La gratuité adoucit les mœurs

C’est un véritable pavé qui bat en brèche un certain nombre d’idées reçues sur la gratuité des transports en commun. Une association de chercheurs nommée VIGS (Villes Innovantes et Gestion des Savoirs) vient de réaliser en partenariat avec l’Agence d’urbanisme de Dunkerque et la Communauté urbaine de Dunkerque un rapport très complet sur la mise en place de la gratuité les samedi et dimanche à Dunkerque.

Le rapport, qui fait quand même 274 pages, s’intitule « Dunkerque, « laboratoire » de la gratuité des transports en commun. Retours sur les effets de la gratuité… » Il s’agit probablement de la première étude scientifique de nature « qualitative » réalisée en France afin de mesurer les impacts réels d’une politique de gratuité des transports en commun.

Durant sept mois, Henri Briche, de l’association de chercheurs VIGS, a mené la première étude du genre à Dunkerque. L’agglomération de 200 000 habitants a en effet instauré la gratuité des bus le week-end depuis septembre 2015.

Avant de détailler les principales conclusions de l’étude, précisons que Dunkerque expérimente actuellement la gratuité des transports en commun à une vaste échelle (200 000 habitants) tous les week-end avant une généralisation complète prévue en 2018.

En premier lieu, l’expérimentation fait apparaître sans surprise une augmentation de la fréquentation: 6 000 voyageurs supplémentaires chaque samedi (soit une augmentation de 29%) et 5 000 de plus le dimanche et les jours fériés (+ 78 %). L’augmentation de la fréquentation liée à la gratuité est un phénomène qui est désormais bien connu.

Ce succès n’est d’ailleurs pas sans poser de problèmes, car il faut désormais éviter d’avoir des bus bondés qui pourraient refroidir les ardeurs d’éventuels nouveaux adeptes des transports en commun. En tout cas, il semble préférable d’avoir à gérer le succès plutôt que de faire tourner en ville des bus quasi-vides comme c’est souvent le cas dans les villes de province. C’est pourquoi, il s’agit actuellement d’une expérimentation limitée (le week-end), et il est prévu de rénover entièrement le réseau avant de passer à une gratuité totale en 2018.

Plus intéressant, qui sont les nouveaux adeptes des transports en commun? Apparemment, les nouveaux usagers du bus gratuit le week-end sont principalement des familles avec enfants, de toutes les catégories sociales. Cela va donc dans le sens d’une plus grande mixité sociale et cela permet aussi de sortir d’une certaine forme de relégation sociale liée aux politiques actuelles de tarification sociale des transports en commun.

Ensuite, le rapport apporte des éléments nouveaux qui battent en brèche les idées reçues concernant les incivilités. Beaucoup d’opposants à la gratuité expliquent en effet que la gratuité des transports publics va faire exploser le nombre d’incivilités. Selon eux, « ce qui est gratuit n’est pas respecté » et ils imaginent donc sans doute que les usagers de bus gratuits vont se mettre à cracher par terre, mettre leurs pieds sur les sièges, ou peut-être tagger les bus?

Lire aussi :  La logistique du vélo

Au-delà du fait que ce type de raisonnements en dit long sur ceux qui les promeuvent, le rapport dit tout autre chose. A Dunkerque, les incivilités sont en baisse les week-ends : on enregistre 59% d’actes en moins. En 2014, on observait 178 actes d’incivilités sur le réseau. En 2016, on en a enregistré 73. L’opérateur de transport local (STDE) évoque une « franche nette baisse » des coûts associés aux dégradations : en 2014, la STDE avait dépensé 44 282 euros pour effectuer des réparations suite aux incivilités. En 2016, elle n’a déboursé que 3 894 euros.

Selon le maire de Dunkerque, la baisse des incivilités s’explique à la fois par un contentement généralisé (72 % des personnes interrogées estiment que la gratuité constitue une avancée), et par « la hausse du contrôle social, du fait qu’il y a davantage de monde dans le bus. »

Pour finir, il semble utile de préciser que le rapport constitue parfois un complément intéressant de certains débats ayant eu lieu sur le site Carfree France. Ainsi, le rapport conteste (page 146) les propos du chercheur Frédéric Héran sur Carfree France qui expliquait (l’article est ici) que la gratuité allait provoquer un report modal du vélo vers les transports en commun.

