Irréaliste, violente, destructrice. La représentation de la mobilité au cinéma (4/6) : Jurassic World

Les choses ne vont pas en s’arrangeant avec ce 3ème film : Jurassic World (5 204 879 spectateurs) a déjà été critiqué sur le site « Le cinéma est politique »,  notamment pour son sexisme et son racisme. En ce qui nous concerne, même si l’action se passe dans un parc et qu’il y a donc a priori peu de déplacements, le film se débrouille très bien pour promouvoir des modes de transport polluants.

Passé le générique, on voit des enfants prendre l’avion puis le ferry pour se rendre au parc à dinosaures.  Par ces seuls gestes, ils appartiennent à la part de la population la plus riche du monde. En effet, si l’avion est totalement banalisé au cinéma, dans la réalité environ 85% de la population mondiale n’a jamais voyagé une seule fois dans les airs. Or malgré le peu de monde concerné, le trafic aérien est quand même responsable de 5% des émissions mondiales de CO2. On pourrait donc s’attendre à moins de légèreté dans les représentations de voyages en avion au cinéma, mais il est fort probable qu’une grande majorité des réalisateurs et réalisatrices des États-Unis prennent régulièrement l’avion.

Dans le parc jurassique, les clients marchent ou prennent le train comme dans un parc d’attraction. Le personnel lui, a accès à une flotte de véhicules qui sont tous des Mercedes. En effet, le film est (entre autres) un spot de pub pour le fabricant de voiture qui est actuellement attaqué en justice pour la pollution dont il est responsable. Le montant alloué par Mercedes au film est confidentiel mais il est tout a fait possible que ce genre de placement ait coûté dans les 10 millions de dollars, ce qui représente, à titre d’exemple, 140 fois le budget annuel de l’association Française « Respire » qui milite contre la pollution de l’air.


Non content d’avoir exploité 40 000 esclaves sous le nazisme ou d’avoir payé 30 millions de dollars d’amende pour violation des normes anti-pollution, le constructeur Allemand va jusque dans la jungle pour mettre ses phares dans les yeux des dinosaures.

Forcément le réalisateur montre les Mercedes sous leur meilleur jour, quitte à  faire quelques plans dignes d’un spot de pub et à s’affranchir de la réalité. Notons de nombreuses scènes de conduite sur piste dans la jungle où les voitures ne subissent aucune vibration comme si la piste était parfaitement lisse. On a même une scène ridicule où une moto et un camion foncent hors piste en suivant des raptors tout droit à travers la jungle. Les dinosaures zigzaguent ou sautent agilement entre les troncs d’arbres et les racines mais les Mercedes toutes puissantes suivent en ligne droite comme si elles étaient sur l’autoroute. On en oublierait presque que ces véhicules sont incompatibles avec un milieu un peu naturel et ont besoin de route goudronnée pour se déplacer (contrairement à la marche ou au vélo). Ce genre de représentation malhonnête où voitures, camions et motos s’intègrent discrètement dans l’environnement alors qu’ils le transforment radicalement en réalité, est hélas légion et minimise encore une fois les impacts négatifs engendrés par ces moyens de transport.

Une autre scène montre les enfants rouler en ‘gyrosphère’, une boule en verre qui se déplace ‘grâce à la magie de la science’ comme dit le film. Outre le fait qu’ils critiquent très rarement les modes de transport massivement utilisés dans nos sociétés, les films présentent aussi souvent des véhicules individuels ‘magiques’ qui ne se préoccupent ni d’énergie ni de pollution (comme on l’a aussi vu dans Star Wars). Cette approche déresponsabilise le spectateur puisque, avec ces exemples de véhicules futuristes, on s’en remet aux avancées (plus ou moins probables) de la science pour trouver des solutions aux problèmes actuels. On est ainsi invité à laisser les décisions qui impactent notre vie entre les mains  « d’experts » et la résolution de problèmes urgents est mise de côté pour laisser place à une sorte de foi quasi religieuse dans les progrès de la science (on peut parler de ‘scientisme’). Par exemple:

L’automobile ce n’est pas un problème, c’est même dans bien des cas une solution. La vérité, c’est que nous sommes en mesure d’apporter des réponses aux problèmes d’énergie, aux problèmes d’environnement qui se posent à condition de faire confiance aux capacités d’innovation, aux capacités scientifiques, aux capacités technologiques de l’être humain. Derrière l’acharnement de certains contre l’automobile il y a au fond le rêve d’une société qui, au prétexte des dangers réels qui menacent l’individu, nie sa liberté. Au fond, derrière ce débat qui fait rage dans notre pays autour de l’automobile, autour de la protection de l’environnement, on voit quand même grosso modo deux conceptions de la société, deux conceptions de l’avenir qui s’affrontent. Y a ceux qui sont favorables à une forme de décroissance, de retour en arrière et peut-être même à une forme de collectivisme, d’organisation de la société pour faire face aux dangers qui la menacent, et puis y a ceux qui pensent que le développement durable, c’est-à-dire celui qui mise tout sur le progrès de la science, sur le progrès de la technologie, qui fait confiance à l’homme, qui fait confiance à l’individu, nous permettra de relever les défis qui sont devant nous. (…) Une de mes premières voitures a été une Renault 5 turbo qui est une voiture formidable mais avec laquelle je me suis mis dans un ravin avec mon épouse le jour de mon voyage de noces (rires dans la salle).
François Fillon, 26-2-2010.

Cette posture détourne ainsi d’une action politique qui permettrait de résoudre nos problèmes, en restreignant par exemple les déplacements polluants ou en développant les transports collectifs. En promettant toujours une technologie merveilleuse (si l’on veut bien patienter), cette vision apolitique du transport au cinéma empêche la critique à un moment crucial. Malgré toutes ces voitures magiques qui « sont pour bientôt » il y a une réalité : même si une voiture magique était vraiment propre les seules ressources nécessaires à sa fabrication font que son utilisation ne pourra jamais être généralisée à l’ensemble de la population mondiale. Par contre, si au lieu d’attendre le véhicule qui roulera en brûlant du CO2 comme le messie on mettait le frein sur les véhicules individuels polluants (voitures et motos) au profit des modes de transports alternatifs actuels on résoudrait immédiatement bien des problèmes.

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Bien sûr ce genre de solution politique n’inspire ni les cinéastes qui peuvent parfois être les premiers acheteurs de véhicules polluants ni les journalistes de sacs à pubs qui les vendent. Voilà pourquoi des spots de pubs géants comme Jurassic World continueront d’être réalisés et d’être promus par la presse.

Rendez-vous au prochain épisode avec pour ne rien changer un autre spot de pub, pour Jaguar et Land Rover cette fois, qui met en scène un vieux macho anglais expert en combustion d’énergies fossiles…


La mystérieuse gyrosphère, véhicule sûrement électrique, fait déjà rêver deux futurs actionnaires d’Areva