Gaz de schiste, « La France est en Guerre! »

En paraphrasant un message de prudence des chemins de fer français, il est possible de dire dans le contexte actuel qu’une guerre peut en cacher une autre. Mais, plus subtilement encore, l’historiographie récente nous révèle que l’angle d’éclairage d’un conflit peut brouiller les pistes au point de faire perdre de vue les réelles origines de la guerre. Les deux Guerres mondiales restent à ce jour dans les milieux universitaires de grands champs de bataille. Les grilles multiples de lectures ne produisent pas les mêmes lignes de front. Lorsque des historiens d’obédience marxiste éclairent ces conflits cela donne des rotations de lignes de front pour le moins surprenante, l’élite apparaît constamment en guerre contre le peuple…

Le « 14-18, la Grande Guerre des Classes » de l’historien Jacques Pauwels jette un énorme pavé dans la mare universitaire en faisant écho à la sentence sans appel d’Anatole France: « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industries. »

Les derniers mois de l’année 2015 semblent confirmer ces nouvelles configurations conflictuelles…

Suite aux événements parisiens du 13 novembre 2015, le président de la République a déclaré sur un ton solennel: « la France est en Guerre. » L’affreuse nouvelle. Que peut-on faire? Disons plutôt à froid qu’il n’est jamais trop tard pour s’en apercevoir… Même si l’on sait qu’il était en service commandé pour cette prestation médiatique, en Histoire de France cela mériterait un bonnet d’âne et un zéro pointé. La guerre n’a jamais vraiment cessé depuis la fin de la Première Guerre mondiale et elle s’est même intensifiée avec la fin de la Seconde.

Comble de l’ubuesque plus que conséquence de sa découverte tardive, le premier homme de France a fait décréter « l’état d’urgence. » Par cet acte arbitraire, difficilement explicable en regard des faits, le gouvernement déclarait à son tour la guerre au peuple français. A Paris et jusque dans les campagnes profondes, les services de l’État déployaient leur savoir faire de temps de guerre: descentes musclées, perquisitions, assignations à résidence… Sans réelle surprise, avec l’antécédent notable du Patriot Act, le contrôle au faciès se concentrait sur les activistes écologistes et pacifistes…

Un mois plus tôt, un autre conflit avait tout aussi soudainement refait surface. Le ministère de l’écologie déclarait la guerre au peuple de France sur le front des énergies fossiles en signant à nouveau des permis de forer pour les gaz de schiste. Par ces paraphes, était annihilé le combat des collectifs citoyens qui durant cinq ans avaient préservé le territoire viable…

Entre ces deux événements le rapport peut ne pas être évident. Pourtant, ils ont un dénominateur commun: l’énergie, ici et ailleurs… Au Ponant comme au Levant, la France est effectivement en guerre… pour le pétrole. Rappelons que le Premier conflit mondial était déjà une guerre du pétrole débutée au Levant. Là où aujourd’hui la guerre fait rage à nouveau, cent ans après les accords secrets de Sykes-Picot entre la France et l’Angleterre.

Comme le Bourgeois Gentilhomme, « La France » est donc constamment en guerre en métropole comme ailleurs dans le monde… sans le savoir. Révisons donc l’Histoire glorieuse de la Patrie des Droits de l’Homme avant d’aborder le front des gaz de schiste ou La Guerre et la Paix à l’ère du déclin pétrolier…

Paix Royale à la Guerre !

Telle pourrait-être la maxime de la France affairiste depuis la 3e République. Depuis quand la France est-elle en Guerre? La réponse est simple, depuis qu’elle est France rayonnante avec Le Grand Siècle… Le trio Louvois, Colbert, Louis XIV, représente la découverte princeps de la Guerre moderne directement au profit des milieux d’affaires… Naomi Klein dans son magnum opus « La Stratégie du Choc » faisait du triumvirat Bush, Cheney, Rumsfeld, le noyau du « proto-capitalisme du désastre par l’État privatisé. » (1)

Qu’il nous soit permis en tant qu’humbles français de corriger l’égérie altermondialiste pour rendre à César ce qui appartient à César et à la France la primauté du « capitalisme du désastre par l’État privatisé » au profit des milieux d’affaire. On peut d’autant plus se le permettre, qu’un homme de lettre français, Alfred Jarry, avait déjà croqué en image théâtrale cet État moderne avec le personnage d’Ubu Roi. C’était à La Belle Époque, au temps de la 3e République où comme on le sait « les affaires sont les affaires. »