Selon l’auteur, « à ce jour, les rares retours de collectivités ayant fait le choix de passer à la gratuité n’évoquent pas de report modal significatif du vélo vers les transports en commun. »

Par ailleurs, Frédéric Héran expliquait dans le même article « qu’à Dunkerque, les cyclistes préfèreraient de beaucoup que l’argent prévu pour rendre les transports publics gratuits soit investi directement dans la modération du trafic automobile et les aménagements cyclables, plutôt que dans un concurrent direct du vélo. »

Pour Henri Briche, cela ne correspond pas aux observations faites à Dunkerque: « Nombreux sont les cyclistes déclarer soutenir cette initiative qui va dans le sens de la réduction de la place de la voiture dans l’agglomération. Ces critiques à l’égard des effets supposés de la gratuité sur le report modal reflètent plutôt une position idéologique et une volonté d’opposer deux moyens de locomotion malgré le fait que les usagers ne les confrontent pas. »

Télécharger le rapport complet au format pdf

livre-gratuitéMarcel Robert, auteur du livre « Transports publics urbains: Textes sur la gratuité« , 158 pages, 10 euros.

24 commentaires sur “La gratuité adoucit les mœurs

  1. Hervé

    Hello,

    étude qui corrobore le bouquin d’Aubagne « Liberté, égalité, Gratuité  » Trés bien !!!

     

  2. Vincent

    > Plus intéressant, qui sont les nouveaux adeptes des transports en commun? Apparemment, les nouveaux usagers du bus gratuit le week-end sont principalement des familles avec enfants, de toutes les catégories sociales

    Plus important : avant la gratuité, que faisaient ces gens?

    Si ces voyages en bus remplacent des voyages en voiture, très bien, à la fois pour eux (économies) et pour la ville (pollution, accidents, embouteillage, bruit).

    En revanche, si cette gratuité vient remplacer des déplacements qui…

    n’auraient pas été effectués sans inconvénient pour les gens : effet d’aubaine
    auraient remplacé des déplacements à pied ou à vélo: on est perdant.

    Il est quand même intéressant d’avoir vérifié l’hypothèse/affirmation de Frédéric Héran d’un report du vélo vers le bus gratuit. Ceci dit, vu la part modale faible du vélo à Dunkerque de manière générale, le risque n’était sans doute pas très important.

  3. The Flying Dutchman

    Très intéressant! Et qui montre que, quand on veut, on peut! Même si la gratuité a vraisemblablement un coût pour Dunkerque.

     

    Quant à l’idée de Frédéric Héran d’un report du vélo vers le bus gratuit, c’est une hypothèse de chercheur, une théorie, mais sans fondement pratique.

     

    Si ce monsieur faisait du vélo, il saurait qu’aucun cycliste ne délaisserait sa liberté d’enfourcher sa bicyclette au moment qu’il le désire, sans attendre un bus avec ses horaires contraignants, d’emprunter l’itinéraire de son choix, sans être privé de sa liberté par des arrêts prévus sur la ligne du bus auxquels il est impossible de déroger, et d’être seul et libre, sans avoir à supporter les autres usagers du bus…

  4. Jean Sivardière

    Si la fréquentation du réseau de Dunkerque a augmenté, le samedi, de 6 000 voyageurs soit + 29 %, cela signifie qu’elle était, avant instauration de la gratuité, de 20 000 voyageurs seulement, ce qui est très faible pour une population desservie de 202 000 habitants, et traduit la mauvaise qualité du service offert.

    Effectivement, le nombre de voyages par an et par habitant était à Dunkerque, en 2015, de 79 (statistiques de l’Union des Transports Publics) contre 135 à Besançon (190 000 habitants desservis), 144 au Mans (205 000 habitants desservis) et 157 à Reims (224 000 habitants desservis). Pour développer la fréquentation d’un réseau urbain, mieux vaut implanter un transport collectif en site propre qu’instaurer la gratuité.

