Big Business avec les Gaz de Schiste

Première partie : 1/3

Par une série d’articles mis en ligne sur carfree, on s’était intéressé aux plumitifs attachés à la promotion des gaz de schistes. Leur labeur servile pour relativiser les risques et encenser les bénéfices potentiels de la mise en exploitation de ces énergies fossiles devait être signalé.

En 2013, on épinglait un article du Monde particulièrement suspect par son anachronisme (1), puis l’éclairage fumeux de l’académie des sciences (2). En 2014 c’est « Halliburton loophole » de l’Europe (des eurocrates) qui était dénoncé (3). Durant cette même année, les « think tanks » de droite comme de gauche en France se jetaient dans la bataille pour à nouveau nous faire miroiter les avantages et l’urgence à autoriser les forages. Dans le même temps la classe politique lançait une offensive historique contre la « charte de l’environnement » avec d’abord un « principe d’innovation » pour contrebalancer le principe de précaution, ensuite un agité du bocal en campagne eut l’idée d’un « principe d’innovation responsable » pour en finir définitivement au niveau législatif avec toute forme de protection (ce qu’il en subsiste) de la nature…

Journalistes, scientifiques, économistes et hommes politiques, cela fait beaucoup de monde investi dans le registre d’une propagande de promotion des gaz de schiste, dont l’exploitation est clairement et unanimement refusée par tous les peuples d’Europe. Les quatre pouvoirs, plus le savoir académique s’obstinent encore aujourd’hui dans une véritable « production culturelle de l’ignorance » et s’égosillent avec des rhétoriques dithyrambiques sur les thèmes surannés de l’indépendance énergétique et de l’emploi.

La question se pose de savoir pour qui s’active ce petit monde politico-médiatique et scientifique ? Pour qui transpirent encore ces plumitifs stipendiés puisque d’emblée, presque instantanément, la victoire de l’information sur les gaz de schiste fut acquise par les peuples d’Europe ?

On le sait : Les pétroliers, mais pas seulement eux. Il existe un Big Business avec les gaz de schiste plus large, industriel et financier, qui s’obstine et s’inscrit délibérément dans une dynamique de « capitalisme du désastre. » Les transnationales en lice qui s’activent en coulisse des États et Institutions européennes sont nombreuses et ont déjà acquis, comme aux Etats-Unis, le sabordage des lois environnementales.

Il ne sera pas possible de passer toutes ces puissances cyclopéennes bien intentionnées sous l’analyse critique. Les compagnies pétrolières et leurs filiales de circonstances déjà largement critiquées et démasquées dans les articles précédents au travers des productions littéraires journalistiques et académiques seront épargnées ici. Rappelons qu’elles sont aussi impliquées dans la chimie de la fracturation en tant que firmes pétrochimiques et, comme le plaidait un élu, intéressées en tant « qu’énergo-intensif » (industrie énergivore). Dans les mixtures de fracturation hydraulique, la liste des ingrédients cancérigènes et perturbateurs endocrinienne est assez édifiante. Elles ont suffisamment défrayé la chronique depuis l’article du New York Times du 26 février 2011 « Regulation Lax as Gas Wells’ Tainted Water Hits Rivers » (4).

En plus de ce que l’on savait sur le risque sanitaire des mixtures injectées, on découvrait les remontées d’une pollution radioactive. Le journaliste découvrait le pot au rose de l’eldorado du gaz et déplorait l’absence totale de réglementation. Il oubliait seulement leur abrogation en 2005 par le fameux « Halliburton Loophole« . La révélation de ces données connues de l’administration, mais cachées dans les dossiers classés « confidentiel« , fit le tour des médias, mais ne perturba pas la routine des gaziers.

