Indemnité kilométrique vélo: l’exiger ou la refuser?

La mise en place d’une indemnité kilométrique pour les salariés réalisant leur trajet domicile/travail à vélo (IKV) peut sans doute convaincre quelques rares « autosolistes » de franchir leur portière, mais j’éprouve une certaine gêne, et je ne suis pas seul, à l’idée de la demander pour moi alors que je pédale, patine et marche déjà gratuitement.

Maya Beauvallet montrait dans son livre « Les stratégies absurdes« , que nous ne parvenons pas à augmenter la collecte de sang en rémunérant les donneurs, l’inverse se produit même: les donneurs habituels se détournent d’un geste éthique devenu commercial et ceux qui ne donnaient pas jugent le prix proposé insuffisant. Jean Tirole, Prix Nobel d’économie, parle de changement de la signification des actes par les récompenses matérielles… Le débat actuel sur la mise en place de l’IKV et la fixation de son montant illustre une fois de plus qu’en transformant un acte gratuit en acte monétaire on risque d’ouvrir une véritable boite de Pandore.

Au-delà de son montant, mille questions risquent de se poser – et pas seulement philosophiques et éthiques. La généralisation de cette indemnité nécessitera sans doute, dans les entreprises, des procédures administratives et comptables d’attribution individuelle de prime, de déclarations fiscales et sociales, de demandes d’abattements et d’exonérations, etc. Et évidemment, il faudra penser à un système de contrôle des bénéficiaires et peut-être de sanctions : « Qui paie, commande ».

D’autres systèmes de préservation de l’environnement ont fait leurs preuves : penchez-vous, par exemple, sur le système du marché des Certificats d’Économie d’Énergie ou encore sur le calcul du « Paiement vert » de la Politique Agricole Commune 2014-2020… vous ne serez pas déçus ! Par quel phénomène mystérieux, par quelle déformation de la pensée, les solutions aux problèmes de destruction de l’environnement se transforment-elles presque toujours en systèmes technocratiques qui donnent, sorti du cercle des spécialistes, une image désastreuse de l’écologie ? C’est désespérant ! J’espère que ce n’est pas dans tout cela que résident les nouveaux métiers de la croissance verte qu’on nous promet ?

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Seuls les travailleurs socialement fragilisés, qui n’ont pas d’autres moyens que la bicyclette pour se rendre à un travail mal rémunéré, me semblent des bénéficiaires légitimes de cette indemnité et m’empêchent d’être contre sa mise en place.

Est-ce que pour la grande majorité, la meilleure incitation n’est pas simplement le nombre croissant des cyclistes, leur mine réjouie et détendue, leur apparente bonne santé, la facilité avec laquelle ils garent leur petit véhicule ou remontent une file de voitures embouteillées… Bref, cet air qu’ils ont, vu de derrière un pare-brise, de sembler libres ?…

9 commentaires sur “Indemnité kilométrique vélo: l’exiger ou la refuser?

  1. mlah

    La main au portefeuille étant souvent un moyen efficace de réguler les habitudes irréfléchies, pourquoi l’écarter ? Il faut responsabiliser les utilisateurs et les responsables.

    Le problème n’est pas tant de faire payer pour inciter que de répartir équitablement la charge du coût grandissant sur la santé publique que la circulation automobile fait peser sur tous.

    Proposer de faire payer ce coût aux entreprises risque de faire tomber cette idée dans le néant de l’oubli. Les entreprises, puisqu’elles en auront le choix, choisiront de ne pas payer. Est ce d’ailleurs à elles de régler ce problème ?

    Les véhicules motorisés, voitures (et de plus en plus grosses, vous l’avez remarqué ?), tuent les cyclistes à petit feu, et tous ceux qui pratiquent une activité conduisant à l’ouverture des alvéoles pulmonaires en ville, et dans certain cas plus ou moins rapidement.

