Les constructeurs automobiles

Les entreprises ont sans doute de bons côtés, mais nous savons tous qu’elles peuvent être profondément préjudiciables. Comme l’a dit Socrate : « Les êtres humains ne font pas le mal en connaissance de cause. » Alors, comment pouvons-nous nous retrouver avec trop de dettes et trop de grosses voitures?

La gouvernance d’entreprise pourrait être un bon point de départ. Parce qu’au plus haut niveau, les dirigeants de sociétés à but lucratif ont une obligation légale très particulière. Par-dessus tout, les conseils d’administration d’une société ont le devoir de maximiser la valeur pour leurs actionnaires. Et « valeur » ne signifie pas ici « bon sentiment »; cela signifie argent.

En d’autres termes, l’entreprise a l’obligation légale d’obtenir autant d’argent que possible de ses clients, à un coût minimal. Ils doivent manipuler les désirs de leurs clients pour qu’ils consomment le plus possible les produits de l’entreprise, sans égard aux autres conséquences.

Ce n’est ni controversé, ni nouveau, mais nous devons nous le rappeler régulièrement. Tous les gens à la tête d’une entreprise ne sont pas forcément des voyous incultes présentant des traits de psychopathes, mais, selon la loi, ils devraient l’être.

Il y a cependant ici une distinction importante à faire entre les grandes entreprises, comme les multinationales ou les constructeurs de voitures et l’entreprise privée en général – entreprise individuelle, entreprise familiale ou société de personnes. Ces entreprises recherchent également un rendement financier, mais leurs dirigeants ne sont pas obligés de faire du profit leur principale considération. Ils n’ont pas cette obligation primordiale envers les actionnaires, de sorte qu’ils se sentent souvent plus obligés envers leurs clients et leur collectivité.

Cette distinction tend à être perdue dans les arguments entre le secteur privé et le secteur public, ce qui a parfois de profondes conséquences.

Peut-être que l’opinion positive de Margaret Thatcher sur « le marché » était basée sur son expérience des affaires privées, comme l’épicerie de sa famille, et elle l’a traduite en soutien aux grandes entreprises, qui sont des bêtes fondamentalement différentes.

Mais la manière dont Thatcher a géré la privatisation de certains des principaux actifs publics du Royaume-Uni est également révélatrice. Parce que dans la plupart des cas, elle a reconnu qu’elle ne pouvait pas prendre ce risque sans imposer de grandes contraintes sur le fonctionnement de ces nouvelles sociétés privées. On a donc créé une multitude d’organismes de réglementation pour tenter de les contrôler.

En fait, la plupart des gouvernements ont tendance à suivre l’instinct de Thatcher plutôt que son idéologie; plus le service est précieux et essentiel, moins ils sont susceptibles de le confier à une entreprise. Ils savent que c’est comme demander à un alligator de faire du babysitting.

Alors, qui s’occupe réellement de nos intérêts les plus importants ?

L’éducation de nos enfants.
La création de nouvelles connaissances.
Nos magasins locaux, bureaux de poste, bibliothèques, cafés et pubs.
Notre traitement quand nous sommes malades.
Le maintien de l’ordre public.
Nos infrastructures de transport.
Notre service d’incendie.
Notre service d’enlèvement des ordures.
L’intendance de notre patrimoine.
L’offre de nos arts et de notre culture ; et sa création.
Notre service public de radio et de télévision.
Nos terrains de jeux, piscines et clubs sportifs locaux.
La défense de nos frontières.
La planification de nos villes.
Notre production alimentaire.
Nos croyances.
Notre planification et notre intervention en cas d’urgence.
Notre aide aux nations étrangères.
Le filet de sécurité sociale en cas de perte d’emploi.
Le filet de sécurité financière lorsque des entreprises trop grandes pour faire faillite, font faillite….
…et ainsi de suite, et ainsi de suite. Partout où vous regardez, toutes les activités les plus créatrices de valeur dans nos vies sont fournies par des organismes publics, des organismes de bienfaisance, de petites entreprises privées ou, à l’autre extrémité de l’échelle, simplement par des groupes bénévoles et des particuliers. Pas par les grandes entreprises ou autres multinationales.

