Le Bilan carbone du train (n’en parlez pas à François Hollande)

Il y a six ans, un rapport de la Cour des Comptes se disait favorable au remplacement de nombreux trains TER par des autocars, pour des raisons de coût, mais aussi parce qu’un autocar plein pollue moins qu’un train diesel peu rempli. Depuis, au sein du petit monde des leaders d’opinion, on semble s’être passé le mot.

Ainsi, au cours d’une émission radiophonique consacrée au lancement des autocars de grandes lignes, Gilles Savary, député socialiste, Pierre Cardo, Président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), et Jean-Marc Janaillac, PDG de Veolia Transport, saluaient conjointement le caractère écologique d’un autocar qui polluerait moins que certains trains Intercités tractés au diesel (peu importe que les autocars Isilines lancés par Veolia concurrenceront des trains qui fonctionnent dans leur quasi-totalité à l’électricité). Le 5 janvier dernier, le Président de la République est allé plus loin en réfutant l’idée que pour aller de Paris à Lyon l’autocar n’était pas écologique.

François Hollande joue à Benoît XVI… mais devrait écouter Lénine

Ces éléments de langage participent d’un certain « dénigrement du train » (en français, « train-bashing ») destiné à préparer les esprits à la fermeture de secteurs entiers du réseau ferré. Car il faut bien justifier devant l’opinion cette négligence pour un moyen de transport réputé écologique, dans un contexte où François Hollande, tel le Pape au balcon de Saint-Pierre de Rome, pontifie sur la nécessité d’une action urgente pour lutter contre le réchauffement climatique.

Ce qui nous conduit à la question suivante : ces arguments sont-ils exacts ? Le train pollue-t-il plus que l’autocar ? Lénine disait, citant Hegel, qu’on peut toujours trouver des arguments à l’appui de n’importe quelle thèse, et cela se vérifie ici. Il fait peu de doute en effet qu’un autorail rempli de dix personnes consomme et pollue davantage, par passager, qu’un autocar aux normes Euro VI avec 50 personnes.

Mais Lénine ajoutait qu’au-delà de tel ou tel argument isolé, ce sont les faits généraux qui comptent. Et l’exemple repris en boucle du TER vide est en fait un cas extrême, et il n’est pas nécessaire d’avoir un bac + 10 en logique pour savoir qu’on risque fort de se tromper quand on déduit des choses générales d’un cas particulier.

Particulier, car le phénomène des « TER vides » n’est en aucun cas une règle. Sachant que les TER effectuent chaque année un parcours cumulé de 180 millions de trains-kilomètres, et un trafic de 13,6 milliards de voyageurs-kilomètres, on voit que le trafic est environ 75 fois plus élevé que l’offre, ce qui correspond à un remplissage bien décalé avec l’image du TER vide.

Les chiffres donnés par les organismes d’expertise publics contredisent les discours

Lire aussi :  Un simulateur du budget déplacements dans la Mayenne

Des chiffres officiels sur la pollution et la consommation des différents moyens de transport existent par ailleurs. Les éminences du gouvernement pourraient utilement les consulter, en particulier lorsqu’ils émanent des propres services de l’État – les leurs.

D’abord, voyons la consommation et les émissions de différents moyens de transport selon l’écocomparateur de l’ADEME (l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) pour un aller simple de 500 km, peu ou prou la distance Paris – Lyon :

Le bilan énergétique s’entend exprimé en kilogramme d’équivalent-pétrole, le bilan carbonique en kilogramme de CO2 émis. Le bilan est fait sur la base du taux de remplissage moyen constaté.

Ne le dites pas à François Hollande, mais tous les chiffres sont favorables au train, qu’on le compare à la voiture particulière, à l’avion ou à l’autocar.

Les chiffres du service statistique du Ministère du développement durable nous donnent, pour chaque moyen de transport, les trafics, les émissions de CO2 et la consommation énergétique, non plus sur un trajet isolé, mais sur les données agrégées de tous les trafics faits chaque année en France.

En tout, si on additionne les voyageurs-kilomètres (1 000 millions) et les tonnes-kilomètres (340 millions), 1 340 millions de kilomètres furent parcourus en France en 2014, dont 134 par transport ferroviaire, soit très exactement 10 % du total.

Or, selon l’onglet « D2G » du tableau « Transports et développement durable », les transports ferroviaires SNCF ne consommèrent que 0,8 million de tonne équivalent-pétrole (tep) en 2013 ; auxquelles il faut ajouter les transports ferroviaires autres que SNCF (opérateurs de fret concurrents à la SNCF, RATP, réseaux de métro en région), soit 25 % en plus environ, ce qui donne un total de 1 million de tep, sur 50,76 millions pour l’ensemble des moyens de transports, soit moins de 2 % de l’énergie consommée pour 10 % du trafic.

