Fillon, Juppé et la bagnole

Afin de vous aider à faire votre choix (ou votre non-choix) entre Fillon et Juppé pour la finale des primaires de la droite dimanche prochain, nous avons exhumé de nos archives deux articles qui montrent toute la différence, ou plutôt l’indifférence, des deux comparses en matière d’écologie.

Le premier article est de Stéphane Lhomme et date de 2004, il est intitulé « Juppé et le monstre des quais. » Le second article est de Pierre Thiesset et date de 2010; son titre est « L’industrie automobile reconnaissante: Fillon est leur « homme de l’année » ».

Juppé et le monstre des quais
par Stéphane Lhomme, le 26 octobre 2004

Il y a un monstre sur les quais de Bordeaux. Non, ce n’est ni un assassin, ni un animal sauvage. C’est un monstre moderne d’aliénation des masses, et c’est « not’ bon maire » Alain Juppé qui l’a enfanté.

Soleil de plomb et ciel bleu : ce dimanche 24 octobre, c’était le grand retour de l’été à Bordeaux. « Y’a plus d’saison » comme disaient autrefois les vieux, qui n’avaient jamais entendu parler de réchauffement climatique ni de protocole de Kyoto.

Autant le dire, l’admettre, l’avouer : oui, j’ai profité du beau temps pour aller me promener sur les quais de Bordeaux. Mais attention, pas n’importe où : pas les quais rive droite, pas les quais nord ou centre. Oui, je suis allé me compromettre dans le nouveau temple de l’aliénation humaine mis en place dans les anciens hangars du port de Bordeaux.

Certes, ces immenses hangars étaient abandonnés depuis des décennies et il n’était pas stupide d’en faire quelque chose. Mais le maire de Bordeaux a souhaité laisser une trace dans l’Histoire en battant tous les records d’horreur.

Voyez donc : d’immenses grandes surfaces (jardinage, bricolage, électroménager et technologie), ouvertes en continu en particulier le dimanche. Et, pour enfoncer définitivement le clou, un hangar quasi exclusivement affecté au parking automobile (à plusieurs étages), de même que les terrasses de trois autres hangars.

Partout en France, il n’est question que de réduire la circulation automobile : les villes sont asphyxiées tant par la pollution que par les embouteillages. A Bordeaux même, le tramway a fait son grand retour (après une éclipse de quelques décennies). Hélas, trois fois hélas, le maire a gaspillé une occasion historique de libérer Bordeaux de la tyrannie automobile : de nombreux parkings souterrains ont été construits en centre ville en même temps que le tramway qui, logiquement, ne parvient pas à dissuader les automobilistes.

Et ce n’est pas seulement parce que Juppé a souhaité s’offrir une première mondiale avec une alimentation par le sol qui génère d’innombrables pannes. Non, si les voitures s’entassent encore aujourd’hui à Bordeaux, comme au cœur des années 80, c’est parce que… tout est fait pour ça !
Ainsi, ce dimanche, j’ai pu assister à d’impressionnants embouteillages : pour pénétrer dans le temple des hangars, les automobilistes s’aliénaient dans une file d’attente qui empiétait largement sur les voies de circulation des quais. Un véritable cauchemar.

Avant qu’on ne me fasse l’objection, je le dis moi-même : oui, il y avait un monde fou ce dimanche, les magasins et multiples restaurants étaient bondés, les quais envahis de milliers de promeneurs. Un vrai « succès populaire ». Je vois déjà l’objection : les gens sont heureux ainsi et, si je proteste, c’est que je suis un « écolo-élitiste » qui, en fin de compte, n’a que mépris pour le peuple.
Oui, c’est vrai : les foules étaient présentes, et chacun est venu librement, sans y être contraint. Et pourtant…

Lire aussi :  Chronique d'un échec à grande vitesse

Pourtant, est-ce que « les gens » ont vraiment le choix ? Est-ce que, s’ils savaient, ils ne préfèreraient pas une autre vie, « les gens » ? Est-ce une vie de manger des poulets à la dioxine, des OGM, des pesticides, des aliments irradiés, etc. ? Est-ce une vie de respirer du gaz carbonique, de l’ozone, de l’amiante ? De polluer et être pollué ? De s’entasser le dimanche dans des grandes surfaces qui exploitent les étudiants désargentés et détruisent les petits commerces de proximité ? Est-ce une vie, trente ans après les premiers délires de l’automobile urbaine, d’être encore prisonnier des embouteillages en 2004, qui plus est un beau dimanche d’automne ?

