Big Business avec les Gaz de Schiste

2e partie, (2/3)
Segment amont, la logistique de l’écocide

Ce groupe du Big Business avec les gaz de schiste donne le plus grand nombre de têtes à l’hydre extractiviste. L’effectif est en proportion de la complexité technologique de la fracturation hydraulique et de sa mise en œuvre… On se contentera de nommer les principales figures et de les présenter avec quelques éléments de leur pedigree… Comme précisé dans la première partie, il s’agit surtout ici de mettre en évidence leur arrivisme, leur opportunisme et leur responsabilité active dans la montée du « capitalisme du désastre » tel que le décrit Naomi Klein.

Imérys : Entreprise minière française présente dans une cinquantaine de pays, apparait comme leader mondial de l’extraction et de la transformation des minéraux rares. Dans son développement, le groupe est devenu fabricant de microbilles dites « agents de soutènement » ou « proppants ». Avant, ces agents sont longtemps restés naturels comme le sable, puis il a fallu les perfectionner. Avec l’émergence de la micro-industrie ils ont pu devenir synthétique pour être à la hauteur des contraintes mécaniques, aux quantités importantes nécessaires et répondre aux attentes des investissements lourds représentés par la fracturation hydraulique. En 2013, l’entreprise élargissait sa gamme de « proppants » synthétiques sur le marché. Dans la liste hétéroclite des agglutinés sur la bulle spéculative des gaz de schiste, cette entreprise avec ses billes et microbilles, peut être mise en première ligne de l’opportunisme. La ruée vers la roche mère, c’est pain béni pour cette spécialiste des billes minérales. Et pour le coup, c’est le cas de le dire, bille en tête, elle a misé gros dans la fracturation hydraulique. Le retour sur investissement lourd ne pouvait être rapidement et durablement assuré que par l’intensité de la frénésie extractiviste aux États-Unis et sa contagion rapide dans le reste du monde avec en ligne de mire principale l’Europe occidentale. La dimension géostratégique doit être rappelée pour expliquer la frénésie contagieuse qui amène l’entreprise à évoluer en limite de contre-productivité. La fracturation hydraulique déjà en lisière de rentabilité technique avec un ERoEI (Energy Return on Energy Invested) très bas (4/1 contre 30/1 pour le pétrole conventionnel), n’est financièrement rentable que si le lieu d’extraction est le même que celui de consommation. Pour des raisons éminemment stratégiques, la loi aux États-Unis interdit l’exportation de leurs réserves énergétiques conventionnelles. Dans la guerre du gaz engagée entre les USA et la Russie, rares sont ceux qui se laissent impressionner par les fanfaronnades de B. Obama, lors de sa venue à Bruxelles. Le tintamarre autour du gaz naturel liquéfié vendu à l’UE ne peut pas dépasser l’espace médiatique. Et comme le rappelait la revue Nature fin 2014, toute la logistique locale pour son conditionnement et son transport pose de sérieux problèmes financiers et techniques pouvant aboutir au « fiasco » : « We’re setting ourselves up for un major fiasco » (1).

Vallourec :
Introduite à la Bourse de Paris en 1957, l’entreprise est aujourd’hui leader mondial dans les tubes sans soudure et solutions tubulaires destinés à tous les types de forages. La crise du « pétrole facile à extraire » c’est tout bénef pour Vallourec car le groupe roule les mécaniques dans le non-conventionnel ou les forages off-shore profonds. Entrée au CAC 40 en 2006, l’entreprise ne peut que prendre de l’envergure dans la conjoncture de crise des énergies fossiles. Le rush de fièvre schisteuse aux États-Unis lui a donné des ailes pour traverser l’Atlantique et investir dans la production de tube. En un an, une usine fut mise sur pied à Youngstown dans l’Ohio et en 2011, le groupe est en mesure d’attiser le rush des hydrocarbures de schistes et d’engranger des profits colossaux avec ses tubes.

