Du Blocus continental à Hinkley Point

Atom’s tipping point before Hinkley point

Disons-le d’emblée, le point de basculement de l’atome est bien survenu très en amont du projet d’Hinkley Point… Il n’a pas non plus attendu Fukushima. Les pics des constructions de réacteurs et de production d’électricité nucléaire ont eu lieu tous les deux avant l’An 2000. Pour les mises en construction, les chiffres de la dégringolade générale sont suffisamment parlants: en 1979, année de la catastrophe de Three Mile Island, 230 réacteurs étaient en chantier, en 1986, année de Tchernobyl, on en comptait 120 en construction et au moment de Fukushima, en 2011, ils n’étaient plus que 64.

Précisons encore que cette décroissance exponentielle spectaculaire s’est faite malgré une volonté farouche des autorités nucléaires d’accroitre sans limite physique le parc atomique. De la même façon, pour la production d’électricité, les grandes illusions des « atoms for peace » des origines et les promesses tonitruantes d’une énergie « abondante et pas chère » sont définitivement douchées à Hinkley Point C. Le Père Noël nucléaire aussi est une ordure.

Alors que doit-on penser des deux EPR prévus dans le sud-ouest de l’Angleterre ? Peut-on croire à une réelle relance du nucléaire en Europe ? Certainement pas ! Dans le contexte général d’atonie de l’atome depuis deux décennies, avec toile de fond la Bérézina de Fukushima et l’étalage de deux interminables chantiers des EPR accumulant sans honte les malfaçons, il est en effet difficile de miser plus d’un kopeck sur la réussite de ce nouveau projet.

Comment aborder le problème pour le présenter dans sa particularité nouvelle ? Trois grandes puissances économiques membres du club atomique surmontent leurs diverses divergences et décident d’associer leurs efforts pour tenter de construire deux réacteurs nucléaires en Angleterre. Ce trio insolite mérite qu’on s’y intéresse et, à défaut de pouvoir faire émerger les dessous de cette affaire jugée pour le moins aventureuse on peut se permettre quelques commentaires pour l’éclairer dans le contexte historique global de Bérézina atomique.

Au-delà du montage financier

Analysant les aspects économiques et le montage financier du projet, Stéphane Lhomme de l’Observatoire du nucléaire est formel: « Les réacteurs EPR annoncés en Grande-Bretagne ne seront pas construits (1) ». Ils pourront tout au plus être mis en chantier en 2019 et dépasser les terrassements des bulldozers, mais d’ici à ce qu’ils divergent en 2025, l’expérience actuelle des deux EPR toujours en construction en Europe dix ans après les premières coulées de bétonnière permet d’en douter.

Dans le même registre d’analyse, le Réseau sortir du nucléaire est aussi alarmiste et déplore une « fuite en avant absurde et suicidaire pour EDF et la Grande-Bretagne (2) »
Vu de l’extérieur du microcosme atomiste, le projet est unanimement perçu à haut risque, et la démission soudaine du directeur financier d’EDF en mars 2016 vient, on ne peut mieux, étayer les analyses alarmistes des milieux anti-nucléaires et même d’affaire puisque l’agence de notation Moody’s menace de dégrader la note d’EDF.

En fait de démission du directeur financier, pour cette entreprise stratégique du complexe militaro-industriel français il serait plus juste de parler d’une sortie du rang sinon d’une haute trahison. Les propos de Monsieur Thomas Piquemal pour expliquer son acte symbolique « désespéré » sont on ne peut plus clair. Il ne voulait pas « cautionner une décision susceptible, en cas de problème, d’amener EDF dans une situation proche de celle d’Areva ». Autant dire pour être précis, puisqu’on connaît la « situation d’Aréva (3) » : la faillite, le démantèlement et la chute d’EDF. Hinkley Point semble s’annoncer comme le dernier sursaut, les « Cent Jours » voire le Waterloo de l’Atome tricolore.

Cependant, les paramètres financiers et économiques ne sont pas forcément les plus pertinents pour analyser cette industrie ou du moins ils restent insuffisants. Croire encore que l’on peut gagner honnêtement de l’argent en vendant de l’électricité nucléaire c’est se tromper lourdement ou vouloir tromper ses clients. On sait que depuis le début de cette redoutable imposture, les victimes civiles payent deux fois la facture en tant que clients et en tant que contribuables et, contraints et forcés, payent les pots cassés et la multiplication des poubelles. Sans parler de la lourde facture du démantèlement laissée aux générations futures…

L’aberration évidente du projet y compris dans la grille de lecture économique des milieux d’affaire signale un problème grave ou son aggravation avec une dérive vers la perte du principe de réalité. Mais au final elle ne fait que confirmer l’imposture nucléaire connue de longue date.

