La congestion routière: un problème ancien

L’encombrement routier n’est pas un phénomène nouveau. En effet, il y a 2000 ans,  un édit romain annonçait que « la circulation des personnes ne devait pas être entravée par un trop grand nombre de litières et de chars bruyants » (1). De là, naîtront les premières interdictions de circulation des véhicules à Rome à l’époque de Jules César.

La cité antique de Pompéi limitait le stationnement, et c’est Jules César qui, le premier, proclama des lois sur le stationnement en dehors de la voie publique (2). Le centre de Rome était en effet interdit aux véhicules entre 6 heures et 16 heures, et en l’an 125 de notre ère, Hadrien limita le nombre de véhicules autorisés à entrer dans Rome. Vers l’an 180, Marc-Aurèle étendit les interdictions en principe à toutes les villes de l’Empire romain, préfigurant en cela un organisme européen tentant d’aller dans une certaine mesure au-delà de ce que l’on appellerait aujourd’hui le principe de subsidiarité. On ne sait toutefois pas très bien si l’interdiction impériale a été mise en application de façon uniforme.

Jules César avait en effet compris que, dans des venelles aussi accidentées, réduites et passantes que les vici de Rome, la circulation des véhicules, nécessitée par les besoins de centaines de milliers d’habitants, eût amené, de jour, un embouteillage immédiat et constitué un danger permanent. D’où la mesure radicale qu’il a prise et que nous signifie sa loi posthume.

Après le lever du soleil et jusqu’aux abords du crépuscule, il n’était plus toléré de chariots en déplacement à l’intérieur de l’Urbs. Ceux qui avaient été introduits pendant la nuit et que l’aube surprenait avant leur départ n’avaient que le droit d’y stationner vides; et quatre exceptions seulement étaient admises à cette règle inflexible.

Trois exceptions temporaires, d’abord, respectivement consenties : les jours de cérémonies solennelles, aux chars des Vestales, du Roi des Sacrifices, des Flamines ; les jours de triomphe, aux chars indispensables à la procession de la victoire ; les jours de jeux publics, aux chars que requiert cette célébration officielle.

Ensuite, une exception perpétuelle accordée tous les jours de l’année aux chariots des entrepreneurs qui démolissent une ville asphyxiante pour la rebâtir plus saine et plus belle.

Hors ces cas très nettement déterminés, ne circulent, dans la vieille Rome, pendant la journée, que les piétons, les cavaliers, les possesseurs de litières et de chaises à porteurs.

En revanche, aux approches de la nuit, commence le légitime branle-bas des charrois de toutes sortes qui remplissent la ville de leur tintamarre. Depuis César, la nuit romaine fut en effet réservée au transit des marchandises, au grand dam des dormeurs, et suscitant les récriminations de Martial et Juvénal (3).

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Car il ne faut pas croire que la législation de César ne lui ait guère survécu, que les particuliers en aient fait tôt ou tard sauter les dispositions draconiennes sous la pression de leurs aises ou de leurs convenances. La main de fer du dictateur a ployé les siècles, et les empereurs, ses héritiers, n’ont jamais affranchi les Romains des sujétions auxquelles, dans l’intérêt vital de la collectivité, il les avait durement soumis. Ils les ont, à tour de rôle, consacrées, renforcées (4).

Étonnamment, nos sociétés actuelles dites « évoluées » semblent moins performantes que la société romaine du 1er siècle en matière de contrôle des véhicules et d’encombrement routier. Si on constate bien dans quelques villes modernes des tentatives éparses de péages urbains ou de limitation des véhicules, cela reste bien timide par rapport à l’organisation impériale romaine.

Il y a 2000 ans, les Romains semblaient moins tergiverser que nos sociétés actuelles motorisées pour limiter drastiquement la circulation des véhicules. Et pourtant, les villes romaines n’avaient pas la taille, l’étendue et le nombre de véhicules qu’ont aujourd’hui les villes modernes. Qui plus est, on peut supposer que les véhicules romains (chars, litières, chaises à porteurs) étaient moins polluants que les véhicules motorisés d’aujourd’hui… et la Rome du 1er siècle n’avait pourtant ni vélos ni transports en commun massifs comme aujourd’hui nos grandes agglomérations.

Nos sociétés actuelles qui se vantent probablement d’avoir atteint un haut niveau de civilisation se montrent pourtant incapables de réguler la circulation massive de véhicules, et sont régulièrement paralysées pas la congestion routière.