Le même tableau, en son onglet D3.1, montre que les transports intérieurs ont émis en France, pour 2013, 126 millions de tonnes de CO2, dont seulement… 1 million de tonne pour les transports ferrés, soit de l’ordre de 0,8 %.

En France, le transport ferroviaire a donc effectué 10 % des trafics, consommé 2 % de l’énergie et émis 0,8 % du CO2 liés au transport pour l’année 2014.

Bien cordialement,

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Vincent Doumayrou,
Auteur, blogueur, traducteur,
auteur de La Fracture ferroviaire, pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer,
Les Editions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007. Préface de Georges Ribeill.
http://blogs.mediapart.fr/blog/vincent-doumayrou

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10 commentaires sur “Le Bilan carbone du train (n’en parlez pas à François Hollande)

  1. Loic

    Bon,

    Moi j’aime bien le train, mais c’est hyper rigide.

    Et dans le coût carbone il faut voir qu’un bus va pouvoir offrir plus de possibilités d’arrêt donc plus de chance de passer à coté de mon départ ou arrivée.
    Dans le cas du train  les allers et retours voir détours pour aller à une gare sont à comptabiliser.

  2. Fred B.

    « Et dans le coût carbone il faut voir qu’un bus va pouvoir offrir plus de possibilités d’arrêt donc plus de chance de passer à coté de mon départ ou arrivée. »

    Et c’est là que le vélo intervient, soit zéro carbone !

  3. Henri Bourjade

    C’est sûr que les trains nucléaires ont un bon bilan carbone, sinon ce serait quatre ou huit  fois plus de carbone qui serait émis (voir les coefficients ci-dessous).

    Néanmoins les chiffres prouvent en effet que les transports ferroviaires ont un gros avantage sur la route.

    Voici les chiffres publiés par la SNCF, qui ne tiennent pas compte du coût énergétique des infrastructures (ferroviaires :pour faire l’acier des rails on émet beaucoup de carbone, et routières : le goudron, c’est du carbone qui s’évapore)

    http://aide.voyages-sncf.com/calcul-des-emissions-de-co2-sur-votre-trajet-en-train

    Emissions de CO2 d’un voyageur parcourant un kilomètre, par type de train SNCF  (données 2015 basées sur les consommations d’énergie et les fréquentations de 2014) :

    Train TGV : 3,2 g CO2 par kilomètre
    Train Intercités : 11,8 g CO2 par kilomètre
    Train TER : 29,2 g CO2 par kilomètre
    Train Transilien : 6,4 g CO2 par kilomètre

    Emissions de CO2 d’un voyageur parcourant un kilomètre, par type de train international SNCF  (données 2015 basées sur les consommations d’énergie et les fréquentations de 2014)

     Train Thalys : 11,6 g  CO2 par kilomètre
    Train Eurostar : 11,2 g CO2 par kilomètre
    Train Elipsos : 27 g CO2 par kilomètre
    Train Gala : 12 g CO2 par kilomètre
    Train Alleo : 11,3 g CO2 par kilomètre

     Sources : Fréquentations réelles et les consommations électriques 2012 de chaque transporteur ;
    Facteur d’émission de l’électricité à usage transport « France » (53 gCO2/kWh) pour les kilomètres
    réalisés en France
    Facteur d’émission de l’électricité à usage transport « Europe » (420gCO2/kWh) ou facteurs d’émission de l’électricité ferroviaire des pays concernés quand ils ont été transmis par les fournisseurs de l’électricité de traction, pour les kilomètres réalisés dans les autres pays.

    Emissions de CO2 d’un voyageur parcourant un kilomètre, par type de mode urbain RATP  (données 2015 basées sur les consommations d’énergie et les fréquentations de 2014)

    Métro : 3,8 gCO2/km
    Tramway : 3,1 gCO2/km
    Bus : 94,7 gCO2/km

    Emissions de CO2 parcourant un kilomètre, par mode routier (basées sur les consommations de carburants et les fréquentations de 2012)
     OUIBUS : 22,8 gCO2/km

    Emissions moyennes des autres moyens de transport pour un passager par kilomètre.
     Voitures particulières en France : 205 g CO2/km

    source : Utilisation moyenne France du parc de véhicules particuliers : Ministère du Développement durable et de l’énergie – Service de l’Observation et des Statistiques (SOeS) Consommations des véhicules particuliers moyennes France et facteurs d’émissions des carburants : ADEME – Base Carbone
     