Il parait que Juppé a fait beaucoup pour Bordeaux, en particulier avec ses deux projets phares : le tramway et la rénovation des quais. Résultat : le tram déraille et les quais sont colonisés par les voitures. Chaban avait lentement mais sûrement laissé mourir Bordeaux, Juppé l’a réveillée à grands coups de feux d’artifices et de « rénovations urbaines » antisociales. Chaban avait laissé les quais de Bordeaux à l’abandon, Juppé y a enfanté un monstre.

A tout prendre, je préfère… que Chaban revienne !

L’industrie automobile reconnaissante: Fillon est leur « homme de l’année »
Par Pierre Thiesset le 25 avril 2010

Le Journal de l’automobile, hebdomadaire destiné aux professionnels du secteur, vient de couronner François Fillon « homme de l’année« . Ce grand coup de lèche récompense les efforts d’un chef de gouvernement de guerre (de classe), qui n’a pas hésité à voler au secours d’une industrie automobile condamnée au lieu de veiller à l’intérêt général.

Alors que « l’autophobie » (sic) se répand, le vaillant défenseur des multinationales persécutées a su utiliser les fonds publics à bon escient en les attribuant aux armements routiers : prime à la casse, prêts bonifiés aux constructeurs (qui te font un beau doigt d’honneur en retour en poursuivant tranquillement les suppressions d’emplois), soutien aux équipementiers et aux sous-traitants (qui te font un beau doigt d’honneur en retour)…

« De surcroît, élément non négligeable, François Fillon est un homme politique qui fait valoir un attachement authentique à l’automobile. » Le grand enfant a ainsi pu vroum vroumer dans un beau joujou de Peugeot 908 des 24 heures du Mans. Et il se bat pour ramener en France une poignée de fils à papa, qui ont la particularité de tourner en rond le plus vite possible au volant de Formule Un. « Au-delà de toutes considérations politiques », il y a donc une dimension « affective ».

Christian Estrosi était lui aussi nominé, en tant que ministre chargé de l’industrie et de l’épandage de voitures « propres ». Nul doute que l’affectif a encore joué, puisque le sinistre était pilote de moto dans ses jeunes années. Les Français ont eu raison de laisser le volant à de tels représentants, parfaitement au fait de la raréfaction du pétrole et de l’effondrement en cours.

13 commentaires sur “Fillon, Juppé et la bagnole

  1. Léonard

    Les papiers que vous publiez datent presque de l ancien millénaire…. C’est décevant de votre part.

  2. pedibus

    entre une fausse route et une sortie de route…

    qu’un mot à la bouche, avec cette époque de merdre…

    où l’on s’enfonce avec les pères Ubu bientôt boulonnés à côté de Ste-Gnognole :

    bêêêêêêrk…

  3. Laurent

    Treize ans et un point de vue plus qu’orienté, l’article sur Juppé et Bordeaux n’est absolument pas d’actualité !
    Je vis à Bordeaux et je ne circule quasiment qu’à vélo, un peu en TC (le tram principalement) et pratiquement jamais en voiture.
    Juppé n’est pas parfait et je ne l’ai jamais vu sur un vélo, mais :

    Ce fameux tram, non content de fonctionner relativement bien aujourd’hui, est à l’origine d’une partie de la politique cyclable de la mairie (prêt gratuit de vélos depuis les travaux du tram).
    La journée sans voiture, ici, c’est une fois par mois et non par an (bon le premier dimanche et limité au centre-ville, mais c’est déjà ça).
    Les vélos sont omniprésents sur la voie publique et les flics ont visiblement la consigne de laisser passer nos innombrables (et parfois excessives) libertés avec le code de la route.
    Le tourne à droite est en vigueur depuis deux ans.
    Que ce soit voulu ou un effet indirect d’aménagements qui sont fait pour emmerder les automobilistes s’aventurant dans le centre, ceux-ci nous calculent et, à défaut d’être ravis de devoir composer avec nous, ils nous respectent. Quand un mec s’excite derrière moi à coups d’accélérateur, alors que je roule rapidement au milieu de la voie dans une zone 30 et que je n’ai pas l’intention de m’écarter, je peux être certain qu’il n’est pas immatriculé à Bordeaux.