    Les automobilistes doivent participer au coût sur la santé des piétons et cyclistes qui respirent ces gaz toxiques émis quotidiennement. Comment mieux inciter un plus fort usage des moyens de transport plus écologiques et respectueux de l’environnement ? en faisant payer les utilisateurs des objets polluant, et les industries qui les produisent bien sûr.

    Et effectivement, les personnes se déplaçant à vélo sont le plus souvent parmi les moins riches et elles le feraient de toute façon, n’ayant pas de forcément de voiture ou ne souhaitant pas en avoir ou ayant perdu tous leur points de permis. Il semble équitable et urgent de les aider. De plus ces nouvelles mesures fiscales pourraient créer de l’emploi pour les mettre en place.

  2. pedibus

    Autant de réflexions qui m’amènent à soutenir, encore, toujours et ici une fois de plus… le principe de l’effet prix : les seules subvention, indemnité ou discrimination positive ne sauraient suffire à elles seules pour enclencher un transfert modal de déplacement.

    Il faut sortir du paradigme libéral du marché, du choix ou de l’optimisation à échelle individuelle. Quand  la politique publique multi-scalaire (de la ville à l’€urope par exemple… ) tourne autour des thèmes comme la santé publique – qualité de l’air, mais surtout autonomie des seniors et santé psychologique de tous avec l’urbanité retrouvée dans un environnement urbain pacifié, donc « débagnolisé (et avec une dé-diabolisation de cette dernière action…) – ou comme l’environnement – réchauffement climatique, laideur paysagère, effets réseaux alimentant l’étalement urbain… – il faut sans état d’âme réglementer, re-réglementer.

    Ici il faut faire payer plein pot (!)  l’accès à la ville aux utilisateurs de certains modes de déplacement et encourager les autres en organisant une parfaite liberté de déplacement, avec les outils renforcés des transports publics (trop fréquemment embryonnaires, toujours relégués à une part modale d’à peine deux chiffres…), du vélo et de la marche.

    Pour ça, on n’invente rien depuis les barrières d’octroi médiévales et des époques suivantes, il faut courageusement instaurer le péage urbain dès la limite de la ville, définie ici avec le concept géographique, morphologique de l’INSEE de « l’unité urbaine » (UU) et laisser se débrouiller le « citadin à roulettes automotrices » dans le périmètre  de couronne de l’aire urbaine (concept statistique de l’INSEE). Et dans les médaillons de nos UU il faut accompagner le péage d’une raréfaction de l’offre de stationnement, sous toutes ses formes, avec sa réglementation et une tarification évolutive et décourageante progressivement dans le temps… Bien sûr il faudra aussi y réglementer sérieusement le marché foncier et immobilier (Joseph Comby, Sandrine Levasseur et al.) et planifier la ville en la requalifiant en s’inspirant des contraintes socio environnementales, maintenant bien comprises et acceptées… quand elles sont expliquées et acquises par les élus…

    Alors le bénéfice de l’effet prix pourrait à ce prix (!) être envisageable. Sinon gare aux effets pervers des demi mesures comme déjà évoqués par nos contributeurs…

  3. Vincent

    Autre solution : augmenter tout simplement les impôts/taxes déjà payées par les boîte afin de financer un plus grand nombre d’infrastructures cyclables.

  4. pim

    D’un point de vue un peu différent, l’IKV n’est à mon sens qu’un juste retour des choses pour les cyclistes qui n’utilisent pas les réseaux routiers ou TEC. Mon raisonnement est le suivant :

    J’habite une grande ville dans laquelle 30-40% de mes impôts locaux sont utilisés pour le budget « transports », comprendre qu’une grande majorité est dédiée à l’entretien de belles routes goudronnées encore en bon état, à l’agrandissement de rocades, de périphériques et de bretelles d’autoroutes, et un peu au TEC, et un tout petit petit petit peu au vélo.