Fin Juillet 2016, c’était au tour de Gérard Magnin, membre du conseil d’administration, de quitter le navire pour des raisons plus politiques de dérive dans la transition énergétique…

Sa démission révélait ou confirmait une autre aberration symptomatique de l’hermétisme sectaire de la filière nucléaire française. Aussi éclairante qu’elle soit, la faillite d’Aréva restait un non-évènement ou était considérée comme tel dans les hautes sphères de l’atome tricolore. A la suite de la chute du fameux « Numéro 1 mondial de l’atome », EDF se devait de reprendre le flambeau, de garder aveuglément le cap, de creuser et de s’enfoncer sans état d’âme dans l’ornière du « tout nucléaire »… Le projet à haut risque de faillite des deux EPR à Hinkley Point entre dans cette stratégie militaire élitiste de fuite en avant… « La garde meurt mais ne se rend pas. »

Passé les péripéties du Brexit à haut retentissement médiatique, fin septembre 2016 était signé à Londres, sans grandes pompes il est vrai, le projet phare pressenti par les milieux nucléaires comme celui de la « renaissance » atomique en Europe. Alea jacta est.

Remarquons d’emblée, en maigre lot de consolation pour les habitants de l’Hexagone, que pour une fois ce n’est pas le territoire français qui écope du chantier pharaonique.

Grandeur et décadence des Empires

Grande première en Grande-Bretagne, pour la première fois dans l’histoire de l’industrie nucléaire, une grande puissance confie quasi-entièrement l’édification de son arsenal nucléaire à d’autres puissances. Dans le bastion du néolibéralisme, la Chine fait son entrée. Difficile de comprendre ce trio si ce n’est par une solidarité internationale préexistante des travailleurs du nucléaire. L’ancien Empire Britannique a offert en sacrifice son territoire aux ambitions nucléaires persistantes de la France et à celles montantes de la Chine.

Il faut dire pour planter le décor d’ensemble que pour l’expansion de l’atome tricolore, l’Hexagone est arrivé à saturation. Il croule sous ses grands projets nucléaires inutiles imposés, sa poubelle nucléaire Cigéo, son semi-Superphénix Astrid et son  Soleil sur Terre ITER. Où est-il encore possible d’infliger un autre projet de poubelle ? En Champagne, là où la densité de population humaine est inférieure à celle des sangliers selon le mot d’un opposant à Cigéo. En sachant qu’il y a 60 millions de consommateurs en France et seulement un million de sangliers dont la moitié sont tués tous les ans par les chasseurs, on mesure la pénurie de place disponible sur le territoire face à l’amoncèlement astronomique des déchets radioactifs. En Europe, l’Hexagone est désormais perçu comme une menace avec ses centrales vieillissantes…

A postériori, dans ce contexte de France ostracisée, on peut voir le Brexit comme providentiel pour EDF qui a de longue date investi en Angleterre. Tombé à point nommé, il devient le précieux sésame du projet. En éloignant la Grande-Bretagne de l’Europe il offre le champ libre à l’atome honni sur le continent. Ainsi, la sentence attendue défavorable de la Cour de justice européenne saisie par l’Autriche hostile au projet risque de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau du Channel. Pour EDF, cette zone de « non droit » communautaire outre-Manche constitue sa planche de salut. Une sorte nouvelle de Lebensraum, un espace vital d’expansion de survie s’ouvre à l’atome tricolore car sa situation s’assombrit dans l’Hexagone.

En automne 2016, moment de la signature du projet, six réacteurs sont à l’arrêt, mis en examen pour une durée indéterminée. Sur les 58, censés être en parfait état de marche selon l’ASN, cela représente 10% de l’effectif. Et la menace d’un blackout nucléaire se précise pour l’hiver, avec neuf autres réacteurs inscrits sur la liste des arrêts de rigueur sécuritaire. Effet Fukushima sur la sureté et révélations sur les malfaçons obligent, les réacteurs ont de plus en plus de mal à passer le contrôle technique. Comme le dit Le Canard Enchainé « Les centrales nucléaires disjonctent en cascades (4) » A ce rythme d’extinction contraint et forcé, avec 15 réacteurs potentiellement à l’arrêt, soit plus d’un quart de l’Atomic Park Hexagonal, la promesse présidentielle de faire passer la part du nucléaire à 50% du bouquet électrique est déjà satisfaite. L’atome tricolore pourrissant sur pied dans l’Hexagone quitte le navire et tente de se retaper outre-Manche.