Restons-en aux aspects modernes des bonnes guerres pour les milieux d’affaire. Dès les années 1930, Jean Giono, un autre homme de lettre français, signalait dans ses écrits pacifistes que « la guerre est le cœur de l’État capitaliste, » « Le capitalisme à besoin de la guerre pour vivre. » De son lieu de vie, à Manosque dans les Alpes de Haute Provence, il avait simplement acquis une conscience aiguë de l’anéantissement des civilisations rurales. En négatif de la Technique, l’éradication de la paysannerie fut bien « l’Enjeu du Siècle » commencé avec la Grande Guerre, pour rependre les termes du titre d’un livre de Jacques Ellul…

Pour la période la plus récente, une rapide rétrospective historique révèle en effet que la France n’a jamais cessé d’être en guerre depuis la fin officielle de la Seconde Guerre mondiale. L’année même de la Libération, le 29 mai 1945, l’aviation française bombardait Damas. Trois semaines plus tôt, le 8 mai, avaient déjà eu lieu les massacres de Sétif en Algérie. En cette année, « La France libre » entrait en guerre contre ses peuples colonisés qui voulaient eux aussi connaître la libération et l’indépendance après tant d’années d’indigénat et de travaux forcés…

Puis, durant les « Trente Glorieuses » se furent en enfilade la Guerre d’Indochine, les massacres du 29 mars 1947 à Madagascar, la Crise de Suez en 1956 et la Guerre d’Algérie. La France de la 4e République n’a pas chômé en matière militaire, de cruauté et de crimes de guerre. Par la suite, l’élite héritière de « La France libre » s’investit dans de nombreuses guerres secrètes de reconquête néocoloniale de l’Empire. Dans leurs nouvelles procédures technico-économiques, financières et militaires, elles furent plus complexes et multiformes mais toujours cruelles et meurtrières. François Xavier Verchaves surnomma cette nouvelle ère guerrière typique et non-avouable de la 5e République « La Françafrique. » (2)

Impossible de détailler ici, contentons-nous d’un inventaire à la Prévert: Limousin et Bison, Lovada et Saphir, Verveine, Lamentin, Bonite et Léopard, Tacaud, Caban, Barracuda, Scorpion, Manta, Épervier, Oside, Requin… en ajoutant Serval à ce bref bestiaire exotique on devine que ces noms désignent les opérations militaires françaises officielles en Afrique auxquelles il faut rajouter les nombreuses interventions officieuses sous false-flag et laissées en sous-traitance à des mercenaires ou bandes armées. Aujourd’hui comme hier, peu de personnes dans l’Hexagone ne soupçonne « Que fait l’armée française en Afrique? » (3)

A ce versant extraterritorial, néocolonial et international, il faut rajouter un versant scientifique et militaro-industriel avec la recherche nucléaire. L’année même de la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que le territoire national est en ruine et que des millions de français soufrent de la faim et du froid, l’élite de « La France libre » décidait de consacrer en urgence des milliards de francs pour doter le pays de l’arme atomique (4). Comme pour les deux reconquêtes coloniales puis néocoloniales, pourquoi ce détournement massif des fonds publics pour une telle entreprise mortifère ne devrait-il pas être compté comme un acte de guerre? Le territoire national fut en effet criblé de cratères et de galeries dans une recherche frénétique de matière fissible. Et cette ruée minière d’un demi-siècle fut suivie par un minage du pays avec des réacteurs nucléaires, véritable bombes à retardement. En considérant tous ces aspects, on peut donc se demander quand la France n’a pas été en guerre depuis 1945. Dans notre Monde d’Orwell, « la Guerre c’est la Paix, » donc la règle…