    Les cyclistes de Dunkerque ne se reportent pas, semble-t-il, sur les bus gratuits. Mais ce n’est qu’un cas particulier. Dans les villes où la gratuité a été instaurée, un tel report est généralement observé, Frédéric Héran a parfaitement raison de le souligner.

  5. pedibus

    L’auteur du rapport de l’expérience de gratuité des TC à Dunkerque ne dément nullement « l’hypothèse » et l’une des propositions de Frédéric Héran, au sujet de la nécessité de restreindre la place de l’automobile en ville, particulièrement en restreingnant l’offre de stationnement, preuve particulièrement probante de l’existence d’une volonté politique forte :

    La gratuité à elle seule ne peut restreindre la place de la voiture. L’amélioration du réseau prévue pour 2018 constitue déjà un pas en avant essentiel pour convaincre les automobilistes d’utiliser les transports publics de l’agglomération.  Toutefois, il semble indispensable de trouver un équilibre entre une politique incitative d’usage du bus gratuit et une politique coercitive de restriction de la place de l’automobile. L’écrasante majorité des dunkerquois non usagers du bus l’expliquent par la trop grande facilité qu’ils ont à circuler et à se garer en voiture dans le centre-ville.
    La plupart d’entre eux ajoutent pourtant être prêt à limiter les trajets en voiture si une offre alternative et qualitative en transport collectif existe.

    Or, si on analyse le geste politique dunkerquois de la gratuité des TC, certes très louable, ça relève davantage du marketing territorial avec une mesure finalement peu coûteuse électoralement/financièrement, autrement meilleur marché qu’une décision de restreindre cette offre de stationnement, autrement plus productive en termes de report modal :
    qu’est-ce que 30 à 80 % d’augmentation de la fréquentation des TC pour une part modale de 10%…?
    3 à 8 points de part modale gagnée pour ce mode, sans être bien sûr que le report soit à 100% au détriment de la bagnole…
    Les zélus dunkerquois devraient être fermement attendus au tournant de leurs futures décisions en matière de stationnement :
    et « l’hypothèse » d’une absence de couplage gratuité TC / réduction drastique de l’offre de stationnement est décidémment à considérer comme très forte…

    J »espère que Frédéric Héran réagira à cet article de Marcel.

    Il est souvent simpliste de traiter un problème socio-spatial avec seulement une ou deux réponses, qu’elles soient techniques, politiques ou institutionnelles… L’analyse des politiques de transport urbain dans nos agglos depuis quelques décennies, comme essentiellement un accommodement socio-technique du fonctionnement de la ville au bénéfice principal de l’usage automobile, en évitant la thrombose totale en lâchant quelques investissements au profit des TC – ou en se privant de quelques recettes… – semble toujours très convaincante…
    L’absence de mesures coercitives et restrictives en direction de l’usage automobile en ville  (baisse de l’offre d’espace pour les fonctions de stationnement et de circulation automobile, paiement de ces « services », contrôle de la vitesse et du comportement…), particulièrement dans les intercommunalités qui ont pris la décision de la gratuité des TC, à moyen/court terme, à vérifier donc, ne constituera qu’une preuve supplémentaire de la validité de l’analyse

  6. pedibus

    Pour répondre à Jean Sivardière :

    soyons bon gestionnaire et audacieux, en se gardant de continuer à sectorialiser le fonctionnement des villes :

    réclamons fromage, dessert, digestif et/ou pastille de Vichy, au festin de cet exercice de politique virtuelle des agglos, dont il s’agit de limiter l’usage de la bagnole sur leur territoire… :

    gratuité des TC + mesures restrictives en direction de la pratique automobile + vrais réseaux de TCSP + mise en place d’un établissement public foncier local*…

     

    * Outil permettant de constituer une réserve foncière pour que les zélus soient en capacité de bâtir une offre de ville compacte à mixité socio-fonctionnelle, par ajout et/ou requalification de l’existant…

     

  7. Jean Sivardière

    En pratique, les villes qui instaurent la gratuité se contentent de la gratuité, les mesures de restriction de la circulation automobile étant politiquement plus difficiles à prendre : c’est pourtant par elles qu’il faut commencer car ce sont les plus efficaces et les moins coûteuses (sans argent, pas de tramway…).