Philippe Crouzet, son PDG puissant, influent, a bien sûr ses entrées assurées jusqu’à l’Élysée. Homme de pouvoir et de coulisses de l’État, il a défrayé la chronique en juillet 2013 par son manque de délicatesse. L’épisode du soudain débarquement de Batho du gouvernement, c’est lui en éminence grise. L’homme a les dents longues et compte en dividendes. Suivant sa logique calculatrice, aveugle aux charmes de la jeune et affriolante Delphine, il a obtenu son passage à la trappe. Dans ce bas monde de brutes, la seconde ministresse du quinquennat Hollande croyant détenir une once de pouvoir réel se permettait de faire un blocage sur le gaz. Elle découvrit vite la précarité foncière du poste au ministère de l’écologie…

Plus la pénurie s’aggrave, plus il faut forer et tuber profond et plus c’est bon pour Vallourec. Si cette situation était sans incidence adverse on aurait simplement un exemple d’opportunisme. Mais depuis que l’on connait les conséquences environnementales et sanitaires de la fracturation hydraulique, on quitte le simple affairisme pour entrer dans le registre actuel du « capitalisme du désastre. » En bref, Vallourec prospère à l’ère de la détresse pétrolière. De manière encore plus caricaturale et globale, on sait par la presse que pour toutes les grandes compagnies pétrolières, le réchauffement climatique et la fonte des glaces polaires deviennent une perspective heureuse pour leurs affaires. Ce n’est plus de l’opportunisme ni du machiavélisme avec ces deux termes simplement comportementaux archaïques, on reste dans l’euphémisme. On entre dans une stratégie prospère du pire. Généreuse dans ses bénédictions éclairantes, l’Académie des Sciences en France a déjà accordé ses indulgences…

Saint-Gobain : Vieille entreprise française pluriséculaire, elle fut fondée par Colbert en 1665, le mercantiliste financier du Roi Louis 14e qui « a tant aimé la guerre« , enrichi les riches créanciers et ruiné le royaume.

Initialement spécialisée dans la verrerie, elle s’est diversifiée dans la fourniture de matériaux de construction. Comme tout acteur du bâtiment, l’entreprise a sa maxime philanthropique: « Saint-Gobain construit votre futur« , sans en préciser la couleur, rose et radieux ou noire suffoquant et radioactif avec les gaz de schiste. C’est une transnationale du CAC 40 présente dans une soixantaine de pays et, pour l’hydrocarbure de roche-mère, elle intervient par sa branche « matériaux innovants. » Moins atteinte par la fièvre schisteuse qu’Imérys, l’entreprise se positionne aussi sur le segment amont avec ses microbilles en céramique, « agents de soutènement« , utilisées lors de la fracturation hydraulique de la roche mère pour garder ouverte les fissures. Dans la bande des philanthropes, ce n’est pas l’entreprise la plus fébrile, mais son PDG Pierre-André de Chalendar semble prendre pour argent comptant la propagande américaine: « On assiste à une révolution industrielle aux États-Unis. Les Américains ont atteint une compétitivité fantastique grâce au gaz de schiste. » Ou plus sournoisement tente par son enthousiasme débordant de transmettre la frénésie schisteuse en France…

Air Liquide : groupe industriel français du CAC 40, en position de leader mondial des gaz industriels et médicaux, présent dans 80 pays. Il intervient avec ses multiples produits dans tous les types d’industries primaires, secondaires et tertiaires. Impossible de décrire tout ce que l’entreprise est capable de pomper et de mettre en bouteille sous haute pression et liquéfaction. Malgré un marché aussi large et juteux que diversifié et assuré, l’entreprise n’a pas hésité à se compromettre dans la bulle spéculative des gaz de schiste. On imagine aisément son impatience à ce que la fracturation hydraulique redevienne possible en France. Levé par la fièvre schisteuse, le groupe semble vouloir se positionner sur le créneau démagogique de la « fracturation écologique. »

Après un premier couac avec la société américaine Chimera Energy Corp, Air Liquide n’a pas pour autant abandonné la partie. La coopération loupée autour d’une « Zero Water Fracking« , autrement dit une fracturation sèche ou pneumatique à l’hélium, sur un projet de Permex au Mexique, avait défrayé la chronique en 2012. Comme on le sait, dans l’espace médiatique et les dossiers marketing on joue beaucoup sur les mots depuis la loi d’interdiction de la fracturation hydraulique en France… Avec l’adjonction de gaz liquide, Azote ou Gaz carbonique à la fracturation hydraulique, on obtient une fracturation hydraulique mais semi-hydrique, semi-gazeuse liquide. Traduit en langage marketing, (avec un zeste de mauvaise foi) elle peut être vendue comme une « fracturation écologique. » Le package médiatique comporte la précision massue: « une économie d’eau jusqu’à 50 %. » Rappelons que pour produire ces gaz sous haute pression ou à l’état liquide, il faut dépenser beaucoup l’énergie sur un site de production et encore plus d’énergie pour l’acheminer. Rappelons aussi que le Gaz carbonique, même mis en bouteille par Air Liquide, est un gaz à effet de serre. Et pour ce qui est de la fracturation à l’heptafluoropropane du feu ministre du redressement productif, elle à fait long feu…