La Guerre civile en France avec l’Arme du pétrole

Au cours des années d’après guerre, alors que semblait s’ouvrir aux yeux de beaucoup de monde une période de paix, de prospérité et de progrès, certains penseurs découvraient horrifiés la Guerre contre la Nature. Parmi eux: Aldous Huxley. En exergue de son livre « La Science, la Liberté, la Paix » sorti en 1947, il faisait une citation de Tolstoï: « Si l’organisation de la société est mauvaise, et si un petit nombre de gens ont le pouvoir sur la majorité et l’oppriment, toute victoire sur la Nature ne servira inévitablement qu’à accroître ce pouvoir et cette oppression. C’est ce qui se produit présentement. »

L’arme stratégique de cette guerre contre la Nature est le pétrole. En considérant ses principaux aspects, il est à la fois « l’excrément du diable » pour les peuples autochtones, « l’or noir » du pouvoir pour les oligarchies, l’hormone de croissance des transnationales à travers le monde, l’essence et le nerf de la guerre pour les complexes scientifico-militaro-industriels comme la France…

Dans la prospective politique de Tolstoï, transparait encore l’idée naïve de la neutralité essentielle de la science et de la technique. Cette grande illusion de « La Belle Époque » n’est plus possible après le cataclysme technico-industriel de la Seconde Guerre mondiale. Le réquisitoire d’Aldous Huxley contre la science et la technique vectrices de despotisme est sans concession: « La science et la technique ont fait des progrès notables dans les années écoulées (…) de même que l’oligarchie et le despotisme. (…) Tout ce que nous soutenons ici c’est que la science en progrès est le facteur intervenant dans le déclin progressif de la liberté et dans la centralisation du pouvoir qui se sont produit au cours du 20e siècle. »

A la même époque, le chercheur Henry Fairfield Osborn faisait les mêmes constatations et le même diagnostic étiologique dans son livre « Our Plundered Planet » (Notre planète pillée) de 1948. Il voulait attirer l’attention sur les conséquences encore plus mortifères de « l’autre guerre silencieuse (contre la Nature). » (5)

Dans le système technique moderne dopé au pétrole, ces guerres « sournoises qui n’osent pas dire leurs noms » ne doivent pas être ignorées, surtout à l’Anthropocène, l’ère du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. Le premier cri d’alarme date de 1960, ce fut celui de Rachel Carson avec son « Printemps silencieux » face aux ravages en cascade dans la faune sauvage engendrés par la montée en puissance du complexe pétrochimique des pesticides…

En France, cette guerre avec l’arme du pétrole fut celle de la Noblesse d’État. L’élite politico-polytechnique mena en interne une double guerre aux chaumières et au territoire. L’anéantissement du bocage millénaire fut désigné par des euphémismes, « modernisation agricole » ou « aménagement du territoire, » gommant le caractère conflictuel et ethnocidaire de ces reconfigurations territoriales…

La paysannerie qui avait malgré tout survécu à la boucherie de « 14-18 » et qui avait assuré l’alimentation de la France durant la Seconde Guerre mondiale n’a pas plus résisté à « La Technique ou l’Enjeu du Siècle. » L’arme du pétrole fut déterminante dans cette transformation radicale du paysage, la prise de contrôle sur l’agriculture avec la création des monopoles agroalimentaires et la montée en puissance des transnationales… Durant les six dernières décennies, en termes de perte de territoires viables, il y a bien eu guerre. La France perdit six fois l’Alsace et la Lorraine et ce ne furent ni les Boches ni les Bolchéviques qui vinrent les conquérir, mais la Noblesse d’État qui les fit disparaître sous des surfaces artificialisées… avec l’arme du pétrole.

Aujourd’hui, à l’ère du déclin pétrolier, de mort biologique des sols, de la pollution des eaux, de la gabegie alimentaire, de l’effondrement de la biodiversité, pour assurer la croissance des monopoles des transnationales sur le territoire, le paroxysme énergétique et technique continue comme l’annonçait un siècle plus tôt la sentence de l’auteur de « La Guerre et la Paix. »

Au tournant du siècle, le rythme des destructions des terres arables et des paysages s’est encore accéléré. La Guerre continue avec des dizaines de Grands Projets Inutile Imposés (GPII) (6).

Lire aussi :  La voiture propre existe-t-elle ?

