A Colombes, un parking pourrait remplacer un projet écologique et social

A Colombes, dans les Hauts de Seine, le béton remplacera-t-il un projet d’agriculture urbaine modèle ? C’est ce que craint un collectif d’habitants engagés dans ce projet où se mêle recyclage, maraichage, jardins partagés, toilettes sèches. Cet espace au pied des tours propose une autre perspective de la ville, plus démocratique et écologique, et suscité l’intérêt de municipalités comme Séoul ou Montréal. Qu’importe, la mairie lui préfère la construction d’un parking temporaire. Visite guidée par Patrick Laroche, citoyen indigné.

Un froid samedi, à Colombes, en région parisienne. Après la visite du recyclab, un fablab basé sur le recyclage, nous rejoignons, à quelques centaines de mètres de là, l’agrocité. Un bâtiment en bois de bardage, modulaire, monté sur pilotis, accueille les visiteurs. Au delà des espaces d’accueil et du bar-cuisine, on découvre une aire de maraichage assez vaste, des jardins partagés, des serres, un poulailler, une zone de compost, des ruches et, bien entendu, des toilettes sèches.

« Un projet de résilience urbaine, comme il n’y en a pas ailleurs », me dit, un peu sûr de lui, Constantin Petcou, l’un des architectes de AAA (Atelier d’Architecture Autogérée) qui a initié et co-élaboré ce projet urbain, intitulé R-Urban. Son principe : construire des unités de résilience, à partir desquelles on peut agir pour lutter contre les crises globales (climatique, énergétique, économique, sociale) et « sauver la planète » en agissant de bas en haut.

Des opportunités spatiales où les habitants viennent d’abord pour le loisir et peu à peu, y développent des activités avec d’autres jusqu’à même pouvoir créer des emplois. Des espaces porteurs d’autres modes de vie plus résilients, par la culture bio et le recyclage, moins polluants, moins consommateurs de pétrole, d’électricité, de matières premières. Bref, plus écologiques.

« Consommer ce que nous produisons et produire ce que nous consommons »

Ces espaces sont conçus autour de la coopération, de la mutualisation, entre amateurs et professionnels, entre producteurs et consommateurs, lesquels se rapprochent et collaborent, comme dans une Amap. En citant André Gorz, Constantin rappelle que pour lutter contre les crises globales, nous devons « consommer ce que nous produisons et produire ce que nous consommons ». Or, les unités R-Urban sont des opportunités pour pouvoir agir concrètement et rapidement, pour réaliser cet équilibre perdu dans les modes de vie urbains et globalisés actuels.

R-Urban est un projet européen de résilience participative, inscrit dans le programme LIFE +. Après diverses tentatives à partir de 2008, notamment à Paris, la discussion avance et un partenariat éclot avec la Mairie de Colombes (PS). Dans ce cadre, avec la participation de la mairie, du département, de la région, de la Commission européenne, deux projets sont mis en place : le recyclab et l’agrocité.

Coopération, mutualisation, relocalisation

R-Urban s’inscrit dans un réseau européen de projets culturels à caractère trans-local. Il s’agit d’espaces pluri-dimensionnels et pluri-disciplinaires, regroupant des activités différentes mais convergentes, permettant l’expérimentation de modes de vie fondés sur la coopération et la mutualisation, aux antipodes de la société post-industrielle contemporaine. Une approche fondée sur la relocalisation de l’économie et des échanges sociaux-économiques au sein de chacun des espaces, reliés entre eux sous la forme du rhizome.

Le rhizome a une particularité : chaque partie peut devenir un nouveau centre, et une nouvelle multiplication. AAA développe ses projets ainsi : chaque usager peut continuer et développer de nouveaux projets. « C’est par des rhizomes que nous pouvons agir par le bas et, par multiplication, lutter contre les crises globales », souligne Constantin. Ces projets se rassemblent donc sur le thème de la « déglobalisation » cher à l’écrivain paysagiste Gilles Clément et sur celui de « relocalisation ».