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Il y a une sorte de légende urbaine qui dit depuis les années 1980 que les sociétés à but lucratif génèrent la richesse et que le secteur public et les particuliers la dépensent. Comme très souvent dans ce cas, c’est plutôt l’inverse qui est vrai.

Les sociétés à but lucratif travaillent généralement en marge de nos collectivités, tant sur le plan géographique que métaphorique, et se nourrissent de la valeur de la collectivité. Elles créent des demandes artificielles pour des produits inutiles, puis, en les surfacturant, les entreprises monétisent la valeur créée par d’autres, l’absorbent et la transmettent aux actionnaires comme profit. Ce n’est pas que ce sont de mauvaises personnes, c’est juste leur obligation légale.

Ça devient un peu abstrait. Laissez-moi vous donner des exemples. Imaginez que vous êtes prof de maths ou épicier. Vous travaillez à plein temps, vous créez beaucoup de valeur en utilisant vos connaissances et vos compétences pour transmettre la meilleure algèbre, ou les meilleurs légumes, à vos étudiants ou clients. Votre revenu est limité par les salaires de l’école ou par la concurrence locale.

Maintenant, tous les messages publicitaires et médiatiques disent que vous avez besoin d’une voiture. Et le monde semble avoir été conçu de cette façon. Vous achetez donc une magnifique voiture neuve à l’une des grandes sociétés automobiles, financée par un prêt d’une grande société bancaire. Vous payez votre prime à une grande compagnie d’assurance, remplissez la voiture de carburant d’une grande compagnie pétrolière et vous êtes prêt à partir. Vous vous sentez bien.

Mais d’ici peu, vous vous apercevrez que vous êtes obligés de convertir un jour et demi de votre temps de travail qualifié, chaque semaine, en argent comptant, afin d’honorer ces diverses obligations. Ce n’est pas si mal parce que vous aimez généralement beaucoup votre travail et que vous avez l’impression de faire quelque chose qui en vaut la peine. Ce que vous êtes. Vous créez de la valeur économique et sociale.

Mais vos compétences, vos connaissances et votre temps sont mystérieusement convertis en deux choses :
1. une grosse machine de haute technologie, dans le besoin, qui reste à l’arrêt 23 heures par jour, et
2. une bonne partie des bénéfices des entreprises.

Votre voiture n’est peut-être pas en mouvement car elle se trouve sur le parking, mais elle est occupée. Occupée à transformer une grande partie de la valeur que vous créez en dividendes sur actions payables à des gens que vous ne connaîtrez jamais. Des gens que même les constructeurs automobiles ne connaîtront jamais.

La voiture est une machine à voyager dans le temps; elle prend votre temps libre et, en faisant un rapide détour par les entreprises, elle le donne aux riches pour qu’ils l’utilisent à votre place.

Un commentaire sur “Les constructeurs automobiles

  1. vince

    Et le piège se referma sur nous.

    En résumé je suis prêt à payer, même beaucoup, mais uniquement à titre privatif et certainement pas pour le bien commun.

    Toute la vision sociétale se trouve déformée par ce biais : « l’Etat nous rackette » (mais l’Etat c’est nous, je suis riche si je vis dans un pays dans lequel l’Etat est riche et possède les moyens de son action), « le ministre s’en met plein les fouilles » (c’est à dire mes fouilles) etc…

    Et bien sûr seul l’Etat rackette, les entreprises privées ne rackette jamais, les banques ne rackette pas les Etats avec leurs prêts onéreux…

    Bref on se fait plumer mais pas par les bonnes personnes, pas par celles qui nous viennent en aide à longueur de journée.

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