Gaz de schiste, « Le Choix de la Défaite »

Après ces quelques rappels historiques anciens et modernes sur la Guerre et la Paix à l’âge de l’arme du pétrole, revenons à l’actualité brulante. Parmi les conflits en cours contre la Nature et l’Homme au niveau international, celui des gaz de schiste s’est réactivé en Europe et en France depuis 2014. Dans un livre récent au sujet de cette ruée historique vers la roche-mère, nous avons parlé de « La Grande Guerre à l’ère du déclin pétrolier. »(7) 

Le conflit est en effet mondial et, sans exception, il met en opposition l’élite politico-industrielle et financière face à tous les peuples et populations autochtones. Des États-Unis au désert algérien en passant par le Canada, la Patagonie, l’Australie et l’Europe une seule et unique ligne de front, la classe politique au service des transnationales mène sa guerre de croissance et de concentration du pouvoir contre les hommes et la Nature. Mais, surprise de taille, la grande propagande de masse nationaliste sur les thèmes éculés de « l’indépendance énergétique » et de « l’emploi » fut déjouée. Dès 2010, le film « Gasland » de Josh Fox avait percé l’écran des mensonges de « L’Age d’Or du gaz » des pétroliers. Pour les gaz de schiste, la bataille stratégique de l’information fut d’emblée et partout gagnée par les peuples.

En avril 2012, quarante ONG pouvaient demander au Parlement européen l’interdiction de l’exploitation des gaz de schiste (8). Les eurocrates restèrent sourds à cette doléance unanime des peuples européens et, pour reprendre l’initiative, ils produisirent trois études techniques. Les risques environnementaux et sanitaires ne purent pas être totalement éludés, mais au final, fidèles à leur tradition de trahison, ils décidèrent de laisser la voie grande ouverte à la ruée vers la roche-mère.

Deux ans plus tard, le tapis rouge était déroulé pour les gaziers, « L’Europe » (des eurocrates) contre les peuples d’Europe, décidait arbitrairement que les activités d’exploration et d’extraction des hydrocarbures de roche mère seraient désormais exemptées d’études d’impact. Le 12 mars 2014, le Parlement européen adoptait la révision de la directive portant sur les Études d’impact environnemental (EIE). Alea jacta est, « le sort en est jeté. » Le casus belli se faisait donc par déni de démocratie mais aussi, à cette date, par déni de réalité, l’expérience étasunienne était tout simplement ignorée par les élites européennes.

Les nombreux cris d’alarme désormais étayés par les données scientifiques accumulées depuis une décennie confirmant les risques environnementaux et sanitaires n’ont eu aucun écho dans les instances décisionnelles (9, 10, 11, 12). Par un acte de routine du parlement, les peuples d’Europe aussi conscients qu’ils soient furent, encore une fois, rendus totalement transparents. Les territoires européens devenaient le no man’s land des transnationales pétrolières et parapétrolières…

Comble du cynisme, après la trahison, l’Europe (des eurocrates) subventionnait son plan de bataille. Pour un crime environnemental connu d’avance, les pollueurs seraient grassement payés. En juin 2014, on apprenait qu’un fonds de recherche européen proposait une aide de 113 millions d’euros aux entreprises exploitant le gaz de schiste dans le cadre du programme Horizon 2020.

Pour parfaire leur plan de bataille, les eurocrates ne restèrent pas totalement sourds aux données scientifiques. Lorsque les fuites colossales de méthane dans l’atmosphère furent confirmées et que le bilan carbone de l’exploitation des hydrocarbures de schiste devenait pire que celui du charbon (13, 14), ils s’empressèrent de légiférer. Dernière initiative climatique en date, révélée en décembre 2015, juste après la Cop 21, le sabordage de la directive sur la qualité de l’air en Europe. Parmi les mesures prises sans surprise par les eurocrates, il faut noter ici l’exclusion du méthane de la liste des polluants atmosphériques (15). Elle est bien sûr symptomatique de l’imminence de l’offensive des transnationales sur le front des gaz de schiste en Europe… Comme aux États-Unis, le crime environnemental peut se faire en toute légalité.