Lire aussi :  Comment saboter un pipeline

CGG Véritas : La Compagnie Générale de Géophysique-Veritas devenue CGG en 2013, fut créée en 1931 par Conrad Schlumberger, cette entreprise française est spécialisée dans l’exploration du sous-sol et a rencontré le succès avec le pétrole. Avec la pénurie et à plusieurs millions de dollars le forage exploratoire, la cartographie devient stratégique, l’armada des engins vibreurs et renifleurs s’impose. Le au petit bonheur la chance des premiers foreurs n’est plus de mise, avant de forer, il faut savoir où forer, établir une carte 3D du sous sol…

Spécialiste de la sismique, marine 3D, puis 4D, terrestre avec ses équipements parapétroliers sophistiqués, la compagnie arrive en première ligne sur le champ de bataille. L’inconnu est son domaine de prédilection et les abysses océaniques son délice, c’est donc une entreprise des plus intéressées par le dérèglement climatique et des plus excitées par la fonte des glaces polaires.

Pour Jean-Georges Malcor, PDG de CGG: « les eaux arctiques russes sont une nouvelle frontière dont le fort potentiel a été démontré au cours de ces deux dernières années (1). »  Ainsi le désastre climatique, la fragmentation de la banquise lui ouvre des horizons…

Pour être présente sur le front polaire russe, elle s’est alliée avec un groupe local de l’État-Gazier Poutine-Gazprom. Une flotte de bateaux renifleurs est à équiper. En attendant les perspectives radieuses du réchauffement climatique pour atteindre ces nouvelles frontières septentrionales inconnues du pétrole, CGC travaille pour le gaz.

Le groupe Solvay : Entreprise belge leader mondial de la chimie présent dans 55 pays qui avec sa filiale Rodhia-Novecar vend du guar, un épaississant bien connu entrant dans la composition par ailleurs secrète des fluides de fracturation. Parenthèse marketing à propos de cet ingrédient d’origine végétale, parmi les chauds partisans de l’exploration des hydrocarbures de schiste, certains ont pu oser dire que les produits chimiques utilisés dans les fluides de fracturation n’étaient pas toxiques. La preuve, on utilise le guar dans l’industrie agro-alimentaire, mis à toutes les sauces et mixtures, glaces, soupes, boulangerie ou pâtisseries, dentifrice… Son nom de code est E 412.

« Pour faciliter la fracturation de la roche-mère, Rhodia Novecare (groupe Solvay) vend de son côté du guar, un épaississant, dont la hausse des cours a dopé l’Ebitda de Solvay au troisième trimestre 2012« , nous apprend débordant d’enthousiasme un journaliste des Échos (2).

Subtilité de la mondialisation ou effet papillon, le « boom » spéculatif des gaz de schiste en Amérique fit une hécatombe à l’autre bout du monde. Plus de 200.000 fermiers ruinés en Inde en une saison, la manne providentielle de l’économie du Guar indispensable à la fracturation hydraulique et boosté par la ruée sur les gaz de schiste fut en effet de brève durée.

D’une frénésie à l’autre, extractiviste aux Etats-Unis, cultivatrice productiviste en Inde, les cours du guar s’envolèrent et donnèrent des idées. Les paysans (pauvres) du Rajasthan, en première ligne dans cette culture traditionnelle, empruntèrent sans compter pour investir et être à la hauteur d’une demande en croissance rapide… Le cycle économique habituel, d’abord la hausse palpitante ensuite la chute mortelle… Le ciel ne tarda pas à s’assombrir et après l’embellie de 2010-2012, les cours retombèrent… En 2013, les paysans se retrouvèrent plus pauvres encore, criblés de dettes… D’autres, mieux armés économiquement, eurent la même idée, la concurrence impitoyable fit son œuvre…

La gomme de guar est extraite de la graine de la légumineuse Cyamopsis tetragonoloba qui, dans l’économie de subsistance de l’Inde millénaire, sert de fourrage pour les bêtes domestiques. Dans ce pays, vache maigre pour les vaches sacrées, c’est aussi la pénurie d’énergie pour le monde rural. Car il faut le savoir, encore aujourd’hui la bouse séchée des vaches sacrées constitue le combustible domestique pour les paysans pauvres. A l’origine, la légumineuse produite en agriculture pluviale était destinée à l’alimentation animale. Lorsque l’industrie agroalimentaire s’est intéressée au guar comme agent émulsifiant, la donne agricole locale se mis à goûter à la mondialisation et mit le doigt dans l’engrenage spéculatif de l’offre et de la demande. Lorsque l’industrie pétrolière fit bondir la demande, le cours de la gomme de guar a fait lui aussi un bon vertigineux. Il n’est plus question de nourrir des bêtes avec cette matière si soudainement devenue stratégique dans la géopolitique de l’énergie.

