Week-end

Week-end est un film franco-italien réalisé par Jean-Luc Godard et sorti en 1967.

Dès la mise en production de Week-end, Jean-Luc Godard décrit son film en ces termes dans sa demande d’agrément au CNC (Centre national de la cinématographie): «En suivant un couple de jeunes cadres modernes sur la route, je voudrais montrer toutes les perversions, tous les dérèglements qui résultent de la forme d’hystérie collective qui s’empare des Parisiens munis d’automobiles dès le vendredi soir. Tout humanisme est tout à coup sacrifié à la tyrannie du “Dieu loisir”. Le voyage, commencé en apothéose, finira en tragi-comédie

Et cette civilisation des loisirs a son fétiche: l’automobile, ou plutôt la bagnole, tant Godard la maltraite.

Les deux « cadres modernes » sont joués par Mireille Darc et Jean Yanne qui s’en vont en week-end, par la route, un samedi de 1967. Contre toute attente, ce n’est pas Georges Lautner ou Gérard Pirès qui veille à leur destinée, mais Jean-Luc Godard, autant dire le diable en personne. Ce dernier vient de tourner sa Chinoise pré-68. Voilà qu’il transforme les populaires Darc et Yanne en emblèmes d’une certaine France gaulliste, à laquelle il ne fait aucun cadeau.

Week-end est ainsi un jeu de massacre ininterrompu autour de l’essor de la société des loisirs. Sur la route, ce ne sont qu’embouteillages monstres et accidents cauchemardesques, mais le couple d’arrogants nantis traverse cela dans l’indifférence, exprimant ainsi toute l’inhumanité du monde de la bagnole. Plus tard, ils trouvent en travers de leur chemin divers porte-parole de révolutions à venir ou passées, et ils apprennent à leurs dépens qu’« on ne peut dépasser l’horreur de la bourgeoisie que par plus d’horreur encore ».

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Le film n’a rien pourtant d’un de ces brûlots militants d’avant le déluge. Rien n’échappe à la dérision godardienne, même pas les contrepoisons au conformisme. Si Week-end est daté, c’est plutôt par sa (dé)construction antinarrative, désinvolte comme (presque) plus personne n’ose l’être aujourd’hui.

Ici, l’embouteillage devient un gigantesque cimetière. On s’y amuse parfois, en se jetant un ballon d’une voiture à l’autre ou en jouant aux échecs sur un plateau posé à même le bitume; mais on meurt, surtout, on agonise dans un fossé ou sur le bord de la route et du sang assombrit le goudron.

Les clairières du film sont parsemées de cadavres de métal, y compris celui de la voiture du cinéaste, qui massacre son Alfa-Romeo bleue à coup de masse. Des passants spectateurs, alignés devant un mur de publicités comme ceux d’un film, regardent leurs semblables agoniser, comme Jean Yanne écoute sans réagir Mireille Darc se faire violer, hors-champ, sur un bas-côté. Dans ce qui est peut-être la scène la plus marquante du film, la voiture du couple a un violent accident et l’image elle-même se coupe en deux comme un corps qu’on ampute, avant que l’actrice ne se précipite hors du véhicule en flammes en sanglotant cette réplique improvisée: «Mon sac! Mon sac de chez Hermès!»

Sources: Slate et Télérama