  8. pedibus

    Parmi les « traceurs » d’une volonté politique locale favorable à un changement de pratiques de mobilité, avec un objectif (caché ?) de report au détriment de l’automobile, on pourrait attendre ceux correspondant à une faible intensité, c’est-à-dire quelques véléités de réformer l’organisation des modes de déplacement, ce qui concerne sans doute au moins quelques intercommunalités où les édiles craignent les conséquences électoralistes de mesures contraignantes, tout en considérant le réchauffement climatique et la santé publique (pandémie d’obésité liée à la motorisation individuelle en priorité) comme « ardentes obligations » du moment :

    parmi ces traceurs on pourrait traquer le kilométrage de lignes de bus des réseaux de TC bénéficiant de priorité aux feux, avec les objectifs en la matière, au même titre que le cumul des lignes bénéficiant d’une voie réservée…

    Il est quand même curieux que ce traceur/indicateur n’intéresse pas nos organismes officiels prescripteurs de conseil auprès des zélus et leurs techniciens :

    voit-on au CEREMA/CERTU une documentation sur la mise en place de cette priorité aux feux pour les bus urbains de province… ? des statistiques, un palmarès, une méthodologie de mise en oeuvre pour maîtriser l’acceptabilité sociale, la faisabilité politique… ?

    Ce point aveugle en dit déjà long, sans doute, sur l’encastrement idéologique du système socio technique automobile dans la culture de l’aménagement territorial français…

     

    A contrario, bien sûr, parmi nos « traceurs » idéologiques révélateurs d’une politique publique locale audacieuse, se trouveraient à l’autre bout de l’échelle du volontarisme politique :

    – le péage urbain;

    – la généralisation du stationnement réglementé à l’ensemble de l’intercommunalité incluse dans le périmètre de l’unité urbaine;

    – sa tarification en augmentation progressive;

    – la restriction de l’offre de stationnement;

    -la mise en place de vrais réseaux de TCSP et de RER/TER pour les plus grosses agglos…

     

  9. pedibus

    sans argent, pas de tramway

    Cette assertion est-elle vraiment bien documentée, en France comme à l’étranger, si on considére les seules ressources financières issues de la billeterie… ?

    Faut-il la prendre pour « argent comptant »… ?

    Si les difficultés de mise en place du péage urbain dans certaines agglos (Manchester par exemple) peuvent faire oublier le succès relatif de la poignée de villes norvégiennes et suédoises, pionnières en la matière, après Singapour, le stationnement payant généralisé et la capture partielle de la plus-value des cessions immobilières réalisées autour des lignes de TCSP ne pourraient-elles pas faire partie de la solution, pour faire advenir un aggiornamento de la pensée faussement « gestionnaire »… ?

  10. Jean Sivardière

    Il est évident que la seule contribution des usagers ne peut suffire à financer un tramway, elle sert d’abord à financer l’exploitation (à 30 % en moyenne). Les infrastructures de transport urbain doivent être financées par le versement transport des entreprises et la contribution des collectivités locales, donc le contribuable et l’automobiliste (hausse du coût du stationnement, péage urbain, fiscalité écologique).

  11. Vincent

    Jean Sivardière>  En pratique, les villes qui instaurent la gratuité se contentent de la gratuité, les mesures de restriction de la circulation automobile étant politiquement plus difficiles à prendre : c’est pourtant par elles qu’il faut commencer car ce sont les plus efficaces et les moins coûteuses (sans argent, pas de tramway…).

    Mettons-nous à la place d’un élu comme celui de Dunkerque : s’il est facile de se déplacer/garer, pourquoi vouloir réduire l’usage de la voiture?

    Vu le coût politique, quel intérêt peut-on en attendre?

  12. Héran

     
    La mobilité est un jeu à somme nulle : comme les citadins ne se déplacent en moyenne, dans les villes françaises comme ailleurs, qu’environ 3,5 à 4 fois par jour, dès que les autorités cherchent à promouvoir un mode de déplacement, cela se fait forcément au détriment d’autres modes de déplacement.
     
