Radieuse Bérézina

Lumière crépusculaire sur l’industrie nucléaire

Les visiteurs assidus de carfree ont pu bénéficier de l’exceptionnel privilège de lire en avant première la plupart des chapitres en premier jet de ce livre prémonitoire sur le crépuscule d’une imposture industrielle historique qui fut nommée « énergie nucléaire »: Soixante Radieuses, Soixante désastreuses, 60 ans de détournement de fonds publics pour un fiasco technologique…

Radieuse Bérézina, Éditions Golias mars 2015

Sommaire du livre

Prolégomènes
1. Évènement luciférien
2. Ombre et Lumière sur l’avenir du nucléaire
3. « Marchands de Mort » « Shi no shônin »
4. Fureur nucléaire des « Shi no shônin »
5. Secousses statistiques autour de marmites diaboliques
6. Soucis statistiques à la sauce incurie.
7. Bérézina Nucléaire, « les Soixante Désastreuses »
8. La « Transition Énergétique » à la française
9. Retraite à 50 ans pour les réacteurs nucléaires
10. Rien pour remplacer le nucléaire, est-ce bien suffisant ?
Épilogue, précisions supplémentaires sur l’imposture nucléaire.

Devant l’évidence du fiasco, il nous faut cependant rester très modeste et même pessimiste sur notre situation actuelle car si c’est la Bérézina pour le nucléaire ce n’est pas le fait de l’intelligence critique ni de la résistance à l’imposture de l’énergie atomique. Il n’y a eu aucune victoire et la sortie rapide n’est toujours pas à l’ordre du jour. Nous savions que nous avions raison, mais force est de constater que la tyrannie atomique s’obstine dans la déraison technologique et pourrie de son déni de réalité. Le nucléaire en bout de course semble sortir lui-même du nucléaire.

La conscience aiguë de ce qui sera tôt ou tard reconnu par l’histoire comme un crime et le combat écologiste actuel contre cette imposture énergétique ne peuvent s’attribuer qu’une très faible part dans cette évolution terminale. L’arbitraire a gagné sur toute la ligne et s’impose jusqu’au bout pour bunkériser une industrie aujourd’hui rattrapée par ses inconséquences…

On assiste donc à l’obsolescence intrinsèque (non programmée) du programme nucléaire… Il pourrit et meurt de ses propres tares congénitales jamais résolues. Les milliards continuent à affluer pour le prolonger dans un grand carénage mais la Bérézina déjà spectaculaire est irrévocable.

Le monstre technologique n’était pas viable…

Avant le « Peak Oil », le Peak « Atoms for peace »

L’Atome qui, au moment du premier choc pétrolier, s’annonçait par la voix commune du pouvoir et du savoir comme la Panacée et, à ce titre mythique, prétendait pouvoir tout résoudre par le savoir tout en apportant le bonheur à tous les êtres humains de la planète, l’Atome donc, est aujourd’hui au plus mal. Partout dans le monde il est en perte de vitesse…

Malgré l’arbitraire redoublé des élites politiques pour le réanimer, comme c’est le cas au Japon avec les pantomimes ultranationalistes du premier ministre, il semble vouloir jeter l’éponge.

Aujourd’hui, le nucléaire ne représente plus que 4% de l’énergie finale utilisée dans le monde et les perspectives sombres pour Aréva, le numéro 1 mondial l’Atome, s’éclairent presque comme un événement anti-nucléaire de niveau 7. Contre l’arbitraire réaffirmé récemment par la loi sur « la transition énergétique et la croissance verte » voulant sanctuarisé l’atome en France, Fukushima a semble-t-il porté le coup de grâce à une industrie depuis longtemps moribonde. Quand survint la catastrophe de la centrale Japonaise, on entamait la seconde décennie de diminution de la production d’électricité d’origine nucléaire. De 17% de production électrique dans la dernière décennie du siècle passé, l’atome était passé à 13% la veille de la fusion de trois cœurs de réacteur à Fukushima…

A l’exemple bien connu de la France, l’énergie atomique avait été imposée à la hussarde partout où l’élite, le noyau dur des complexes scientifico-militaro-industriels monopolisait tous les pouvoirs, savoir et « contre-pouvoir »… États, Partis, Universités et Médias étaient à la botte de l’Atome.

