« Ciel mon inOUI ! » ou la politique commerciale de la SNCF, anno 2017

inOUI est la nouvelle marque de SNCF Voyages, mais quel en sera le bienfait pour la collectivité ?

Dame, les services de communication de la SNCF ont encore bien bossé. L’annonce, au cœur du week-end de l’Ascension, de la nouvelle marque de TGV a fait un vacarme médiatique tel qu’a priori, tout le monde est au courant mis à part les nouveau-nés et les extraterrestres : oui, TGV devient inOUI. Mais à ce jour, ce qui est inouï, c’est surtout la volée de bois vert que la SNCF a reçue dans la presse et sur les réseaux sociaux.

Qu’il me soit permis, dans ce contexte, de trouver des vertus à la nouvelle marque : je trouve le visuel plutôt réussi, et plutôt astucieux le fait de pouvoir le lire dans les deux sens. Il échappe de plus à la maladie des temps modernes qu’est le surusage de l’anglais dans les concepts de marketing (enfin, pas complètement, la nouvelle attitude de service étant le I love TGV…). Par ailleurs, la couleur, qui s’accorde avec la livrée du matériel roulant (gris métallisé et mauve), m’apparaît bien plus agréable à l’œil que la livrée Lacroix et la forme l’est également plus que les courbes un peu mollassonnes du logo TGV.

Malheureusement, le problème ne se réduit pas à l’agrément de mes yeux. La liste de marques que la SNCF a lancées depuis quinze ans donne le tournis : Corail Téoz, Corail Lunéa, Corail Intercités (toutes trois devenues Intercités en 2010), idTGV, idNight, Ouigo, TGVPop, Izy, sans compter diverses créations marketing comme un nouveau logo, créé en 2005 puis relifté en 2011, et une nouvelle ambiance sonore en gare, créée en 2005 aussi avec un jingle décoiffant (voire agressif).

La question qui se pose est donc : la SNCF est-elle un exploitant ferroviaire ou une agence de rebranding ? Les deux mon général, répondrait probablement l’œcuménique Guillaume Pepy. Quoi qu’il en soit, cette marquite traduit la tendance à l’inflation des fonctions de communication, la volonté de caricaturer l’évolution vers une entreprise commerciale et de diluer l’aspect ferroviaire de la prestation dans un marketing aseptisé. Pourtant, le caractère éphémère de ces créations a de quoi inquiéter. Les marques, les logos qui marchent sont ceux qui durent : j’évoquerai l’écriture entrelacée de Coca-Cola, le trèfle d’Adidas, le carillon d’Europe 1. Cela devrait d’autant plus s’avérer dans une activité ferroviaire basée sur des investissements et des stratégies de long terme.

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La nouvelle marque se veut une déclinaison de la nouvelle stratégie qui vise à conquérir quinze millions de clients (oui, quinze millions) en TGV d’ici 2020, sur la lancée de ces derniers mois qui ont vu le trafic rebondir. Elle se veut le fer de lance d’un service à bord amélioré, promesse faite mille fois par les communicants depuis plus de quinze ans, malgré quoi, pendant ce temps, il n’y a toujours pas de voiture-bar dans les Intercités…

Malheureusement, cette politique d’astuce commerciale se heurte à la tendance au repli, chaque année plus marqué, sur le seul réseau de lignes à grande vitesse et à une singerie de plus en plus caricaturale du transport aérien : le dynamisme commercial apparent camoufle l’immobilisme ferroviaire réel.

A ce propos, le rapport annuel de SNCF Réseau pour l’année 2016 mesure l’évolution du trafic ferroviaire. Les chiffres (exprimés en trains-kilomètres, notion qui mesure le parcours des trains sur le réseau, indépendamment des voyageurs et des marchandises transportés) sont assez catastrophiques: sur un an, Fret SNCF accuse une baisse de 10 %, très partiellement compensée par une hausse de 2 % des opérateurs de fret alternatifs, Intercités baisse de 5%, TER de 0,3 %, Transilien de 0,4 % (ces chiffres excluent les éléments conjoncturels tels que les grèves ou les intempéries).