    De plus, contrairement à ce qu’on croit d’habitude, un changement de mode de déplacement (un « report modal ») se fait rarement du jour au lendemain sous la contrainte ou par conviction, mais le plus souvent à l’occasion d’un changement de mode de vie. On déménage, on trouve un emploi, la famille s’agrandit ou se réduit… et à cette occasion on reconsidère sa façon de se déplacer.
     
    Quand on s’interroge alors sur l’origine des nouveaux usagers d’un mode de déplacement, on comprend que certains modes vont forcément être plus concurrencés que d’autres. On peut parler de sensibilité de l’évolution d’un mode par rapport à l’évolution d’un autre mode.
     
    En particulier, lorsqu’on encourage les transports publics, ce sont d’abord les cyclistes qui vont être touchés, puis les piétons et beaucoup moins les automobilistes, toutes choses égales par ailleurs (c’est-à-dire sans politique de modération de la circulation automobile). Pourquoi ? Parce que les usagers des transports publics, en termes de publics concernés et de distances parcourues, sont beaucoup plus proches des cyclistes, puis des piétons que des automobilistes.
     
    Attention, pour mesurer une sensibilité, il ne faut pas raisonner en valeur absolue (comme le fait l’auteur du rapport), car cela n’a pas de sens. Si dans une ville il y a très peu de cyclistes, évidemment très peu de cyclistes prendront les transports publics que l’on cherche à encourager. En revanche, une part plus importante de cyclistes que d’automobilistes sera séduit par les transports publics. C’est exactement ce qu’on a observé à Châteauroux (voir mon article l’expliquant : http://heran.univ-lille1.fr/wp-content/uploads/Gratuite%CC%81-TC-ve%CC%81lo.pdf) et c’est bien là une « preuve scientifique » et pas une « hypothèse de chercheur ». Dommage qu’Henri Briche, l’auteur du rapport, n’ait pas cherché à me joindre pour mieux comprendre mes arguments et pour connaître mes travaux plus récents. Mais son rapport, commandité et financé par la Communauté urbaine ou son Agence d’urbanisme, pouvait-il être équilibré ?
     
    Rappelons enfin que la multiplication des bus est à la fois source de danger pour les cyclistes, d’une faible urbanité, coûteuse pour les finances locales, consommatrice de ressources et génératrice de dépendance pour l’usager.
     
    Pour conclure, la gratuité des bus à Dunkerque
    – au mieux limitera l’essor du vélo que l’on observe pourtant dans toutes les grandes villes du monde et de plus en plus aussi dans les villes moyennes,
    – au pire maintiendra les déplacements à vélo à un faible niveau, voire même les réduira.
    Quel dommage, dans une ville plate et à la taille du cycliste, à deux pas de la Flandre belge où le vélo est si développé !
     
    Frédéric Héran
     

  13. Jean Sivardière

    « Rappelons enfin que la multiplication des bus est à la fois source de danger pour les cyclistes, d’une faible urbanité, coûteuse pour les finances locales, consommatrice de ressources et génératrice de dépendance pour l’usager « .

    Je suis souvent d’accord avec Frédéric Héran, Mais cette critique des bus me semble déplacée. On sait aujourd’hui organiser correctement la coexistence entre bus et cyclistes, en prenant de l’espace sur la voiture ; et s’il y avait moins de bus, il y aurait encore plus de voitures, donc plus de dangers pour les cyclistes. Quant au coût du transport collectif pour le contribuable local, il est réel mais on peut le réduire en évitant d’encourager l’usage de la voiture. Et ce qui coûte cher à la collectivité, en termes d’accidents et de de santé publique, c’est d’abord le trafic automobile.

    Opposer transport collectif et vélo, et affirmer une soi-disant supériorité du vélo, n’a pas de sens : chacun a son créneau de pertinence, et on a besoin des deux pour réduire le rôle de la voiture en ville.

  14. Héran

    « Opposer transport collectif et vélo ». Je suis souvent d’accord avec Jean Sivardière, mais pourquoi ne peut-on pas comparer ces deux modes sans être immédiatement suspecté de vouloir déconsidérer les transports publics ? En fait, ces deux modes sont très complémentaires pour les longues distances, mais bel et bien en concurrence pour les courtes distances. Pourquoi ne pas l’admettre ?