On retrouve, concentré en une décennie, les deux stades de développement du capitalisme ayant ravagé les continents et affamé les peuples autochromes durant les siècles passés. A l’origine de ce nouveau désastre sociologique sur une culture millénaire, on retrouve le productivisme agricole pour l’agroalimentaire transnational puis l’extractivisme transnational détournant pour ses besoins une substance essentielle et spécifique à une économie de subsistance locale.

Certes, cet ingrédient, le guar, n’est pas absolument indispensable à la fracturation hydraulique. Mais les fait sont là, avec simplement son potentiel d’utilisation massive dans l’industrie des gaz de schiste, un cauchemar de Darwin est possible aux antipodes de l’Amérique. Les paysans indiens et leurs vaches sacrées se seraient bien passés du « boom des gaz de schiste » aux États-Unis pour lequel le journaliste des Échos a la charge de faire saliver et baver ses lecteurs…

Avec cette première brochette d’entreprises, positionnées sur le segment amont, celles qui fournissent l’arme du crime écologique, on constate qu’avec leur savoir-faire elles prospèrent sur des fronts divers dans une sorte d’économie circulaire alimentée par la double crise énergétique et environnementale.

Plus la pénurie d’énergie s’aggrave, plus il faut forer loin et profond, plus il faut produire de moyens pour extraire de l’énergie et plus il faut d’énergie pour produire des moyens, plus les moyens justifient la fin: la pénurie terminale d’énergie fossile.

Plus la crise environnementale s’aggrave, plus les perspectives économiques s’éclairent. Plus la fonte des glaces libère le pôle Arctique, plus ses abysses deviennent accessibles, plus les sciences de la terre deviennent géo-ingénierie prédatrice.

Fin de la 2e partie
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(1) Le marin le 19/06/2014 « Recherche sismique: le russe Sovcomflot s’allie à CGG pour opérer dans l’Arctique »
(2) Les Echos le 14/11/2012 « Les industriels français à la conquête du marché des gaz de schiste« , Véronique le Billon.

3 commentaires sur “Big Business avec les Gaz de Schiste

  1. pédibus

    dans la même veine, sur l’activité extractive, sans foi ni loi, la même Naomi Klein déjà citée, interviewée aujourd’hui sur une radio publique:

    Le capitalisme survivra-t-il à l’urgence écologique ?

    « On ne changera pas les lois de la nature… mais comment changer celles de l’économie ? Pour Naomi Klein, malgré les désastres qu’il provoque, le changement climatique est une belle occasion de transformer le capitalisme. »
    http://www.franceculture.fr/emission-la-grande-table-2eme-partie-le-capitalisme-survivra-t-il-a-l-urgence-ecologique-2015-04-27

     

  2. Jean-Marc

    « Pour Naomi Klein, malgré les désastres qu’il provoque, le changement climatique est une belle occasion de transformer le capitalisme »

    ouais… je veux bien espérer y croire… mais il faut se bouger, pour accélérer la prise de conscience et faire fructifier les solutions alternatives (vélo, AMAP, magasins locaux indépendants de proximité, auto-production (jardin/jardin partagé), don, achat d occase,……)

    Le problème, c est le conte de la grenouille dans la marmite :

    quand certains se mettront à réagir, en particulier certains politiques, c’est qu’il sera trop tard…

    cela ne fait que 60 ans que le tout-automobile a été dénoncé par des scientifiques…

    cela fait des décennies que les cancers, diabètes de type II, cas d obésité, allergies dont allergies respiratoires, problèmes hormonaux divers (dont puberté ultra-précoce, chute de la fertilité, et ménopause précoce) sont en explosion…

    Il va falloir attendre quoi de plus, pour que les autorités réagissent à la hauteur du pb ?

    Que l enfant d’un(e) président(e) soit asthmatique, multi-allergique niveau respiratoire, diabétique et obèse ?

    (c.f. l opé. pièce jaune de Mme Chirac pour les dépressifs, suite à la dépression chronique de leur autre fille (pas Claude, l autre, celle qui ne passe jamais devant les caméras))

    En fait, même pas sûr que cela suffise… vu que sa faible pratique d’activités physiques risque fort d être incriminée, avant que la voiture ne le soit…

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