Mais, les chiffres bruts de l’offensive à outrance du nucléaire sont suffisamment parlants en eux-mêmes. Comme pour le pétrole où, après plus d’un siècle d’utilisation, il y a eu un pic de découverte survenu dans les années 1960 puis un demi-siècle plus tard un Peak Oil mondial, survenu en 2005 pour le pétrole conventionnel, on peut définir pour le nucléaire un pic de construction de réacteurs et un pic de production.

Dernier arrivé dans l’arsenal technologique et premier forfait dans la « course aux énergies », le pic de construction est survenu au moment de la première catastrophe nucléaire de Three Mile Island en 1979, dans la décennie même du lancement mondial de l’énergie atomique. Le pic de production d’électricité d’origine nucléaire survenait à peine deux décennies plus tard.

Lors de la catastrophe de Tchernobyl en 1986, il n’y avait que 120 réacteurs en construction dans le monde alors que les économistes experts ès énergie pronostiquaient encore des besoins en croissance, devant doubler tous les 10 ans. En 2011, au moment de la catastrophe de Fukushima, il n’y avait plus que 64 réacteurs en construction, avec toujours le mythe du doublement des besoins en position dominante dans les têtes bien pleines des élites.

La décélération des mises en chantier est donc spectaculaire: 230 en 1979, 120 en 1986, 64 en 2011. En 2030, moment où l’association Négawatt envisage pour la France un abandon du nucléaire, on peut en suivant cette décroissance pronostiquer une trentaine de mise en chantier, essentiellement dans les tyrannies pétrolières du Golfe, en Égypte, comme pour les Rafales avec des financements saoudiens, en Turquie, en Iran ou dans les différents despotismes asiatiques comme l’Empire du Milieu et son indéboulonnable Parti-État Chinois.

Mais, ce schéma radieux n’est réalisable qu’en l’absence d’événement nucléaire de niveau 7 ou d’évènement anti-nucléaire de niveau 7. Début 2015, la vitrine du savoir-faire nucléaire du numéro un mondial devenait opaque. Les nucléocrates craignent désormais pour leur EPR en berne, inconstructible à Flamanville, ou déjà sont-ils en train de chercher une porte de sortie à cette impasse nucléaire.

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Mythe mort-né des « Centrales nucléaires off-shore »

Les chiffres des contreperformances nucléaires se suffisent à eux-même… Mais, pour aggraver le tableau de la décélération, donner plus de relief à la chute vertigineuse de l’atome, on peut rappeler les projets faramineux des nucléocrates étasuniens, le mythe de l’American Way with Atoms for peace everywhere forever.

Avant la catastrophe de Three Mile Island qui allait mettre un terme au programme nucléaire civil aux États-Unis, sans pour autant réduire le jusqu’auboutisme des nucléocrates, dans les années 1960 et dans les cerveaux savants, avait germé le grand projet de « centrales nucléaires off-shore ». Comme les milliards de dollars affluaient, les élites politico-polytechniques pouvaient imaginer des usines de production en série de réacteurs sur le modèle automobile. Une unité avait pu voir le jour à Jacksonville en Floride au début de ces années 1970.

En ces temps scientistes, la science réelle n’avait rien à envier à la science-fiction. Tout était possible en Amérique et les chercheurs scientifiques décrochaient à tous les coups la lune. Comme le rapportait un journaliste halluciné dans un numéro de La Recherche en 1974, les perspectives étaient véritablement radieuses: « On pense que l’usine de Jacksonville, employant 10.000 personnes, sera terminée vers 1975 et aura une capacité de production de quatre centrales par an » (1).

C’était à la veille de la première catastrophe nucléaire majeure dans le « Monde Libre » mais anti-démocratique, où seuls les nucléocrates avaient voix au chapitre. Avec l’événement de Three Mile Island, l’idéal sur l’axe imaginaire pur « atoms for peace » des flotteurs nucléaires était rattrapé par la dure vérité du monde réel.