  15. Jean Sivardière

    Bien sûr, le vélo et le transport collectif sont complémentaires, la FNAUT le dit depuis 40 ans. Mais pourquoi affirmer que le bus (ou le tramway) est dangereux pour le cycliste ? Ce n’est vrai que si l’espace disponible sur la voirie est mal partagé entre le bus, le vélo et… la voiture, ce qui est malheureusement souvent le cas – c’est sans doute ce qu’a voulu dire Frédéric Héran.

  16. Vincent

    Jean Sivardière > Mais pourquoi affirmer que le bus (ou le tramway) est dangereux pour le cycliste ? Ce n’est vrai que si l’espace disponible sur la voirie est mal partagé entre le bus, le vélo et… la voiture, ce qui est malheureusement souvent le cas

    Il suffit de voir le temps qu’en région parisienne, les compagnies de bus comme la RATP refusent d’ouvrir aux vélos les voies de bus en site propre pourtant aussi larges que boulevard Montparnasse dans Paris.

    Exemples : la D5 qui relie Paris à Vitry, ou la D87 Thiais-Créteil:

    https://s11.postimg.org/ucre8m3dv/Thiais.voie.bus.dediee.interdite.aux.cyclistes.png

    On préfère envoyer les cyclistes dans le trafic automobile. Génial.

  17. NioulGui

    Il suffit de voir le temps qu’en région parisienne, les compagnies de bus comme la RATP refusent d’ouvrir aux vélos les voies de bus en site propre pourtant aussi larges que boulevard Montparnasse dans Paris.

    Il ne faut pas généraliser un cas particulier (Paris) à toute la France

    Car au contraire, dans nombre de villes de France les couloir de bus sont autorisés aux cyclistes sans que ça ne se passe mal . À Grenoble et son agglo (700,000habitant) ou c’est le cas (couloir bus et vélo partagés) aucun accident grave n’a été a déplorer alors que la mesure est en place depuis plusieurs années . Les derniers cyclistes tués par des motorisés l’ont été par des camions ou des voitures malgré des infrastructures cyclables de bonne facture et qui ne cessent de progresser (en quantité et qualité) . Comme quoi en fonction des choix politiques réalisés on peut augmenter l’offre de TC autant que de « cyclabilité », sans que l’un ne mette la sécurité de l’autre en danger, tout en réduisant l’emprise de la voiture .

    Sinon pour rebondir sur les propos de Frédéric Héran concernant la concurrence entre bus et vélo : Dans mon cas de cycliste quotidien (mais je comprends ne pas être représentatif de l’ensemble des usagers, loin de là) j’avoue que les TC souffrent de la comparaison avec la petite reine, de fait je n’emprunte quasiment jamais ces premiers car il sont bien plus lents et m’imposent des horaires et des temps d’attentes . Fûssent ils gratuits que je ne les utiliserai pas davantage, car mes typologies de déplacement (courtes et moyennes distances, plusieurs fois par jour et pas uniquement un aller/retour quotidien) seraient assez compliquées en TC . Par ailleurs j’ai maintenant un velocargo biporteur donc les bus et les tram c’est vraiment épisodiques pour moi .

  18. Anne-Lise

    A Paris, un grand nombre de couloirs de bus sont autorisés aux cyclistes, et ce ne sont pas les bus qui posent le plus de problèmes aux cyclistes, mais le très grand nombre de taxis, véhicules individuels par excellence, qui les empruntent et qui y conduisent en terrain conquis. Les abords des gares parisiennes sont particulièrement symptomatiques de ce problème : on trouve parfois plus de trafic dans ces fameux couloirs réservés que sur la chaussée banale. Il faut avoir une fois descendu le Boulevard de l’Hôpital entre la Place d’Italie et la Gare d’Austerlitz aux heures de pointe pour vivre ce que je viens d’écrire, le cycliste a plutôt intérêt d’être vif et aguerri pour survivre entre bus, taxis, ambulances s’empressant sans pitié vers la Pitié…

    Je n’ai jamais compris qu’on autorise un transport individuel encombrant comme le taxi (qui pourrait être un transport collectif, mais ça ferait trop pays sous-développé, j’imagine) à emprunter une voie réservé aux transports collectifs.

