Un an à la hauteur

Nouvelle région, nouvelle maison, nouvelle vie, nouveau boulot et toujours le même vélo. Caché dans la forêt, chaque matin, je vais rejoindre la cité pour y travailler. 300m de dénivelé, c’est la fête, mais faudra la remonter !

J’emménage au printemps, il fait beau, ça me laisse le temps de m’y habituer. 2 coups de pédales, et me v’là parti pour 4 km sans effort. Se pencher un peu dans les virages, contempler les paysages, ne pas se sentir en cage. Je croise peu de monde, un écureuil se réchauffe le corps sur le bitume, chauffé par le soleil du matin. Il me voit arriver, me regarde de ses grands yeux noisette, s’étire les pattes avant, puis les pattes arrière et va tranquillement rejoindre son hêtre. Je passe en le saluant. Ca l’amuse, tout comme la buse, qui, entendant du bruit, quitte son nid, et me suit pour me tenir compagnie jusqu’à apercevoir une souris.

Arrivé au 1er hameau, je croise un troupeau. Au milieu des moutons, les patous veillent. Ne faisant pas de différence entre loups et bicyclettes, ils embrayent. Malgré les barrières, j’accélère ! Et me voilà au village, plus que 10 km à fond, rejoindre l’Isère, regarder les hérons, la longer, pour atteindre, ô misère, le centre commercial. Le matin, les parkings tristement déserts, sont le seul paysage, lunaire, sans vie, symboles d’une destruction volontaire. Je dépasse cette zone sacrifiée et me voilà arrivé.

Fin de journée, chemin inverse, et maintenant c’est la montée, sous la chaleur de l’été. La gourde est pleine, pas besoin de s’arrêter à la fontaine, je peux quitter la plaine. Doucement, je grimpe. Je m’arrête de temps en temps, profiter de la fraîcheur d’un nant*.  Je salue quelques voisins, affairés à leur jardin, et rejoins la forêt. Encore un petit effort, j’arrive, même pas mort ! Juste une douche pour le réconfort. Sans problème, le soir, je dors.

La forêt rougeoie, les feuilles virevoltent, c’est l’automne. Parfois, il pleut, alors, tel un super héros, j’enfile ma cape et affronte les éléments. Retour par la voie verte, même pas la trouille en voyant, au sol, les douilles, laissées par les chasseurs, qui, entre un sanglier et un vélotaffeur, ne ferait jamais d’erreur ! Les jours raccourcissent, arrivé au village, la montée sera nocturne. Le spectacle change. Je vois les buissons en mouvement, j’entends un reniflement. Un animal, tranquille, cherche à manger. C’est un blaireau, que désormais, je croiserai chaque soir à vélo. Je lève les yeux, et vois sortir de la forêt 2 jeunes chevreuils qui s’amusent au milieu de la pâture. En remontant, j’ai le temps d’admirer ces taches jaunes et noires, qui décorent le bitume. De leurs pas lents, elles n’ont pu éviter les enclumes. Les salamandres, bien que protégées, disparaissent sous le poids des voitures. A vélo, je peux m’arrêter, observer ces antiques divinités de la forêt, d’un autre temps, où elles inspiraient le respect.

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En toute saison, mon trajet se fait les yeux rivés au paysage. Le même chemin m’offre chaque jour un nouvel émerveillement. Les nuages cachent, enveloppent ou s’étendent le long des roches. Ils inspectent des recoins puis ressortent. Les roches deviennent cheminées. Les nuages se transforment en cascades. Ce matin, je glisse vers la mer de nuages, et me laisse avaler par sa brume matinale, qui me rendra, bien plus tard, le paysage. Les jeux de lumières mettent en perspectives, chaque jour, une nouvelle vision de la montagne. Un massif dépose son ombre sur son voisin d’en face. Des reliefs se détachent du massif. La roche devient vivante, se fait caméléon.

Puis, un voile blanc tombe, doucement, avec subtilité, sur les sommets. Hésitant, il disparaitra pour mieux revenir. Plus épais, plus imposant. Et, sans s’en rendre compte la montagne a revêtu son manteau blanc, jusqu’au prochain printemps. Il est temps pour le biclou de chausser ses clous. Je ne sors pas la pelle à neige, n’attends pas le chasse-neige, c’est parti. Prudence dans les virages ! Arrivé sur le plat, passage à une vitesse normale. La voie verte est devenue blanche, aucun chasse-neige ne s’y aventure l’hiver. Le tapis blanc raconte l’histoire de la matinée : quelques piétons y ont promené leur chien, un vélo s’y est aventuré et 2 voitures, seulement, l’ont emprunté. Spécificité locale, la voie verte est ouverte aux véhicules motorisés. La neige permet aux cyclistes de retrouver une piste apaisée.

La période neigeuse laisse sa place à un moment de froid. Le paysage se cristallise, l’équipement est de mise. Manteau de ski, chapka fourrée, et double épaisseur de gants, prêt à partir, il est temps ! Mon visage se crispe, j’enfile aussi l’écharpe et m’échappe. Dans la descente, je pleure, les larmes gèlent en atteignant ma barbe de stalactites. Arrivé en bas, je m’arrête prendre des nouvelles du bout de mes doigts, tout en regardant la vapeur se dégageant des naseaux équins, qui apportera bonheur à mes mains. Réchauffé après ce court câlin, je repars. Fini le froid, je pédale, enclenche le chauffage central, diffusant du bout des doigts jusqu’à la partie cérébrale, un sang chaud, voire bouillonnant.

Malgré la neige, le courrier arrive avec ses nouvelles, que l’on n’attend pas toujours. Le propriétaire nous met dehors. Finis le dénivelé et ses efforts. Il faut qu’on déménage, encore. Faut avouer, la montée, tous les jours, ça pique ! Plutôt que d’acheter un vélo électrique, on redescend, plus près de la vallée, plus près du village, mais toujours à la campagne. J’en ai parfois bavé dans la montée, souvent  haleté, toujours arrivé en sueur, oui, c’était dur, mais il aurait pu m’arriver pire, aller bosser en voiture !

Nant* : Ruisseau ou torrent en Savoie

7 commentaires sur “Un an à la hauteur

  1. Pierre

    Superbe pour un non imberbe !
    Sauf les Salamandres les voitures sur la piste verte et aller au boulot plutôt que vivre sans aller au boulot ce qui est plus rigolo !

  2. hochholzer

    Bonjour je me sens beaucoup mieux maintenant que je peux lire des articles de gens se battant pour le droit le plus fondamentale de l’être humain, celui de respirer de l’air pure.

    Merci tout simplement

     

    HOCHHOLZER Lena

  3. Dominique

    Il est temps pour le biclou de chausser les clous lol

    Bon récit poétique,

    Après un texte comme ça, la montagne ça vous gagne encore plus

    Cepea and velo 😉

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