Il est donc aujourd’hui impossible de connaître le nombre total des flotteurs atomiques prévus pour être étalés dans la zone économique exclusive des États-Unis d’Amérique. Mais, selon les chiffres disponibles, c’étaient des milliers de réacteurs qui étaient projetés… En ajustant ces perspectives d’origine, on a une décélération encore plus vertigineuse pour illustrer l’imposture technologique.

Le Crash de Superphénix avant celui de l’EPR

De crash en crash technologique, l’industrie nucléaire rattrapée par ses inconséquences conceptuelles révèle elle-même son imposture.

Si les « évènements nucléaires de niveau 7 », définis par la classification de l’INES (International Nuclear Event Scale) constituent de fait sur le plan politique des évènements antinucléaires révélateurs de l’imposture, on peut dans cet ordre d’idées rajouter dans la réaction en chaine de désintégration nucléaire les crashs technologiques (sans catastrophe), comme ce fut le cas à Creys-Malville pour le premier surgénérateur industriel.

Dans les années 1990, l’atome avait été labellisé « carbone free » pour repartir de plus belle avec la mission officielle de sauvetage de la planète.

L’événement de Tchernobyl survenu en 1986 dans l’Empire soviétique comptait pour du beurre dans le « Monde Libre »… On était donc dans la décennie suivante de la catastrophe déjà oubliée de Three Mile Island. La France s’était emparée de la flamme atomique où, sans gloire, l’Amérique avait refourgué les manips sur l’atome à l’Hexagone.

Conformément aux plans sur la comète tracés par les théoriciens nucléaires et avec le coup de pouce de l’arbitraire, les nucléocrates s’étaient fait construire un surgénérateur industriel à Creys-Malville.

Rien ne manquait à la surgénération française de l’atome, le greenwashing faisait partie du packaging marketing, les amateurs de science pouvaient s’émerveiller des perspectives rapidement radieuses des neutrons rapides. « (…) à une époque où se développe la conscience de la qualité de la vie et où se manifeste avec acuité la nécessité de protéger la nature et l’environnement contre les dégradations dues aux techniques modernes, l’énergie nucléaire apparaît comme une solution aux problèmes de pollution atmosphérique par les centrales thermiques. Des réacteurs fournissant plus de combustible qu’ils n’en consomment, voilà de quoi exciter l’imagination des physiciens et des ingénieurs! Du rêve à la réalité il n’y a souvent qu’un pas: ces réacteurs, dits à neutrons rapides, sont déjà dans leur phase de démonstration… Parmi les 140.000 Mégawatts électriques d’origine nucléaire prévus pour l’An 2000, 40.000 Mégawatts environ pourraient être installés sous forme de centrales à neutrons rapides. » (2)

Les autorités politiques s’empressèrent de traduire en essence sonnante et trébuchante toutes ces belles promesses faites en Gigawatts. Par la voie officielle du Président de la République, les automobilistes téléspectateurs apprirent au moment du « choc pétrolier » qu’« avec ce type de réacteur et ses réserves en uranium, la France disposera d’autant d’énergie que l’Arabie Saoudite avec tout son pétrole. »

A l’échéance prévue de l’An 2000, Superphénix était déjà en déconstruction.

Une décennie plus tard, dans la réaction en chaine de désintégration nucléaire, débutait juste avant Fukushima le crash de l’EPR puis juste après la faillite d’Aréva venait voler la vedette à l’anniversaire de la catastrophe japonaise. Radieuse Bérézina…

JMS
Mars 2015

1. La Recherche n° 51, décembre 1974 « Un champ de bataille économique : l’océan » Guy Prud’homme de Saint-Maur
2. La Recherche n° 31 de février 1973 « Les Réacteurs à Neutrons rapides »

Un commentaire sur “Radieuse Bérézina

  1. Vincent

    Three Miles Islande → Three Mile Island

    Ceys-Malville → Creys-Malville

    Incidemment, quarante ans après Armageddon, la centrale de TMI fonctionne toujours, sur son unique réacteur. Qui l’aurait parié à l’époque?

     

     

    Pour avoir une idée des ordres de grandeur, une bonne vidéo:

    « David MacKay, L’énergie durable – pas que du vent – Paris, December 2012 »

    http://www.youtube.com/watch?v=BhqQ8IGPEJE

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