    Bien entendu, ce n’est pas parfait. Nous devons nous battre en ce moment pour conserver nos possibilités de franchissement par tous les ponts de la Garonne. Les itinéraires cyclistes ne sont pas forcément entretenus et les discontinuités plus ou moins dangereuses ne manquent pas. Mais globalement, si Juppé a  au niveau national la même bienveillance pragmatique vis à vis du vélo qu’il a eu ici, nous ne devrions pas nous en plaindre. Cela dit évidemment en dehors de tout jugement personnel sur le reste du programme de droite que lui et Vroumvroum Fillon nous concoctent.

  4. pedibus

    est-tu sûr Laurent qu’on ait fait autre chose que de la cosmétique à Bordeaux pour faire reculer la bagnole…?

    le fameux tram « victime de son succés » parce que bondé, pas seulement aux heures de pointe, c’est parce qu’on s’est contenté de seulement 3 lignes pour une agglo de 800.000 hab, non…?

    une 4e est en cours de construction, et comme les 3 premières elle ira se perdre en périphérie où la plupart des ménages flirtent avec un taux de motorisation à 100% et bientôt un 3e véhicule…

    pour le reste notre présidentiable non primarisable n’a exprimé, avant de quitter la mairie et l’interco, que des véléités de TCSP supplémentaire en bus articulé, là où circulent une dizaine de lignes en tronc commun…

    pour la ceinture des boulevards idem…

    par contre on n’a pas hésité à engloutir des centaines de millions d’€ pour un pont suspendu à deux fois trois voies – dont deux pour les bus – comme franchissement supplémentaire de la Garonne, futur aspirateur à bagnoles…

    et rebelotte au sud, avec un méga pont ultra large, faux nez d’une autoroute urbaine supplémentaire…

    je confirme que la ville est truffée de parkings souterrains dans son centre et même son hyper centre, avec un taux de remplissage merdique, comme dans les autres villes…

    la LGV sera inaugurée l’an prochain, avec une fréquentation de la gare St-Jean attendue comme fortement boostée : ils ont construits et vont construire des parkings en silo autour de la gare pour près ou un peu plus d’un millier de places supplémentaires :

    de toute façon il n’y a qu’une ligne de tram qui dessert la gare centrale, de plus celle-ci comporte toujours du matériel inadapté avec des rames courtes à 5 modules : trams bondés  garantis…

    rien n’est fait pour faire changer les habitudes des futurs voyageurs SNCF : on est loin de la situation de l’agglo de Montpellier – 2 à 3 fois plus petite… – où convergent 4 lignes à l’endroit…

    faire du vélo à contre-sens est possible à Bordeaux depuis quelques années; cependant les bagnolards ont tendance à foncer sur les piétons et les cyclistes pour forcer le passage, en centre historique en particulier : on est toujours au stade d’un confetti de 75 ha de zone piétonne dans l’hyper centre…

    une spécialité bordelaise est le stationnement sauvage sur trottoir – et sur piste cyclable – : jamais réprimée, sauf en périmètre de stationnement réglementé, où les « habitudes » reviennent passées 5 H le soir et le dimanche…

    lors des dernières élections municipales Feltesse – recyclé en conseil de com du pdt de la république… –  s’est comporté comme un sagouin, en jouant à front renversé idéologique avec la droite locale : pour lui le tram c’était trop cher, il fallait arrêter les frais, ne jurer que par le « bus à haut niveau de service », tandis que Juppé, maire de la ville centre, faisait mine de vouloir continuer son ouvrage de « réseau » tram, commencé après Chaban en 1995…

    en matière d’urbanisme dans l’agglo c’est « business as usual », avec de nouveaux immeubles toujours avec des rdc parkings, moins chers qu’en s/terrain, avec pour résultat des rues infectes, tuyaux à circulation sans attrait pour le passant…

    idem dans l’existant, où beaucoup de cours et de rdc sont convertis ou ont été prévus comme garages…

     

    Tout ça pour dire, que jupette, vroum vroum 24H du Mans, grand yaka de la com socialo, et même les Verts locaux pro bagnole… l’offre politique locale comme nationale est profondément merdique…

    On est dans une grande schizophrénie pour l’environnement et la bagnole dans ce beau pays de merde, et pour essayer d’étayer la chose je renvoie au sociologue qui mérite un détour, et qui a largement brodé là-dessus, sur les élus et les habitants lyonnais en particulier, même si cette agglo s’en tire mieux face à la bagnole : le cas est transposable partout ailleurs…

    Stéphane Labranche

    https://vertigo.revues.org/11754
    « La schizophrénie écologique : le cas des déplacements quotidiens à Lyon »
     

     

