OR NOIR La grande histoire du pétrole

Matthieu Auzanneau est l’auteur du blog « Oil Man, chroniques du début de la fin du pétrole, », publié par Le Monde depuis 2010. Journaliste spécialiste des questions à la croisée de l’économie et de l’écologie (Le Monde, Arte, « Envoyé Spécial », Terra Eco, etc.), il est en charge de la prospective au sein du Shift Project, groupe de réflexion sur la transition énergétique. Son ouvrage majeur de 882 pages intitulé « Or Noir – La grande histoire du pétrole » a été publié en version poche.

L’histoire de la puissance (économique, politique, militaire) est en premier ressort une histoire d’énergie : l’énergie nécessaire à l’effectuation (physique) de toute puissance. On s’est beaucoup battu autour, par et pour le pétrole au XXe siècle, lorsque cette source d’énergie abondante et pas chère surpassait encore de beaucoup les besoins d’une humanité technique en train d’éclore, grâce à cette source. Que se passera-t-il lorsque, tôt ou tard, de gré ou de force, cette source d’abondance nous fera défaut, inexorablement et de plus en plus ?

Pourquoi une histoire du pétrole ?

Parce qu’à l’entrée du musée chinois du pétrole est inscrite la phrase suivante :

« Le pétrole a une relation compacte avec la force politique, économique et militaire d’un pays. »

Parce qu’en 1917, afin d’appeler au secours Washington, capitale du pays de l’or noir, Georges Clémenceau écrivit :

« Si les Alliés ne veulent pas perdre la guerre, il faut que la France combattante, à l’heure du suprême choc germanique, possède l’essence aussi nécessaire que le sang dans les batailles de demain. »

Parce qu’à l’issue de la première guerre mondiale, Lord Curzon, grand homme d’Etat britannique, notait :

« On pourrait presque dire que la cause des Alliés a flotté jusqu’à la victoire sur une vague de pétrole. »

Parce que Calvin Coolidge, le président américain de ce qu’aux Etats-Unis on appelle les années vingt « rugissantes » (rugissantes comme le lion de la MGM ou comme les moteurs des automobiles) suggérait dès cette époque:

« Il est probable que la suprématie des nations puisse être déterminée par la possession du pétrole. »

Parce qu’en 1941, après avoir perdu la bataille d’Angleterre, durant laquelle les usines allemandes de carburant synthétique se révélèrent physiquement incapables de rivaliser avec la qualité du carburant offert par les sources de brut sans égales des Etats-Unis, Adolf Hitler fixait l’objectif de l’invasion de l’URSS en ces termes :

« Nous devons prendre possession des champs pétroliers du Caucase, puisque sans eux le combat aérien (…) contre l’Angleterre et l’Amérique est impossible. »

Parce que lorsque l’or noir fut découvert dans les sables de l’Algérie française, De Gaulle s’écria que ce pétrole pourrait « changer notre destin », à nous, Français. Parce que Pompidou, qui n’avait alors pas la moindre fonction politique exécutive mais se trouvait être directeur général de la banque Rothschild, fut dépêché par De Gaulle afin de mener face au FLN les négociations secrètes préliminaires aux accords d’Evian ; négociations au cours desquelles le pétrole du Sahara, contrôlé en bonne part par la banque Rothschild, constitua la pierre d’achoppement ultime. Parce qu’avec le quitus du général De Gaulle, les services secrets français ont fait durer la guerre du Biafra dans une monstrueuse tentative de ravir des concessions de brut aux pétroliers britanniques. Parce que la Françafrique.

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Parce que je me suis demandé en 2000, en 2001, en 2003 et en 2004 si les administrations Bush constituaient une singularité dans l’histoire américaine. Parce que la pseudo-nation irakienne, créée par l’Occident afin de mettre la main sur l’or noir de Mésopotamie, et qui détient aujourd’hui la dernière source sous-exploitée de « pétrole facile », s’enfonce dans un cauchemar archaïque post-moderne depuis plus d’une génération.

Parce que le climat.

Parce que Mad Max, c’est jamais, ou sinon, c’est pour quand ?

La Syrie a franchi son pic pétrolier en 1996. L’étiolement de ses ressources en énergie et en devises a largement participé au marasme économique de ce pays, marasme qui a abouti à l’exaspération d’une grande partie de la population, puis à la guerre civile. En mai 2008, le régime de Bachar Al-Assad dut réduire considérablement les subventions sur l’essence, qui absorbaient pas moins de 15 % du PIB ; le prix du carburant tripla du jour au lendemain, entraînant une forte inflation des prix agricoles. Etc. ?

Le Yemen a franchi un pic de production au début des années 2000. Ses extractions de brut ont depuis été divisées par trois, systématiquement ruinées (en même temps que les entrées de pétrodollars) par l’intransigeance des limites physiques. Concomitamment, les structures étatiques du Yemen s’effondrent, à mesure que le pays semble devoir s’enfoncer dans la guerre civile.

L’Algérie a elle aussi probablement franchi son propre pic pétrolier et gazier. Comme ailleurs (au Mexique, en Iran et au Venezuela, notamment), la faiblesse actuelle des cours du brut contribue à saper un « Etat providence » dont l’or noir permet d’acheter très cher la paix sociale à une jeunesse immense, autrement poussée à bout par l’oisiveté.

Et après ?

Une file de taxis chinois attendant pour faire le plein, en 2013.
La Chine est devenue le premier importateur de pétrole et le premier émetteur de gaz à effet de serre de la planète. Jusqu’à quand le réservoir du moteur
de la croissance mondiale pourra-t-il être rempli ? Et à quel prix ? © Reuters

Or noir
La grande histoire du pétrole
Matthieu AUZANNEAU
La Découverte Poche / Essais n°450
Version papier : 14 €
Version numérique : 12,99 €