En France, deux mois avant le début de la Cop 21, le ministère de l’écologie avait déjà lancé la charge par le même double déni de réalité et de démocratie. Non seulement il ignorait l’expérience étasunienne désastreuse et l’imminence de l’éclatement de la bulle spéculative construite autour de ces hydrocarbures non conventionnels, mais en plus avec ses paraphes, il rendait caduque par anticipation la loi d’interdiction de la fracturation hydraulique de Juillet 2011. Ainsi, par ces nouveau permis de forer, tirant un trait sur les doléances des collectifs, c’est le peuple de France qui est rendu transparent. L’invasion gazière menace le territoire…

Avec ce double flagrant déni du ministère de l’écologie on retrouve les deux guerres, contre l’Homme et la Nature, décrites par Aldous Huxley, le despotisme et le saccage environnemental… avec et pour l’arme du pétrole.

Faut-il encore s’en étonner? Dans un livre récent « Le Choix de la Défaite, » l’historienne Annie La Croix Riz décrivait par le menu, les inimaginables et non-avouables manigances et connivences des élites françaises, haute finance et grands groupes industriels, avec le parti puis le régime nazi dans les années 1920-1930 et pendant la guerre. Encore une fois l’élite cupide a fait le choix du pire…

La Guerre et la Paix à l’ère du déclin pétrolier

Trahison, invasion… Mutatis mutandis, la configuration conflictuelle reste exactement la même pour la ruée vers la roche mère, l’élite politique s’exécute, trahit délibérément les peuples d’Europe et de France et livre le territoire national aux transnationales pétrolières et parapétrolières.

Le contexte de déclin pétrolier exaspère la crise systémique du capitalisme et les tensions politico-financières. Il est désormais la trame de fond des conflits de ce début de siècle au Levant comme au Ponant, au Moyen-Orient comme en Europe. Il faut savoir que pour ces hydrocarbures « de technologie non-conventionnelle, » les investissements colossaux consentis sont en limite de rentabilité et impriment à cet extractivisme de l’extrême une structure de bulle spéculative confinant au « capitalisme du désastre. »

Plus la pénurie s’aggrave, plus il faut forer et tuber profond, plus les technologies à mobiliser sont complexes et les fonds financiers à faire tourner gigantesques, plus c’est bon pour les affaires (16). Et au pire, plus les investissements sont vertigineux, plus le risque de faillite se manifeste, plus il faut pousser les États à mobiliser des fonds publics pour forer, même si c’est pour ne rien trouver, comme cela se passe en Pologne.

A l’ère du déclin pétrolier, les groupes parapétroliers ne doivent pas être oubliés parmi les chefs de guerre. En ne considérant que les grands industriels français, on a un autre inventaire à la Prévert: Imérys, Vallourec, Cofor Vinci, Véolia, Lafarge, Engie (ex-GDF-Suez), Saint-Gobain, CGG Véritas, Solvay sont en lice et s’activent dans les coulisses du pouvoir… et cette liste limitée aux seules firmes parapétrolières n’est pas exhaustive.

Aussi hétéroclite que soit ce regroupement d’entreprises, il s’agit bien d’une photo de famille, celle de la géo-ingénierie des grandes profondeurs. Le forage et la fracturation hydraulique de la roche mère dépendent en effet de savoir-faire spécifiques et complexes, forcément dispersés en de nombreuses firmes industrielles (17). Dans ce complexe polytechnique, la logique spéculative se confond avec la dynamique du capitalisme du désastre.
L’éclatement prévisible de la « bulle spéculative » construite aux États-Unis autour du « feu de paille » des gaz de schiste peut expliquer facilement l’empressement servile des eurocrates pour l’ouverture de champs gaziers et ainsi assurer les replis des capitaux sur l’Europe…

De fait, dans le contexte de dérèglement climatique fin 2015, en Europe comme en France une ligne rouge est franchie. Les 10 ans d’expérience étasunienne désastreuse ont été délibérément ignorés.

En France, au lendemain de la Cop 21, c’est la consternation dans le camp des ONG environnementales et sociales, même si le résultat pitoyable de cette conférence était prévisible (18). Par contre et grâce à « l’état d’urgence, » la communication événementielle de la Cop 21 a pu se faire comme prévu au profit des transnationales. Du point de vu du maitre des cérémonies, elle s’affiche comme un total succès politique. Les milieux d’affaires peuvent savourer une victoire historique. Pour féliciter le gouvernement français de sa prestation, ils peuvent reprendre en cœur la formule que le grand diplomate et organisateur en chef de la Cop, Laurent Fabius, avait trouvé pour qualifier les opérations militaires de Al Nosra, la branche d’Al Qaïda en Syrie: « ils font du bon boulot. »

Indéniablement en effet, en donnant les pleins pouvoirs aux transnationales sur les négociations sur le climat et en déroulant le tapis rouge aux gaziers, le personnel politique français se charge du sale boulot.