    Utilisation du parc en km : 68% gazole et 32% essence ; consommations : 6,6L/100km en diésel et 7,8L/100km en essence ; facteurs d’émission : 3,07kg CO2/L pour le gazole et 2,71kg CO2/L pour l’essence

    Autocars interurbains : 171 gCO2/km

    Source : Ministère du Développement durable et de l’énergie « Information CO2 des prestations de transport – Guide méthodologique », 2012

    Avions vols intérieurs : 168 g CO2/km

    Source : Ministère du Développement durable et de l’énergie « Information CO2 des prestations de transport – Guide méthodologique », 2012 – Pour un avion de 150 places effectuant un vol inférieur à 1000 km.
    Pour ma part j’ai une voiture hybride essence, en voyage à 4 personnes je vais consommer 5 l/100, émettre 135g/km soit 34G/personne/km.   Un voyage en train sur mon trajet de prédilection oblige à prendre la voiture sur les 30 à 55 derniers km (ne me parlez pas du vélo, tout le monde ne peux pas pédaler 55 km, et certains ne peuvent pas du tout).

    Pour aller au travail j’émet seul 135 g/km, en bus ce serait moins de 94 g/km (c’est roulant, le bus consommerait moins que la moyenne) soit au moins 40 % de moins, quoique, le trajet de bus est plus long (en moyenne) de 15 %, ce qui réduit l’avantage. Il n’ y pas de train sur mon trajet. Seuls le vélo et la marche à pied auraient un avantage décisif. Mais pour 5 km aller et 5 km retour, il faut de l’énergie, et à 56 ans, ça baisse…

    Je suis assez déçu par le bilan carbone des bus urbains. Il paraît possible de faire des bus électriques, qui se rechargeraient rapidement lors des longs arrêts. Des prototypes existent. On parviendrait alors à un bilan honorable, proche de certais trains.

     

     

     

     

  4. romain74

    Bonjour Henry.

    Pour ton calcul de 135 gCO2/km pour faire 5 km allez retour, je pense que tu te trompes. En effet sur les premiers kilomètres quand le moteur est froid tu consommes plus. Moi j’ai fais le teste sur une des voitures du boulot où l’on voit la consommation instantanée. J’étais plutôt proche des 7 litres au 100 pendant les 3 premiers kilomètres, pour un véhicule qui consomme en moyenne moins de 5 litres au 100. Donc pour 7 l/100 d’essence ça te donne plutôt 160 gCO2/km. Et pour les émissions du bus de 95gCO2, finalement ça dépend de son taux de remplissage, et je pense que l’on est pas assez à le prendre en France ^^

    Après sinon lorsqu’on fatigue le vélo à assistance électrique est pas une si mauvaise solution. Je dis ça une de mes collègues qui a la 50ène fais tous les jours 18 km (à l’allé et au retour !)

  5. jean sivardiere

    La comparaison entre les consommations de pétrole par le train et par l’autocar a surtout un intérêt si on considère le cas concret des autorails diesel que la Cour des comptes et bien d’autres préconisent de remplacer par des autocars. La FNAUT a fait étudier ce problème par trois experts reconnus : Jean-Marie Beauvais, Gérard Guyon et Pierre-Henri Emangard (FNAUT Infos n°212, mars 2013).

    Lors d’un transfert sur route d’un service TER diesel, on diminue de moitié la consommation du véhicule, mais le transfert provoque une perte de clientèle, près de la moitié des usagers du TER préférant leur voiture à l’autocar comme le prouvent de nombreuses enquêtes.

    Si on néglige cette perte de clientèle du transport public, le transfert sur route présente un bilan énergétique positif. Mais si on en tient compte, on montre alors aisément que, dès que l’autorail transporte au moins une douzaine d’usagers, le bilan énergétique de l’opération est négatif.

  6. pedibus

    D’Henri : « Je suis assez déçu par le bilan carbone des bus urbains ». D’où l’intérêt de faire du TCSP tram ou trolleybus le plus souvent possible : le faire au moins pour prouver qu’on s’installe dans le futur en croyant à une future part modale transports urbains qui décolle bien au-delà des 10 ou 15%.

    Pour le reste qu’on songe à mettre en place une continuité de couloirs réservés et la priorité aux feux dans toutes les agglomérations qui perçoivent le versement transport : ce serait là tout bénef tant pour les cars interurbains (qui par exemple mettent une heure à Bordeaux pour sortir de la zone urbaine agglomérée…) que pour les bus urbains.

