites fleurs, sur lesquelles s’étendre, en regardant les papillons et les abeilles…

    autre possibilité :
    les algues :
    la spiruline ou les micro-algues = fabriquer de la biomasse consommable (forte teneur en protéine dans la spiruline).

    qu’on peut manger, ou faire sécher (sur le toit d à coté, ou sous les tuayx d eau + algues) pour après brûler le résidus sec (et se servir des cendres pour enrichir l eau… )

    L éolien actuel et les PV, ne sont que la réponse techniciste actuelle, dans une vision de « toujours plus d énergie produite »,
    si on part sur les négawatts, alors, isoler, faire du chauffage collectif et de la cogénération, consomment largement moins que de transformer une énergie en électricité (pertes..), pour livrer l élec (pertes), à toutes heures du jour, aux heures creuses (pertes : surproduction) comme aux heures pleines, pour transformer cette élec en une autre énergie [au minimum, chaleur par effet joule, par échauffement des appareils élec, mais aussi en mouvement (perceuse, robot mixeur,..), lumière,…]
    alors que la production de cette énergie en local, sans passer par l élec, est souvent possible

    (vrille et perceuse à main, faux, taille haie manuelle, tondeuse à main, tournevis, …. au lieu de leurs équivalents électriques, souvent inutiles pour un particulier, vu son usage réduit :
    il y a une différence entre utiliser un ordi pour accéder à internet (difficilement faisable avec un ordi en bois…) et avoir des gadgets électriques pour tout, en particulier quand c est moins efficace que leur équivalent manuel (cas, entre autre, de la souffleuse à feuilles, face au râteau : plus rapide, beaucoup moins cher, autonome à l infinie, plus léger, meilleur pour le dos (malgré le harnais) et les oreilles de l utilisateur)

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