Un projet menacé par la construction d’un parking

Mais ce projet qui relie des expériences en cours dans plusieurs pays d’Europe est aujourd’hui menacé. Alors que l’éco-habitat devait être développée sur le site, le changement de majorité a interrompu le processus. La nouvelle municipalité (Les Républicains) souhaite récupérer le terrain de l’agrocité pour faire un parking temporaire, dans le cadre de la rénovation urbaine du quartier.

Divers échanges de courriers, depuis juin 2014, n’ont pas résolu l’affaire et la réunion, le 9 juin dernier, avec des représentants de la Commission européenne et de la mairie n’a pas été décisive. L’Europe est pour l’instant ambiguë par rapport à cette rupture de contrat de la part de la Mairie. La Commission européenne considère que le projet a été réalisé. La Mairie affirme que l’espace constitué d’un bâtiment en bois, d’un poulailler et d’une aire de maraîchage et jardins partagés ainsi que de compost doit être délocalisé. Mais elle ne propose pas de nouveau lieu.

Délocaliser le projet… ou le parking ?

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Il n’y aurait pas d’emplacement disponible à Colombes ? AAA a donc cartographié elle-même les parcelles pouvant accueillir la relocalisation de l’ensemble, ou mieux, un autre emplacement pour le parking. Une vingtaine semble possible. De son côté, la Mairie de Colombes a récemment adressé aux habitants un courrier signalant la fin du projet R-Urban fin septembre et la disparition de l’agrocité, remplacée par un parking. La convention entre la Commission Européenne, la Mairie et AAA se termine le 30 septembre 2015. Le projet dans son ensemble a coûté 1,6 millions d’euros, dont 630 000 déboursés par la Mairie de Colombes.

Le programme est presque réalisé mais quelle catastrophe ce serait de détruire cette réalisation qui peut servir de modèle aujourd’hui pour quantité de villes, tant en France que dans le monde, dont on peut apprécier en vraie grandeur la teneur exacte et la présence emblématique, démonstrative… Cela ne manque pas, d’ailleurs, puisque des délégations des mairies de Montréal, de Séoul, d’autres villes de France, ont fait le déplacement pour « toucher » et « être touchés par » cette réalité nouvelle, porteuse de beaucoup de désirs et d’espérance. Un imaginaire social et urbain enfin réjouissant et proactif, rassembleur.

D’autres rapports humains et sociaux

Aujourd’hui, à l’heure de la reconstruction de la ville sur elle-même, par densification, on parle de mettre de la campagne dans la ville. A chaque rénovation urbaine, on crée de nouveaux jardins publics, on coiffe les immeubles de toits végétalisés, même s’il s’agit de pastilles vertes au milieu du béton.

Ce n’est donc pas un mince paradoxe, pour une ville moyenne comme Colombes (85 000 habitants), aujourd’hui pavillonnaire, qui fut un des fleurons de l’industrie automobile, que de vouloir raser une ferme urbaine agro-écologique parvenue à son point d’équilibre et prête à jouer sa part de résilience par la création intensive d’échanges entre habitants, tant au niveau social qu’économique. Cela dans une perspective écologique et démocratique, où le « peuple » retrouve une puissance d’agir lui donnant le pouvoir de faire lui-même société, et grâce à son organisation, en accord avec la nature, en inventant d’autres modes de vie que le modèle capitaliste productiviste consumériste.

Un espace où d’autres rapports sociaux, humains sont expérimentés, produisant d’autres rapports à la nature, au monde, plus équilibrés et vivants, dans une combinaison savante et concrète d’adaptation et d’invention. Pour en faire quoi ? Un parking temporaire, probablement durant deux ans. Tels sont les ravages de la guéguerre politicienne en région parisienne, singulièrement dans les Hauts de Seine, où le PS a perdu toutes ses cartes.