  5. pedibus

    encore merdre : la façon dont je viens de torcher mon commentaire laisse croire que c’est signé du sociologue/politologue Labranche… à corriger donc… mais à lire absolument son article…

    je profite de ce repêchage pour dire que le renouveau du tram à Bordeaux s’est réalisé à offre constante de stationnement !!!

    idem pour la circulation : par exemple le fameux nouveau pont levant à 160 millions d’€ inauguré en 2013 était présenté comme compensation des deux voies de circulation du vieux pont de pierre occupées par le tram, dans la feuille de chou de l’agglo… !!!

    en fait de compensation on a doublé l’offre routière pour le franchissement de la Garonne…

    dernier point, et juré je m’arrête là, on se trimbale avec une part modale bagnole qui doit placer haut la main l’agglo en queue de peloton de celles qui ont plus de 400.000 hab, avec plus de 60% à l’enquête ménages déplacements de 2008-2009…

    pour un comparatif de la situation et de l’évolution voir un doc d’une agence d’urbanisme finalement très pédago, avec les origines-destinations pour le seul motif travail (rarement plus d’1/5 des déplacements dans les EMD):

    p.27

    http://www.auran.org/sites/default/files/publications/documents/atlas_dom_travail_v11_01_16_pageapage.pdf

     

  6. Laurent

    Ce dont je suis sûr, c’est que je circule quasi uniquement à vélo à Bordeaux et qu’en comparaison à quelques autres villes moyennes ou grandes où je m’y suis essayé (Paris, Dijon, Lyon, Grenoble…), Bordeaux est un paradis cycliste. Bon, avant que tu ne me casses mon jouet, disons que c’est peut-être, sinon le paradis, un aimable purgatoire, en comparaison de certains enfers.

    Pour la ligne du tram desservant la gare, tu te plantes un peu. Il faut croire que les deux fois où tu l’as prise tu n’as pas eu de chance. Il y a essentiellement des tram à 7 modules et non 5 (ça dépends des heures). Je connais bien le C, j’ai un arrêt à ma porte et quand j’ai la flemme de sortir un vélo, je prends cette ligne. Et je connais bien le quartier de la gare, puisqu’il y a là notre atelier associatif.

    Pour les ponts, ce n’est pas forcément stupide d’avoir un pont Baba entre le pont d’Aquitaine et le pont de Pierre. Mais effectivement, le JJB au Sud a toutes les chances de booster la circulation sur les boulevards, ce qui est une belle connerie. Mais le plus gros problème au sujet des ponts (et des aménagements cyclables en général) c’est la reculade très sensible dans le volontarisme politique et la (re)prise du pouvoir des techniciens bagnolophiles. La fermeture de plusieurs PC sur les ponts en est le signe flagrant.

    Or donc, après avoir voté dimanche pour « le moins pire d’entre eux » ou pour celui qui accélère en rétrogradant, venez à la manif contre la fermeture de la PC du pont François Mitterrand, samedi 10 décembre à 14h place Stalingrad (bon, Mitterrand et Stalingrad, ce ne sont pas des noms en odeur de sainteté chez nos deux compères lapins !). Yekri ! Yekra !

  7. pedibus

    oui, le projet de supprimer la piste sur le pont autoroutier FM ne peut que fabriquer  de l’allongement des trajets cyclistes quand il s’agit de traverser la Garonne au S de l’agglo, même quand le nouveau pont JJ Bosc sera en service, de fabriquer également de la barrière aux modes actifs, concept cher à Frédéric Héran, l’économiste des transports biclouphile…

    pour la ligne C du tram je pifomètrerais volontiers à 1/3 -1/2 de rames courtes pour le service actuel… sur un tracé qui a été choisi au départ pour emmerder a minima la bagnolardise, en évitant de filer direct par le cours de la Marne, la Victoire et le reste des cours, lesquels offent toujours du stationnement en épi et réduisent à moins de 10% l’espace viaire dévolu aux piétons…

    enfin, au sujet du paradis cyclable bordelais, j’ai beaucoup de mal à oublier les vitesses folles pratiquées par « nos amis automobilistes » et leurs sales habitudes de se garer n’importe où impunément, de foncer pour forcer le passage piéton ou nier le contresens cyclable, de bourrer comme des malades jusque dans les ruelles du centre gallo-romain…

  8. Léonard

    J ignorais ce projet de fermeture de la piste cyclable du pont Mitterrand. Je ne pourrai pas me rendre sur la place Stalingrad ce 10 décembre. Savez vous s il existe une pétition en ligne?

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