Que disent les communicants à ce sujet ? Rien.

Le trafic de TGV lui-même accuse une baisse de 2 %, malgré l’inauguration des 106 km de la LGV Est, du côté de Strasbourg. En 2016, le réseau à grande vitesse s’est donc allongé de 5 % en milieu d’année, soit de 2,5 % en moyenne annuelle, mais le trafic des trains à grande vitesse a baissé de 2 %.

A quoi bon construire de plus en plus de lignes, si c’est pour faire rouler de moins en moins de trains ? Au lieu d’amuser la galerie avec des marques gadgets, certains dirigeants, comme d’ailleurs les élus qui présentent ces lignes comme vitales, feraient bien de réfléchir à cette question.

Bien cordialement,

Vincent Doumayrou,
auteur de La Fracture ferroviaire, pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer,
Préface de Georges Ribeill. Les Editions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007.

https://blogs.mediapart.fr/vincent-doumayrou/blog

4 commentaires sur “« Ciel mon inOUI ! » ou la politique commerciale de la SNCF, anno 2017

  1. Bernard G.

    (à la manière du feuilleton Mission Impossible)

    « Bonjour Monsieur Pépy,

    Ce réseau, c’est celui des chemins de fer français. Il a bien fonctionné pendant des décennies, assurant la satisfaction d’une majorité de ses utilisateurs, la réputation de la France en matière ferroviaire, et générant même l’attachement passionné d’une grande partie de ses salariés.

    Votre mission, si vous l’acceptez, sera le démantèlement du réseau et de l’entreprise qui l’exploite, ainsi que la mise au rancart des syndicats professionnels.

    Bien entendu si vous même ou un de vos agents était pris pendant l’exécution de votre mission, le Ministère des Transports nierait avoir eu connaissance de vos agissements.

    Ce document s’autodétruira dans les cinq secondes ».

    [suivait un jingle bien connu]

  2. abil59

    La SNCF ferait mieux d’informer les voyageurs en cas de pépin ou de retard en répondant à des questions aussi simples que: Quand? Où? Quoi? par exemple. Et d’investir dans les lignes dites classiques. Merci d’avance

  3. pedibus

    On sent bien que cette entreprise n’a plus aucun avenir, incapable de se réformer et de comprendre son environnement. Les X ponts et pontes (!?) sont toujours aux manettes et mènent à folle allure vers le décor le train du désastre : indécrottablement techni centrés, s’entichant de la moindre technique – encore une … – mercatique, du yeald management pour la tarification, prenant les tgv pour des airbus sur rail, jusqu’au décervelage rase-motte de la sémiologie de bas-art…

    Finalement le pire ne serait peut être pas du côté du grand monopoly mondial, et tant pis pour le chauvinisme industriel ou serviciel, si un €uropéen rachetait ce beau bordel pour le faire marcher/rouler dans le bon sens, avec comme objectif directeur magistral l’intérêt socio environnemental d’un service des déplacements et du transport bien organisé…

  4. Vince

    Le SNCF bashing je veux bien, mais … excusez-moi, on est sur carfree, pas sur trainfree, ne nous trompons pas de cible.

    Il y a toujours mille excuses pour ne pas prendre le train et préférer la voiture : les trains sont en retard (parce que quand on circule sur une seule voie sur l’autoroute suite à des travaux on prends pas de retard), le vélo est difficile à monter dans le train, j’ai même lu ici quelqu’un ne prenant pas le train parce que la SNCF n’indique pas le quai par sms…

    Comme pour le vélo (il fait trop froid, il fait trop chaud, il pleut, j’ai des dossiers à emporter) toutes les raisons objectives du monde nous indiquent à ne pas prendre la voiture quand toutes les raisons subjectives nous poussent à la prendre.

    Donc je dis ne nous trompons pas de cible et n’oublions pas que nos ennemis (et nous mêmes) n’attendons que ça pour se conforter dans notre rôle d’automobilistes pollueurs et bruyants.

     

     

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