« C’est dommage de vivre au rythme de la politique »

A Colombes, la Maire Nicole Goueta (Les républicains) a déjà officié de 2001 à 2008, puis perdu la mairie au profit de Philippe Sarre (PS), et puis l’a regagné, au prix d’une « campagne » très difficile et tendue, en 2014.

Ce que résument les propos de ces deux stagiaires d’une école d’architecture et d’une école d’urbanisme, qui travaillent à AAA depuis quelques mois :
« – C’est dommage de vivre au rythme de la politique. Il faut que ça cesse, il faut qu’on soit tranquille, malgré les changements de bord. Parce que là c’est ce qu’on peut voir. Un coup on les a dans notre poche, un coup non…
– C’est dommage qu’on ne puisse pas être au dessus de tout ça, parce que, foncièrement, je suis sûre qu’ils voient l’intérêt d’un tel projet…
– Le potentiel du foncier de l’agrocité, je pense qu’ils le voient surtout, oui, « foncièrement… »

La logique des pouvoirs en place est de balayer toute expérimentation

Mais il n’y a pas de quoi s’inquiéter, puisque la maire de Colombes prétend développer des projets d’écologie urbaine (voir en ligne le magazine de la municipalité). Un petit peu comme à Notre-Dame-des-Landes, où le promoteur du projet d’aéroport, Vinci, prétend construire l’aéroport le plus écologique du monde.

En fait, c’est à peu près égal. Ici comme là, la logique des pouvoirs en place est de vouloir balayer toute expérimentation d’une autre société plus résiliente, plus équilibrée afin de poursuivre le train-train quotidien de « la ville qui avance », de la métropolisation de la société française et du monde de l’économie triomphante. « Business as usual ». Si personne n’arrête la maire de Colombes, « l’atrocité » remplacera « l’agrocité », comme mon correcteur d’orthographe automatique ne cesse de me le proposer…

Patrick Laroche

Source: http://www.bastamag.net/

4 commentaires sur “A Colombes, un parking pourrait remplacer un projet écologique et social

  1. pedibus

    Sans doute une inscription dans le PLU de l’affectation du terrain de culture du lien social dans un zonage protecteur l’aurait éloigné des manoeuvres politiciennes court termistes…

    Après les ZNIEFF créons un zonage de ville en transition : ZVT…

    En tout cas, encore une fois, belle illustration du caractère nécrosociétal du système automobile d’une part, ensuite de la grande plongée dans l’époque réactionnaire depuis 2008…

  2. Vincent

    Sinon, c’est pas comme si on manquait de place en Province pour se lancer dans l’agriculture. Voire même aller vivre en Afrique.

    Pourquoi s’entêter à vivre dans une zone ultra-urbanisée qui va de toute façon s’effondrer avec le pic de pétrole?

  3. abil59

    Dans le PLU intercommunal qui a sur mon territoire il existe un indice « JF » jardins familiaux, il ne peut être enlevé à un endroit si l’on ne recrée pas la même surface ailleurs. C’est toujours ça.

    La ville existait avant l’avènement de l’automobile, c’est juste qu’aujourd’hui on a oublié notre lien avec la nature, l’Environnement avec un grand E. Dans nos milieux de vies trop anthropisés, faits d’artefacts on a oublié que l’on était une espèce animale parmi d’autres et le lien vital et nécessaire qui nous unit avec le reste de la biosphère.

    Des villes comme Berlin ou Amsterdam prennent déjà plus en compte la nature dans l’aménagement urbain(canaux, espaces verts en abondance…).

  4. Henri Bourjade

    J’ai habité à Colombes. Ce jardin partagé est aussi un lieu pour faire connaître aux enfants des écoles et des centres aérés des notions de jardinage, de botanique, d’écologie. Il n’ouvre pas tout le temps mais sa présence est très positive dans cette zone urbaine qui manque sévèrement d’espaces verts. En plein quartier résidentiel il est au calme, c’est très agréable.

    Couvrir ce jardin de goudron, c’est en fait une action politique pour déloger des militants écolo-anarchistes.

     

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