Rappelons ici le poids du Big Business… Malgré ces informations édifiantes, l’État de New York aux premières loges et forcément bien informé depuis 2011 par The New York Times n’arrêta sa décision d’interdire l’exploitation des gaz de schiste sur son territoire qu’en 2014…

Nous ne parlerons pas ici des industriels qui fabriquent les liquides de fracturation hydraulique, ni des foreurs qui les utilisent sans bien savoir ce qu’ils manipulent… L’objectif de cet article n’est pas principalement d’être informatif, il est avant tout de faire émerger, des quelques cas traités, la logique ou les ressorts sous-jacents du « capitalisme de désastre » qui anime désormais ces transnationales. Plus la pénurie d’énergie fossile s’aggrave, plus la prospection-exploitation s’avère difficile et dépendante de technologies complexes, plus ça devient rentable pour elles, et plus les États les subventionnent et imposent le sacrifice des chartes de l’environnement…

Dans les articles précédents, pour mettre en évidence le statut assumé de « nouveaux chiens de garde » (du capital) des journalistes, on s’était attaqué à la presse réputée sérieuse, Le Monde en particulier. Ici, il nous faudra parfois puiser nos informations dans les articles de journaux à sensation affectionnés par les PDG des entreprises du CAC 40: Échos, Figaro, Usine Nouvelle et Consorts… car ils n’ont toujours pas renoncé. Ambiance de bulle spéculative assurée…

Lire aussi :  Déménagements à vélo

Dans cette infernale compétition internationale entre grands groupes financiers et industriels, c’est peu dire que seule la rentabilité à court terme et à moindre coût de production compte. Le Far West High Tech, tous les moyens sont bons et tous les coups bas sont permis à commencer par le sacrifice des salariés et des populations.

Un article du JDD d’octobre 2014 donnait en avant goût une idée de la contagion: « Des industriels français s’unissent pour le gaz de schiste. » On apprenait qu’une quinzaine d’entreprises françaises phosphoraient depuis plusieurs mois sur la création d’un « centre d’information et de documentation » sur le gaz de schiste, une Grosse Bertha du Big Business pour la production de l’ignorance. Encore secret – car pas finalisé -, cet observatoire des fleurons français devrait voir le jour au début de l’année 2015, pour continuer à peser dans le débat et trier les informations disponibles sur le sujet.

Intention louable car nous dit-on: « On entend tout et n’importe quoi sur le sujet« , lamentation d’un des leaders de ce projet. Objectif ostensiblement révélé dans l’article: « Les porteurs du projet affûtent surtout leurs armes pour faire du lobbying auprès de la Commission européenne et la convaincre de lancer l’exploration de gisements en Europe. » Certains de ces industriels figurent parmi ceux que nous citons ci-après…

Figures Françaises de schiste de l’Hydre extractiviste

Qui sont ceux qui, la main sur le cœur, prétendent nous vouloir du bien ? Imérys, Vallourec, Cofor Vinci, Véolia, Lafarge, GDF-Suez, Saint-Gobain, CGG Véritas, Solvay… La liste n’est pas exhaustive. Ce pourrait être un inventaire à la Prévert tellement les intéressés agglutinés à la bulle spéculative des gaz de schiste apparaissent hétéroclites dans leur origine et spécificité technique. Mais c’est plutôt une photo de famille attablée autour d’un même gâteau, et comme on peut le deviner sur cette courte brochette, il n’y a pas que des pétroliers dans l’affaire, des cousins éloignés sont aussi du banquet.

Les choses s’expliquent assez simplement par les données techniques. On est dans du « non conventionnel technologique« , les deux termes ont leur importance. Dans cette « géo-ingénierie » de l’extrême, les moyens mis en œuvre pour fracturer la roche mère et récupérer les hydrocarbures sont multiples, complexes et dépendent de savoir-faire spécifiques dispersés en de nombreuses entreprises industrielles.