  19. môman à vélo

    Merci de cet article qui corrobore parfaitement mon ressenti en temps que mère de famille.

    Si j’utilise le vélo la plupart du temps lorsque je me déplace seule, le donne change très vite lorsque je suis avec mes enfants (<8 ans) . Certains parcours ne sont plus accessibles à vélo parce que pas assez sécurisés pour des pitchounes et pour ces parcours là, je me pose à chaque fois la question : quel moyen de transport ? TC ou voiture ?

    Typiquement, pour emmener mon fils à la natation en TC il faut que je marche 15 minutes (ce qui se ferait en 5 min seule), puis que je paie 4 tickets (moi + 3 enfants), puis je pose mon grand (par chance la piscine a un arrêt de bus juste devant) puis que je repoinçonne 3 billets (pas d’aller-retour) et rebelotte 2 heures plus tard. ça fait en tout 14 tickets de TC soit 18€ ! C’est simplement hors de prix.

    Pour mettre plus de temps qu’en voiture, en plus.

    Pourtant, je déteste les voitures (sinon, je ne serai plus pas sur carfree 🙂 ) mais je dois avouer que dès qu’on doit se déplacer avec des enfants, le prix des TC augmente linéairement avec le nombre d’enfants et sont moins pratiques. Si ils étaient gratuits, je n’aurais effectué aucun des trajets piscine en bagnole, ça m’aurait incitée comme on dit.

    Et non, je n’aurais pas remplacé mes trajets vélo par des trajets en TC, jamais de la vie, on est top bien en vélo 🙂

  20. Héran

    Comme j’ai tenté de l’expliquer, le plus souvent ce ne sont pas les cyclistes existants qui renoncent au vélo pour adopter les transports publics devenus gratuits, mais les cyclistes potentiels : ceux qui se seraient mis logiquement au vélo, mais qui ne le feront pas parce que les transports publics deviennent gratuits. Par exemple, de nouveaux lycéens, des gens qui trouvent un emploi à portée de vélo, des personnes qui veulent faire leurs courses dans un centre commercial à 3 km, etc. Pourquoi acheter ou entretenir un vélo alors qu’il existe un transport public gratuit, se disent-ils ? La gratuité étouffe les velléités de se mettre au vélo, alors que pour des déplacements pas trop longs, c’est une solution qui n’a que des vertus pour tout le monde : la population comme la collectivité et même la société de transport public qui peut ainsi désaturer ses bus en zone dense pour les rendre plus fiables et plus attractifs à ceux qui en ont vraiment besoin sur des distances plus longues.

  21. pedibus

    La gratuité étouffe les velléités de se mettre au vélo, alors que pour des déplacements pas trop longs, c’est une solution qui n’a que des vertus pour tout le monde : la population comme la collectivité et même la société de transport public qui peut ainsi désaturer ses bus en zone dense pour les rendre plus fiables et plus attractifs à ceux qui en ont vraiment besoin sur des distances plus longues.

    Que dire pour le segment particulier des seniors, dont la part relative monte, monte, monte… ? Bien sûr le Danemark ou les Pays-Bas nous montrent des parts modales vélo de 20 à 30% chez les aînés : c’est encourageant relativement aux valeurs observées en France, suivant les tranches d’âge, lesquelles se succédent avec de profondes modificatins des pratiques. Il y a l’âge où l’on lâche le volant, avec une belle inflexion chez les septuagénaires. Mais il y a aussi en France cette facheuse tendance de la hausse du taux de motorisation des ménages seniors, avec un rattrapage des valeurs, jusqu’au niveau observé en Amérique du nord, où l’on considère « le marché comme mature »…