Ironie de l’histoire, c’est l’EPR, le réacteur censé être « le plus sûr au monde » qui vendit la mèche. Ses défauts de forgeage sur la cuve permirent de remonter la piste jusqu’au Creusot et forcèrent les autorités de sûreté nucléaire à mettre à l’arrêt et en examen les anciens réacteurs…

Grandeur et décadence de l’ancienne superpuissance et aussi ironie de l’Histoire, au 19e siècle l’Empire Britannique devenu Etat narcotrafiquant imposait manu militari à l’Empire du Milieu l’ouverture de son marché par la Guerre de l’Opium. Pour avoir voulu protéger sa population et son économie du narcotrafic, les conditions de reddition imposées à la Chine par la « diplomatie de la canonnière » anglaise lors du traité de Nankin 1842 furent particulièrement odieuses… Aujourd’hui c’est la Chine qui en respectant les règles du marché vient construire des usines hautement stratégiques pour la dite indépendance énergétique de Angleterre.

Avant que l’administration Cameron ne soit balayée par le Brexit, George Osborne chancelier de l’échiquier d’alors, en visite officielle en Chine en 2015 pour relancer sa filière nucléaire, avait su flatter ses interlocuteurs tout en leur (re)donnant une leçon de mondialisation. Fort probablement sans humour et bien sûr sans penser aux origines de la Guerre de l’Opium il avait déclaré « Aucune économie dans le monde n’est aussi ouverte aux investissements chinois que la Grande-Bretagne (5) »…

Comble de la déchéance nationale liée à la logique néolibérale, en plus de la Chine et la France il faut ajouter le Japon, puisqu’en lice des négociations atomiques un autre consortium, NuGen, associant Engie et Toshiba vise Sellafield dans le nord de l’Angleterre pour construire une centrale… En se souvenant que Toshiba a avalé en 2006 Westinghouse le géant étasunien de l’Atome qui avait vendu ses licences de réacteurs à la France, on peut dire que dans cette pétromonarchie finissante on assiste à une véritable fusion nucléaire.

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Avec autant de compromission, de démission ou de soumission il semble difficile de suivre Tom Samson, le directeur de NuGen quand il affirme : « Hinkley est le début de la renaissance du nucléaire au Royaume-Uni. » Brexit ou pas, pour le nucléaire comme pour les gaz de schiste, le rôle du locataire du 10 Downing Street est de distribuer des concessions territoriales aux puissances transnationales étrangères.

France, Chine et Japon se retrouvent dans l’Ancien Empire Britannique en friche industrielle avec la mission historique officielle du « make UK great again ! »

D’un blocus continental à l’autre

On le sait, l’industrie nucléaire est de nature foncièrement militaire et en France elle relève de la compétence d’une élite héritière du 1er Empire. Un bref détour historique sur les péripéties de ses origines peut éclairer le jusqu’auboutisme et l’hermétisme actuel de cette caste.

Après la bataille navale d’Aboukir en 1798, confirmée par celle de Trafalgar en 1805, ces deux éclatantes victoires de la marine anglaise, la suprématie de l’Empire Britannique sur les immensités océanes est durablement acquise pour le nouveau siècle qui débute. A la suite de ces deux humiliantes défaites de la marine française, la logique de fuite en avant dans le militarisme et l’impérialisme triomphe en France. Le Général Bonaparte défait en Méditerranée et en Orient, poursuit sa carrière politique à terre. Il parvient au pouvoir par un mini-coup d’État ou un menu remue-ménage de palais, le « 18 Brumaire », et ainsi devient 1er Consul. Puis, continuant son ascension il se fait sacrer Empereur par Pie VII en 1804 et devint Napoléon 1er. En ces temps de crise, l’élite dirigeante sait d’instinct pour sa paix sociale intérieure qu’il faut un Dieu pour le peuple, des grands chantiers et surtout une guerre pour le discipliner et le tout pour « rassurer les investisseurs » créanciers de l’État dépensier.

Le Concordat et le rétablissement du culte catholique assure le premier. Le général ambitieux est son homme pour le reste. Ayant perdu en mer, encerclé par l’Angleterre et confiné à terre, libre à lui de se démener dans son domaine de compétence militaire. Mis en jambe et en appétit à la bataille d’Austerlitz de décembre 1805, il décrète le Blocus continental l’année suivante et se fait gendarme de l’Europe occidentale. Emporté par son élan militaire, en 1812 le voilà parti avec sa Grande Armée pour Moscou et finir sa Campagne de Russie embourbé dans la Bérézina. Ironie de l’histoire pour le dernier soubresaut des Cent Jours, c’est à terre à Waterloo que l’Angleterre vient mettre fin à la carrière du turbulent Empereur.