L’année 2015 s’inscrit dans l’histoire de France comme l’une des plus noires pour la nature et l’environnement. Commencée avec la sanctuarisation du nucléaire dans l’Hexagone par la « loi sur la transition énergétique et la croissance verte, » elle s’achève avec l’offensive gouvernementale sur le front des gaz de schiste et l’OPA des transnationales sur les questions environnementales. Avec en plus la menace de constitutionnalisation en France de « l’état d’urgence, » on retrouve donc ouverte la double guerre d’après-guerre décrite par Aldous Huxley. 

Jean-Marc Sérékian, coauteur avec Jacques Ambroise de « Gaz de Schiste, le Choix du pire – La Grande Guerre à l’ère du déclin pétrolier, » Edition Sang de la Terre, novembre 2015.

Notes

(1) Naomi Klein, « La Stratégie du Choc, la monté d’un capitalisme du désastre » Ed. Sud 2008.
(2) François Xavier Verschave, « La Françafrique, le plus long scandale de la République » Ed. Stock 1998
(3) Raphaël Granvaud, « De l’armée coloniale à l’armée néocoloniale, 1830 – 1990 » « Que fait l’armée française en Afrique? » Dossier Noir n°23 de l’association Survie Ed. Agone 2009
(4) Jean-Marc Sérékian, « Radieuse Bérézina, lumière crépusculaire sur l’industrie nucléaire » Ed. Golias 2015
(5) Ces deux auteurs A. Huxley et H. F. Osborn sont cités par José Ardillo dans son livre « Les Illusions renouvelables. Énergie et pouvoir : une histoire. » Ed. L’Échappée 2015
(6) Camille, « Le petit livre noir des grands projets inutiles » Ed. Le Passager clandestin 2013
(7) Jacques Ambroise, Jean-Marc Sérékian, « Gaz de schiste le choix du pire, La Grande Guerre à l’ère du déclin pétrolier. »
(8) Silence n° 406 Novembre 2013, PF Laraleuse, « Les complaisances de l’Union européenne »
(9) NATURE |VOL 481| 26 JANUARY 2012 | James Murray and David King, « Oil’s tipping point has passed »
(10) NATURE |VOL 516| 4 DECEMBER 2014 | “The uncertain dash for gas” “The United States and other countries have made huge investments in fracking, but forecasts of production may be vastly overestimated.”
(11) NATURE |VOL 516| 4 DECEMBER 2014 | Mason Inman, “The Fracking Fallacy” “The United States is banking on decades of abundant natural gas to power its economic resurgence. That may be wishful thinking.” “We’re Setting ourselves up for a major fiasco.”
(12) NATURE | 27 JUNE 2013 | VOL. 498 | JEFF TOLLEFSON : «Gas drilling taints groundwater Chemical analysis links methane in drinking wells to shale-gas extraction.»
(13) NATURE |VOL 477| 15 SEPTEMBER 2011 “Should fracking stop?” “Yes, it’s too high risk !” Natural gas extracted from shale comes at too great a cost to the environment, say Robert W. Howarth and Anthony Ingraffea.
(14) NATURE | 9 FEBRUY 2012 | VOL 482 | Jeft Tollefson, “Air sampling reveals high emission from gas field”
(15) Le Monde | 16.12.2015 | Laetitia Van Eeckhout, « Directive sur la qualité de l’air en Europe : le texte vidé de toute ambition »
(16) Jacques Ambroise, Jean-Marc Sérékian, « Gaz de schiste le choix du pire, La Grande Guerre à l’ère du déclin pétrolier. »
(17) Jacques Ambroise, Jean-Marc Sérékian, « Gaz de schiste le choix du pire, La Grande Guerre à l’ère du déclin pétrolier. »
(18) Les Zindigné(e)s n° 29, Novembre 2015, Jean-Marc Sérékian, « Cop 21, la France à l’ère du capitalisme du désastre. »