    Et à ce propos je vous fiche mon ticket de transport public que personne ici n’est capable de me sortir des statistiques, même de quelques années, sur l’état de la situation des réseaux de transports urbains pour le seul critère de la part des lignes bénéficiant de la priorité aux feux d’une part, d’une continuité de couloirs réservés de l’autre: même le très officiel site CERTU/CEREMA est muet sur la question…

    En se recentrant sur le ferroviaire voyageur français et le taux de remplissage non optimisé des TER qu’on médite l’idée suivante : si la région piquait la compétence transport aux villes et intercommunalités en même temps que l’urbanisme peut être que tout serait fait pour brider et briser le tout automobile dans les agglomérations, premier pas pour favoriser le report modal au bénéfice du rail. Et là serait sans doute la fin de l’inflation des aires urbaines, qui à chaque recensement prennent davantage de communes et de populations éparses.

    Ensuite, à la seule échelle communale, le bénéfice social serait immense si les CCAS payaient un aller retour TER de temps en temps aux habitants démunis, les Zussards*, ceux qui partent le moins souvent en vacance : offrir la plage une ou plusieurs fois dans l’année, offrir un bon pour payer le restau à toute la famille à Fouilly-les-Oies desservie par le TER, offrir une randonnée d’une journée dans la montagne où passe tel tortillard… Et un tourisme d’un type nouveau, hors les circuits au kérosène et avec un store anti-tape-à-l’œil, en circuit court et sociétalement gagnant, loin des formules gnangnan, pourrait honorer largement les nouveaux intendants des grandes régions, devenus alors bons gestionnaires, et garants du remplissage de leurs trains régionaux, en coopération avec les collectivités locales.

    Quant aux ratios énergétiques sans doute ne serait-il plus de mise de sortir les calculettes…

    *Zone Urbaines Sensibles, périmètres préfectoraux des années 1990 issus d’une énième péripétie des « politiques de la ville ».

     

  7. Vincent

    VD > Ce qui nous conduit à la question suivante : ces arguments sont-ils exacts ? Le train pollue-t-il plus que l’autocar ?

    À ce niveau, la pollution est un détail.

    Les vraies questions sont : 1) dans un pays qui importe 99% de son pétrole, 2) ce qui le rend extrêmement dépendant des importations, 3) considérant que le pic de pétrole nous pend au nez et 4) que la France produit 95% de son électricité de manière quasiment autonome (les importations d’uranium, c’est peanuts, et on en trouve dans plusieurs pays)… faut-il encourage le transport au pétrole ou le transport électrifié?

    http://www.youtube.com/watch?v=mm7jghN51gU

  8. Vincent

    Autre élément non pris en compte par Macron : vu les taux d’accidents, remplacer le train par l’autocar, c’est augmenter le nombre de victimes de la route.

    pedibus > Ensuite, à la seule échelle communale, le bénéfice social serait immense si les CCAS payaient un aller retour TER de temps en temps aux habitants démunis, les Zussards*, ceux qui partent le moins souvent en vacance : offrir la plage une ou plusieurs fois dans l’année, offrir un bon pour payer le restau à toute la famille à Fouilly-les-Oies desservie par le TER, offrir une randonnée d’une journée dans la montagne où passe tel tortillard…

    +1. Avec location de vélos à l’arrivée, un moyen simple et bon marché de permettre à ces populations de sortir de leur ghetto.

  9. Ledian

    Article instructif

    J’aurais apprécié le même détail de chiffres pour le car que celui présenté en fin d’article pour le train, afin de comparer clairement le bilan écologique de ces deux moyens de transport. Le comparatif de l’article se fait entre le train et l’ensemble des moyens de transport.

    Sans être un pro car, il faut avouer qu’un car bien rempli est toujours préférable à quarante voitures quasi vides mobilisées pour le même trajet.

    Le véritable concurrent du train reste à mon avis la voiture individuelle, responsable de la disparition du maillage ferré du territoire français qui était en place il y a quelques décennies.

    Le train est un art de vivre. On prend son temps, on change de place, on discute parfois avec un(e) inconnu(e). Il se passe souvent quelque chose dans un train ; c’est vivant. On peut somnoler bercé par les sons du roulis, rêvasser en regardant par la fenêtre. Le train est, plus qu’un moyen de transport, une philosophie…

  10. Laurent

    Je constate qu’il est possible d’emporter son vélo dans un TER pour faire les premiers et derniers km (quand on se rend à la campagne c’est appréciable) alors que les bus que j’ai utilisé ne proposaient pas cette possibilité.

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