Si Napoléon 1er est allé dissiper l’énergie nationale et se perdre en campagne militaire aux confins de l’Europe c’est probablement par manque de diversité technologique. En son temps et contrairement à la Noblesse d’État d’aujourd’hui, il ne disposait pas du grand développement des sciences et techniques pour diversifier la gabegie d’énergie nécessaire aux milieux d’affaire, comme le permettent les grands projets technologiques inutiles imposés…

Depuis le 1er Empire, l’élite polytechnique sa grande héritière est aussi incorrigible que son ancien chef militaire et sa phalange nucléaire dernière arrivée de la lignée excelle dans les surenchères jugées « suicidaires », mais somme toute typiques du 1er Empire.

L’hermétisme idéologique domine. L’aventurisme militaire s’est reconverti dans les projets pharaoniques qui constituent désormais le panache identitaire ruineux et ravageur de la République.

Face au blocus continental lié au cordon sanitaire anti-nucléaire renforcé de l’après Fukushima, l’atome tricolore suffoquant sous ses déchets dans l’hexagone n’a plus d’autre axe d’expansion que l’Angleterre pour perpétuer sa fuite en avant sur la vieille Europe.

Ce pays à la dérive est une pétromonarchie finissante avec l’épuisement des hydrocarbures de Mer du Nord. Les ravages sociaux-politiques du thatchérisme semblent, à ce jour, indélébiles. La « thérapie de choc » du néolibéralisme méticuleusement appliquée et intensifiée par les successeurs de la Dame de Fer ont fait de l’Angleterre une proie facile et laissé le champ libre aux pires options technico-économiques…

En remontant aux origines, avec un premier réacteur mis en chantier sur le site en 1957, Hinkley Point est un lieu hautement symbolique de l’Antiquité atomique. Il appartient à la première génération européenne de la construction du mythe étasunien « atoms for peace », promesse solennelle du Président Dwight Eisenhower d’une énergie abondante et bon marché pour l’humanité. La friche industrielle abandonnée s’annonçait pour 2016 avec l’arrivée en fin de potentiel de la seconde fournée de réacteurs construits au cours des années 1970.

C’est sur ce terrain en décrépitude qu’arrive EDF au début des années 2000 et c’est en conquistador nucléaire qu’il acquiert en 2008 British Energy, la compagnie privée de l’Atomic Park britannique. A cette prise de contrôle technico-économique sur une société est de fait associée l’opération d’acquisition foncière sur son emprise au sol. Ses possessions deviennent autant de terrain à bâtir pour de nouveaux réacteurs nucléaires. Le projet d’Hinkley Point représente sinon la concrétisation du moins la suite de l’expansionnisme d’EDF.

Continuant son déclin et récemment esseulée par le Brexit pour que « make UK great againt ! » s’en suive, l’Angleterre s’enterre en grand pompe. Dans cette perspective somptuaire, l’élite britannique ne pouvait refuser de renouer avec le panache nucléaire de sa grande époque de seconde puissance mondiale.

Crépuscule de la Génération Plutonium de l’Homme

Puisque ce projet est signé afin d’être concrétisé alors que de toute évidence il échappe à la raison économique, pour tenter de l’éclairer on peut faire appel et rapprocher deux notions: la génération plutonium de l’Homme (6) et le capitalisme du désastre (7), intégrer l’acteur dans son contexte où la catastrophe semble recherchée comme source d’activité et de profit. Dans « Radieuse Bérézina » en 2015, au sujet de ce projet controversé nous disions: « tout est possible et surtout le pire quand le domaine de définition du problème est celui du capitalisme du désastre (8) ».

Avec ce projet, jugé « suicidaire » par au moins une source autorisée et très proche du dossier, l’état-major d’EDF joue son va-tout. En référence à la tradition de jusqu’auboutisme du 1er Empire on peut dire qu’on assiste aux « Cent Jours » de la France atomiste avec en perspective pour l’Atome tricolore un Waterloo possible à Hinkley Point.

Mais cet aventurisme d’EDF s’intègre parfaitement dans le nouveau cadre général du capitalisme du désastre comme d’ailleurs tous les Grands Projets Inutiles Imposés (GPII), tous encensés à l’unanimité de la classe politique.