Si la fracturation hydraulique est facile à comprendre dans son principe, tous les problèmes résident dans les détails techniques, non traités en cours magistral, mais ils surgissent bel et bien lors de leur mise en œuvre pratique. La liste non exhaustive des entreprises donnée ici peut servir de mesure à la complexité de l’aventure technologique. La fracturation hydraulique est une véritable usine à gaz au sens littéral de la formule. Le limpide schéma technique servi par les industriels dans les médias est trompeur et cède vite la place à une multitude d’accidents conduisant au désastre environnemental, lors des travaux pratiques, comme l’a facilement mis en évidence le film « Gasland. »

Ça fuit de toute part et les fuites sont à la mesure de la complexité du système, ça ce voit, ça se sait, ça se sent, ça s’entend et même ça se mesure, on n’insiste pas…

Pour mettre un peu d’ordre dans ce beau monde de bienfaiteurs, on peut répartir ces entreprises avec leur savoir-faire en trois groupes: amont, milieu, aval. Ceux qui fournissent la logistique de l’écocide, ceux qui le commettent et ceux qui prétendent pouvoir faire disparaître l’arme et les traces du crime.

Comme dit précédemment, les pétroliers déjà traités dans leur sale besogne par ailleurs, seront épargnés ici. On s’intéressera seulement au segment amont, ceux qui fournissent l’arme du crime écologique et au segment aval, ceux qui se chargent d’en effacer les traces.

A noter pour être complet, que certains groupes peuvent se positionner sur plusieurs segments. GDF Suez en tant que géant totipotent de l’énergie intervient sur tous les segments: la logistique, la production, le conditionnement, la distribution, et l’utilisation du gaz et Suez environnement, géant des eaux concurrents de Veolia sur le segment aval.

Fin de la première partie
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(1) Gaz de schiste l’imposture médiatique aussi
http://carfree.fr/index.php/2013/09/23/gaz-de-schiste-limposture-mediatique-aussi-3/
(2) Gaz de schiste, l’Académie des sciences fossilisée dans la roche mère
http://carfree.fr/index.php/2014/03/07/gaz-de-schiste-lacademie-des-sciences-fossilisee-dans-la-roche-mere-4/
(3) L’Halliburton-loophole-europeen
http://carfree.fr/index.php/2014/04/14/lhalliburton-loophole-europeen/
(4) Traduction sur le site « Planète sans Visa »
http://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1078

3 commentaires sur “Big Business avec les Gaz de Schiste

  1. pedibus

    Passionnant mais inquiétant tout ça : on attend la suite.

    En particulier il serait intéressant de connaître le niveau seuil de prix du baril en deça duquel cette nouvelle gigantesque usine à gaz capitaliste se verrait désamorcer la pompe à phynances.
    On devrait alors souhaiter la « fracturation » des cours de matière première pour déstabiliser la filière : parions que l’instabilité géopolitique maximale du seul Proche-Orient ne vienne apporter l’insécurité économique au système, en faisant alterner à moyen terme pléthore et rareté, contribuant peut être alors à l’élimination de ces dinosaures transnationaux de l’économie des énergies fossiles…

  2. Jean-Marc

    J-M Sérékian, tu n en as pas encore parlé, et je vois bien le « 1/3 » en haut de l article,

    Mais, comme cela est d actualité (pas mal de monde en parle dans les média de masses) je voudrai parler du fluoro-propane,  qui rendrai la fracturation hydraulique (toujours aussi dangereuse niveau sysmique c.f. l Oklahoma…) un peu moins dangereuse, selon ses défenseurs.

    Alors… comment dire… une introduction de physique atomique, chimie, biologie et médecine est nécessaire, pour comprendre de quoi il est question

    [sinon, on fait comme une navigatrice française, à passer son temps dans les média à désinformer, plutôt qu’à se former scientifiquement sur les sujets qu’on aborde en permanence (lobbying?)]

     

    fiche INRS (institut nationale de la récherche et la sécurité) de hydrocarbures halogénés :

    http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%204223

    en lisible :

    http://www.inrs.fr/dms/inrs/CataloguePapier/ED/TI-ED-4223/ed4223.pdf

    Lire surtout page 5, chapitres 3.4 et 3.5.

    extrait de 3.5 :

     » par réaction photo-chimique, augmentant ainsi les risques pour les personnes asthmatiques ou souffrant d’insuffisance respiratoire. Certains sont aussi responsables de la destruction de la couche d’ozone stratosphèrique.