(1) Maxwell Gordon Lay, Ways of the world : a history of the world’s roads and of the vehicles that used them, 1992.
(2) La Congestion routière en Europe, Table ronde CEMT, 1999.
(3) Martial, IV, 64 ; Juvénal, III, 256
(4) La circulation dans Rome, Histoire-en-questions.fr.

Un commentaire sur “La congestion routière: un problème ancien

  1. pedibus

    Il est toujours merveilleux de replonger dans le temps pour désapprendre la quotidienneté actuelle, trop évidente, qu’il paraîtrait même incongru de questionner… Les embarras de circulation des cités de l’Empire romain nous éclairent évidemment sur les obscurantismes technicistes qui gouvernent ce foutu système automobile urbain. Je renverrai encore à Lewis Mumford – « La cité à travers l’histoire » (1961), dernière révision de l’auteur en 1989, réédition 2011, Agone, Marseille – pour « revivre » les scènes quotidiennes des rues antiques. Je m’emploie depuis quelques mois à fabriquer une histoire des déplacements dans la ville dans mon travail de recherche. Je ferai paraître bientôt – si on m’y autorise – sur notre site, les « épisodes » de cette longue période, depuis qu’existent les villes, c’est-à-dire depuis un peu plus de cinq millénaires avec les données archéologiques et épigraphiques du moment. En attendant voici quelques notes sur l’auteur cité pour les embarras romains…Le réseau viaire des cités romaines est présenté comme pourvu de défectuosités analogues à celles du système hydraulique (égouts et adduction d’eau). Les plus anciens cheminements ne permettaient pas la circulation de véhicules à roues faute d’élargissement ; seules les cités nouvelles avaient la voirie créée ex-nihilo qui le permettait. A Rome, au temps de la République, deux axes seulement pouvaient assurer le croisement de deux chariots* : la via Sacra (http://it.wikipedia.org/wiki/Via_Sacra#mediaviewer/File:Ct-viasacra1.jpg), utilisée pour les processions, et la via Nova, au tracé récent comme son nom le suggère. Ses rues les plus larges n’étaient que le prolongement sans élargissement des routes importantes dont la largeur variait de quatre à huit mètres, tandis que beaucoup de celles qui existaient dans la ville n’avaient pas de débouché extérieur. Cette étroitesse et le développement de Rome sont à l’origine d’encombrements importants. Par exemple Jules César, dès sa prise du pouvoir, interdit la circulation de jour des véhicules dans la ville, ce qui engendrait un tintamarre nocturne du fait du passage des roues cahotantes sur le pavé. Interdiction diurne étendue à toute l’Italie sous l’empereur Claude (11 av. J.-C.- 54 ap. J.-C.), puis à toutes les villes de l’Empire sous Marc Aurèle (121 ap. J.-C. – 180 ap. J.-C.). Enfin Hadrien (117-138) limitait encore le trafic nocturne avec le nombre et la charge maximums des véhicules autorisés à circuler en ville (p. 303)… Paradoxe de l’interdiction : les nouvelles cités, malgré la largeur relative de leur voirie, étaient concernées. Mais sans doute faut-il y voir la preuve de la capacité de l’offre d’infrastructures pour la circulation des véhicules à roues à engendrer rapidement un point de saturation pour son usage… L’auteur déplore que les Romains n’aient pas apporté de « changements heureux » au tracé milésien, malgré l’existence d’encombrements de la circulation, en hiérarchisant le réseau viaire en spécialisant les rues les plus larges pour le trafic des véhicules et en réservant les autres pour les piétons ; au lieu de quoi le tracé hellénistique produisait constamment un engorgement au croisement du cardo et du decumanus, qu’aurait pu éviter le tracé de grandes voies de circulation périphériques, qu’aurait justifié l’organisation de la ville en quartiers (vici) eux-mêmes dotés d’un centre secondaire et d’une place publique.L’auteur invoque la densité urbaine résidentielle trop forte, à l’échelle de l’îlot, « l’insulae », comme autre explication des encombrements urbains : la spéculation foncière et l’appât du gain ne pouvaient qu’encourager à subdiviser et surélever les immeubles : au nombre de quatre mille six cents avec deux cents occupants en moyenne à Rome (p. 304)… Il y aurait donc pour lui un « juste équilibre » à trouver entre la densité résidentielle et l’envergure du réseau viaire.*Voir : Jérôme Carcopino, « La vie quotidienne à Rome à l’apogée de l’Empire », 1939, réédition 1990 Hachette

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