A vélo pour sauver votre désobéissance !

Pourquoi plus de vélo? Pour plus de nature et de santé, moins de carburant et d’embouteillages. Toutes ces raisons sont valables. Mais l’enjeu est plus essentiel : le vélo pour plus de liberté !

L’homme du 21ème siècle est un matraqué. Les médias bien pensants lui martèlent quotidiennement les nouvelles dites importantes, où sont les gentils, où sont les méchants et l’engluent dans un flot d’informations qui obscurcie sa pensée : « Bourrez les gens de données incombustibles, gorgez-les de « faits », qu’ils se sentent gavés, mais absolument « brillants » côté information. Ils auront alors l’impression de penser, ils auront le sentiment du mouvement tout en faisant du sur-place. » (1)

L’intoxication se poursuit en voiture. La propagande officielle se déverse toujours sur la bande FM. Mais plus sournois, l’automobiliste devient une marionnette par le simple fait d’utiliser son véhicule. L’homme motorisé est un homme normé, policé, à initiative personnelle resserrée. Le code de la route est sa loi. C’est aussi son carcan.

C’est ce que souligne ce grand marcheur devant l’Eternel : « A partir du moment où les citoyens deviennent des mobiles d’une tonne lancés à toute vitesse, il nous faut un « système de circulation » avec les mêmes normes pour tous, les mêmes signaux impératifs, les mêmes conditions de manœuvre. (…). Quant aux conducteurs, ils se doivent, bien entendu, d’évacuer de leurs comportements toute initiative ou appréciation « personnelle ». Notre système de circulation n’atteindra son rendement idéal qu’à partir de l’instant où tous les pilotes seront devenus des robots, obéissant aveuglement à un réseau de signaux automatiques. Ça crève les yeux. C’est comme par nécessité que nous devenons des machines. » (2)

Alors le vélo devient un vrai moyen de résistance à la pensée unique. Non seulement il permet de couper avec le flot de fadaises radiophoniques mais encore il donne une pratique de liberté inaccessible en voiture. Culotté serait le cycliste qui se proclamerait libre par le seul fait d’user sa bécane. Mais à vélo, je m’arrête quand je veux admirer le coucher de soleil ou discuter avec un ami croisé en chemin. En voiture, les klaxons de ceux qui me poussent sur ma voie de circulation m’empêchent de me garer à ma guise. A vélo je prends cette sente étroite aperçue à gauche quand le flot de voiture poursuit sa route balisée. C’est dire que le vélo est un passeur de liberté.

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Qu’y a t-il d’étonnant car la liberté, cette chose unique que Marie Noëlle appelait la Joie a besoin d’air libre pour grandir. N’y a-t-il pas plus libre qu’un marcheur ou un cycliste au long cours ? « La Joie vit à l’air libre. La Joie a besoin de respirer. (…) La Joie est pour chacun (…) cette merveilleuse place ingouvernée, insoumise de l’âme, où joue, à sa manière toute neuve, un petit enfant désobéissant, sans s’occuper de ce que font autour de lui les grandes personnes bien ordonnées qu’ont remontées et mises en marche une quantité d’ingénieurs et de contremaîtres – groupes, sociétés, syndicats – elles sont là toutes ensemble à obéir dans cette rue, à travailler pareil, à coucher pareil, à gagner pareil, à penser, aimer, haïr, chanter, crier pareil, vêtues de couleurs pareilles. Qui sauvera maintenant sa chose unique ? Sauver la désobéissance… » (3)

Après cette belle bouffée d’air, l’épilogue en paraphrasant Baudelaire : homme libre, toujours tu chériras ton célérifère. Autrement dit : en selle ! Pour sauver ta désobéissance.

Loïc TERTRAIS

Illustration Bertrand Dosseur

(1) Ray Bradbury, Fahrenheit 451
(2) Michel Menu, Dans le désert au pas des Goums
(3) Marie Noëlle, Notes intimes