    Or, lorsque je regarde l’utilisation de ces réseaux, le seul moment où ils sont bouchonnés, c’est uniquement aux heures de travail : lun, mar, jeu,ven, 8h-10h et 17h-19h. Autrement dit, pour faire un gros raccourci, les gens paient des impots pour aller bosser! On appelle ça l’utilité publique : soit.
    (Certes, il y a aussi les jours de départ en vacances etc., mais c’est 2-3x/ an pour une grande majorité de la population)

    Est ce donc légitime de payer autant dans mon cas, alors que j’utilise très rarement ce réseau, et presque jamais aux heures de pointes? Est ce légitime qu’on m’impose des rocades 2×4 voies quand des 2×2 voies me suffiraient largement aux rares heures où je les emprunte?

    En tant que vélotaffeur, il me paraît juste d’être remboursé pour ce que je n’utilise pas : un réseau surdimensionné pour servir aux heures de pointes, un réseau surdimensionné construit et entretenu aux frais du contribuable pour que les gens puissent participer à la sacro-sainte croissance de leur entreprise. Juste retour des choses vous ne trouvez pas?

     

  5. Patrick

    Sur le plan des principes plutôt d’accord avec Boris car il est vrai que la gestion de l’IKV va générer des coûts et des émissions de GES alors que la pratique du vélo est plutôt un mode de vie qui est une résistance au monde marchand qui nous envahit.

    Pour autant, il est clair que si nous n’agissons pas en groupe de pression pour obliger les élus, tous partis confondus, à « payer » d’une manière ou d’un autre le service rendu à la collectivité (réduction de la pollution, meilleur état de santé, réduction de certaines maladies), il faudra encore des décennies avant que le vélo soit pris en compte dans l’aménagement urbain et périurbain comme un mode de transport devant être protégé et encouragé

  6. le CRADE

    S’il s’agit d’encourager un report modal de la voiture vers le vélo, il eut été plus simple et moins coûteux de diminuer, voire supprimer l’idemnité kilométrique (voiture).Personnellement, je n’aime pas trop que mon déplacement soit comptabilisé, voire contrôlé de manière économique. Sauf que le temps du déplacement domicile-travail est un moment un peu batard, où l’on est déjà au travail, sans être payé mais indemnisé sur son outil de déplacement.
    Il serait intéressant d’assumer ce temps comme effectivement du temps de travail payé et comptabilisé sur nos heures par l’employeur. Sans doute que cela agirait de manière significative sur l’organisation sectorisée de l’espace.

  7. Anne-Lise

    Comme rétribution de l’effort (arrêtons un peu avec le sourire permanent que devraient afficher les cyclistes, quand vous avez plusieurs centaines de mètres de dénivelé quotidien, ça ne fait pas forcément rigoler) que je fais à vélo jusqu’à mon lieu de travail, je préférerais pour ma part que celui-ci soit accueillant à ma pratique : possibilité de se garer en toute sécurité, à l’abri de la pluie, petit matériel sur place pour réparer les pannes courantes, lieu où me changer et/ou me doucher si besoin…

    Et à l’autre bout, près de chez moi, j’aimerais que mon atelier vélo d’auto-réparation soit ouvert tous les jours, avec des mécaniciens vélos bien rémunérés, qui m’aideraient à devenir autonome dans ce domaine, qui disposeraient de vélos de courtoisie pendant que le mien est en réparation.

    Voilà deux mesures sans doute pas très chères à mettre en oeuvre qui m’aideraient vraiment et me feraient sentir « indemnisée ».

    Et comme le C.R.A.D.E, je n’ai pas trop envie d’avoir un mouchard sur mon cintre pour compter le nombre de kilomètres que je parcours, ou alors, me compter aussi les kilomètres fait par plaisir et pas pour aller taffer.

    et vous ?

  8. Obelix31

    Dans les rares expériences effectuées en France, l’IKV a largement prouvé son efficacité.

    J’ai effectué 10km par jour à vélo pendant plus de 20ans, pour aller au boulot, je trouvais bien vide le parc vélos de l’entreprise.

    Je suis ok pour 25c  par km, non imposables, plafonnés aux 50% de la carte transports en commun.

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