On peut signaler cependant une particularité, elle concerne la survie de l’élite de l’Age atomique. Quel est son avenir ? Comment la perpétuer en l’absence de grands chantiers ? La spécificité historique de l’industrie nucléaire est d’être une industrie totale, hermétique liée à la guerre où une génération d’hommes d’élite s’est toute entière consacrée à la toute-puissance d’anéantissement de la vie sur terre. Difficile de dire quelle interprétation auront les historiens futurs de cette génération… En attendant et en référence au poème d’Hésiode «Les Travaux et les Jours » où il décrit les cinq âges mythiques ou générations de l’humanité, de l’âge d’or à l’âge de fer nous pouvons en rajouter une sixième: la génération plutonium de l’homme. 

Dans l’histoire de l’humanité, l’émergence d’une industrie investie dans la toute-puissance divine d’anéantissement total définit un Age où la ressource humaine est consubstantielle aux édifices atomiques. De fait, sans mise en chantier de réacteur, la perpétuation de la « génération plutonium de l’homme » est menacée. Le travail ne manque pas, mais comme à Fukushima il a changé de nature. Il est subi, c’est la catastrophe et l’incurie qui le créent. Il relève du nettoyage des écuries d’Augias. On l’a vu, la situation de l’atome tricolore est peu reluisante. L’industrie nucléaire sur le déclin se consacre désormais au packaging des déchets radioactifs. Elle survit, se repaît de ses dégâts collatéraux et se perpétue en vendant au prix fort des poubelles nucléaires à ses victimes civiles et, à ce titre, elle constitue désormais un modèle intégré du capitalisme du désastre.

Dans une France saturée de sites nucléaires en décrépitude, mise au ban des nations européennes pour la menace qu’elle représente, la reproduction de la génération plutonium de l’Homme semble de plus en plus compromise. Offrir un enfant à Polytechnique, « le rêve de toutes les mères », selon Flaubert, vire au cauchemar environnemental national.

Aujourd’hui, en effet, pour un nouveau membre de la secte, les perspectives de carrière professionnelle sont peu valorisantes: c’est la friche industrielle ou la poubelle nucléaire. Rafistoler les centrales vieillissantes, multiplier en secret les décharges de déchets radioactifs en les appelant pompeusement « laboratoires » ou « centres de stockage » et mentir effrontément en cas d’incident ou d’accident, telles sont les tâches désormais routinières des nucléocrates. Il est clair que pour cette élite à haut niveau d’étude ces corvées quotidiennes, même bien payées, manquent de panache. Il est loin le temps où les mises en chantiers se faisaient aux quatre coins de l’Hexagone. Dans l’embourbement nucléaire national, la possibilité de lancer un chantier de construction de deux EPR en Angleterre change de l’ordinaire. A défaut de modifier la donne de l’atome pour le futur, il renoue avec un passé de grandes illusions où la génération plutonium auréolée de son savoir absolu s’imaginait un avenir radieux.

Octobre 2016
Jean-Marc Sérékian, auteur de « Radieuse Bérézina, Lumière crépusculaire sur l’industrie nucléaire » Ed. Golias 2015.

Notes

(1) Observatoire du Nucléaire communiqué de presse du 28 juillet 2016 : « Malgré le vote absurde du Conseil d’administration d’EDF, Les réacteurs EPR annoncés en Grande-Bretagne ne seront pas construits » http://www.observatoire-du-nucleaire.org/spip.php?article317
(2) Réseau Sortir du Nucléaire Communiqué du 15 septembre 2016 « Hinkley Point : une fuite en avant absurde et suicidaire pour EDF et la Grande-Bretagne »
http://www.sortirdunucleaire.org/Hinkley-Point-une-fuite-en-avant-absurde-et
(3) LE MONDE ECONOMIE | 05.05.2016 | Par Denis Cosnard « EDF : le « désespoir » de l’ex-directeur financier »
http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/05/05/edf-le-desespoir-de-l-ex-directeur-financier_4914142_3234.html
(4) Le Canard 28 septembre 2016. 
(5) LE MONDE ECONOMIE | 21.09.2015 | Par Philippe Escande « L’étrange ménage à trois du nucléaire mondial »
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/09/21/l-etrange-menage-a-trois-du-nucleaire-mondial_4765396_3234.html
(6) Jean-Marc Sérékian « Pourquoi Fukushima après Hiroshima » Ed. Sang de la Terre 2012
(7) Naomi Klein « La stratégie du choc vers la montée d’un capitalisme du désastre » Ed. Actes Sud 2008
(8) Jean-Marc Sérékian Radieuse Bérézina Ed. Golias 2015

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