    On considère que les psychopathologies de dégénérescence sont la première cause de l’abandon de la conduite. Ce fait devrait permettre de réaliser un autre contre-feu face à une certaine propagande : cesser de voir la conduite automobile comme condition impérieuse pour conserver son autonomie, sa santé mentale, le lien social… Puisque l’urbanité de la ville dense permet la même chose, à vil prix, socio environnementalement, avec les modes alternatifs de déplacement. Entre la retraite et ce stade quoi faire, comment arbitrer entre marche, vélo, bagnole et TC… ? Ces derniers ne devraient-ils pas « provisionner » un « old shift » en démarrant dès maintenant la construction de vrais réseaux de TCSP lourds dans les plus grandes agglos, avec du tram, pour garantir le meilleur confort et la plus grande fréquence…? Ce qui profiterait au reste de la population, d’autant meux qu’on aura entre temps remis à sa juste place l’automobilisme en ville.

    Reste bien sûr, dans cet arc de cycle de vie, à opérer également la transition des mobilités chez les motorisés. Peu d’édiles joignent les actes à la parole en la matière, tout en considérant qu’il est impérieux (là encore…) d’assurer la capacité de mobilité chez les seniors. Pour souligner le caractère performatif de beaucoup de déclarations, documents et propagandes je laisse la possibilité de méditer sur les réelles intentions des élus. Avec comme illustration la situation bordélique bordelaise, sur la place du piéton sénior dans la cité, là où l’on ne dissuade nullement de se servir des trottoirs comme parking. Il s’agit d’une plaquette, au titre prometteur – « Guide. Les seniors dans la ville » -, où page 16 on cherche entre les lignes – en vain  – tout ce qui pourrait concerner la marche… :

    http://www.bordeaux.fr/images/ebx/fr/groupePiecesJointes/33066/29/pieceJointeSpec/136506/file/Guide-seniors_102014.pdf

    Alors qu’on vient de proclamer avec audace, en citant la marche en premier :

    « Vivre en ville, c’est pouvoir se déplacer en toute autonomie, à pied, en transports en commun, à vélo ou via tout autre mode de transport proche de son domicile comme le covoiturage. »

    Vraiment pas de quoi prendre son pied…

     

  22. pedibus

    Comme je n’ai pas réussi à faire revenir Frédéric Héran dans notre débat, voici une nouvelle tentative :

    Le transport en commun peut être une alternative potentiellement attrayante à la conduite pour les personnes âgées, en particulier pour ceux qui ne peuvent pas conduire en raison de la baisse de la santé. Un passage des automobiles à l’utilisation du transport en commun chez les personnes âgées pourrait être activé grâce à la programmation et aux incitations. Un exemple est le programme gratuit de bus / transit, qui est plus répandu en Europe et qui a récemment gagné en popularité au Canada et aux États-Unis. Dans cet article, des enquêtes (n = 131) et des entretiens semi-structurés (n = 16) ont été utilisés pour explorer le comportement et les expériences de voyage des personnes âgées liés à un programme de transit gratuit introduit récemment dans la municipalité de banlieue d’Oakville, en Ontario, au Canada. Les résultats des modèles de régression logistique suggèrent que les personnes âgées ayant des revenus inférieurs, ceux qui conduisent fréquemment et qui vivent plus près du centre-ville étaient plus susceptibles d’avoir bénéficié du programme de bus gratuit d’Oakville. Les raisons communes de l’utilisation du programme liées à la planification, la possibilité d’une interaction sociale, des économies financières et une diminution de la santé. Certains adultes plus âgés n’ont pas utilisé le programme parce qu’ils se sont aperçus que l’utilisation du bus était gênante. Les résultats de cette recherche font l’objet d’une recherche nord-américaine axée sur les impacts potentiels des programmes gratuits de transport en commun et de bus sur les personnes âgées et peuvent informer une planification et une politique favorables à l’âge dans les municipalités de banlieue.

    C’est du Translate Gougoule, mais ça pourrait nous faire percevoir quelques avantages de la gratuité des TC chez certains seniors, à certains endroits et dans certaines conditions…

     

    Source: Stephanie Mah et Raktim Mitra, »The effects of a free bus program on older adult travel behaviour : a case study of a canadian suburban municipality » (Les effets d’un programme de bus gratuit sur les comportements de voyage des adultes plus âgés: une étude de cas d’une municipalité de banlieue canadienne), 2017

     

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