    Un autre aspect concerne la pollution des sols et des nappes
    phréatiques. En effet, ces solvants ne sont pratiquement pas solubles dans l’eau et moyennement biodégradables, aussi, tout rejet intempestif peut entraîner une pollution des sols préoccupante en cas de présence d’une nappe phréatique sous le site. »

    plusieurs choses à savoir :

    les halogènes, c est le Fluor, le Chlore, le Brome et l’Iode (au-delà, c est des éléments artificiels, qui ne se trouvent pas dans la nature).

    On constate que la fiche de l’INRS, est sur le Fl, le Cl, le Br… mais pas l’I, pas l iode… bizarre, non ?

    En fait, pas du tout : c est une fiche de danger, de prévention des risques : l iode est un halogèné = il a un électron de plus, ce qui le rend très réactif, comme tous les halogènés,

    MAIS, c est le plus gros noyau (naturel), c est celui qui a le plus d inertie, qui est le plus pondéré par son gros noyau, le moins réactif.

    A l inverse… le Fluor est le plus petit des halogénés, le plus fort.

    [c.f. autres exemples, de l importance de la petitesse vis à vis d’une fonction, d’une réactivité : le fonction alcool, -OH : il y a bcp plus de fonctions alcools dans de l amidon de pain/patate/maïs que dans de « l alcool », de l’éthanol (une seule), ou dans « l alcool des fous » (une seule aussi), le méthanol. le méthanol (qui rend fou et aveugle), plus petit que l éthanol, un carbone de moins, sa fonction alcool est plus réactive, plus dangereuse que la fonction alcool de l éthanol… et elles sont bcp plus actives que celles de l amidon (sauf si on le fait se faire couper en petits morceaux par des levures, au cours de la fermentation, produisant alors -entre autre- des éthanol)]

    Petit rappel : les CFC (le fréon des anciens frigos, interdits maintenant) : les chloro-fluoro-carbones, sont des hydrocarbures (doublement) halogénés.

    là, on parle de Fluoro-propane, un fluoro-carbone : du fluor, au lieu de moitié-moitié fluor et chlore (chlore moins dangereux que fluor) => potentiellement, plus dangereux pour l environnement (couche d ozone en particulier), nos poumons (attaques rongeant) et notre peau, que les CFC.

    Dans la fiche INRS, il est précisé que tous produits fluorés (et chlorés et bromés), par dégradation aux UV, produit du fluorure d’hydrogène (chlorure d’H, bromure d’H), de l acide fluorhydrique, un acide très puissant, très fort.

    Les vapeurs d acide fluorhydrique et chlorhydrique qui émanent d eux, attaquent/détruisent nos poumons.

    Autre exemple d actions des halogénés : les hydrocarbures halogénés, plus particulièrement ceux au  chlore et fluor (le brome est moins pire : par la taille de son noyau, par sa réactivité, il se rapproche de l iode), attaquent les métaux, et, en particulier… rongent.. l acier inoxydable (une illustration, pour se rendre compte de leur force, de leur réactivité…).

    Au bilan,  si on tient compte de sa présence dans les hydrocarbures halogénés, en particulier fluorés, le beau fluoro-propane, risque d attaquer nos poumons, nos peaux, nos nappes phréatiques, et notre couche d ozone.

    Je crois qu’il est donc essentiel de le promouvoir au plus vite : sa présence en bien plus forte concentration nous manque déjà…

  3. Jean-Marc

    « l iode est un halogèné = il a un électron de plus »

    oups, en fait, il fallait lire :

    « l iode est un halogéné = il lui manque un électron, il a un électron de moins » (pour avoir sa dernière couche d’électrons complète)

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