Publicité automobile: des paysages à couper le souffle

En 2012, en France, le tribunal de grande instance de Nanterre avait décrété que présenter un véhicule en pleine nature, hors du domaine routier, sur un support publicitaire était contraire à la loi, car cela promeut un comportement illicite. Plus récemment en Suisse, en mai 2018, une pétition vaudoise demandait de bannir les publicités pour les voitures polluantes de type SUV.

Force est de constater qu’en 2019, les affiches publicitaires présentant un engin généreusement motorisé, arpentant souvent à grande vitesse et en toute solitude un lacet de bitume au milieu d’un paysage vierge et isolé sont encore omniprésentes. Cette image d’idéal automobile est pourtant éloignée de la réalité quotidienne du pendulaire, à l’heure où celui-ci passe en moyenne plus de 30 heures[1] par an dans des embouteillages en Suisse. Elle occulte surtout le fait que les cieux clairs, les lacs d’eau pure et les prairies verdoyantes présentées sur ces affiches sont en de maints endroits menacés justement par l’extension des réseaux routiers, l’extraction des matières premières englouties par l’industrie automobile, et évidemment les atteintes causées par le prélèvement et l’utilisation de carburants fossiles. Un paradoxe que les marques s’affairent pourtant à dissimuler derrière ces montages-photo idylliques.

En effet, depuis la fin du XXè siècle, la délocalisation des industries sales vers les pays du Sud a permis de soustraire à notre regard le véritable coût de la folie automobile. Ce que la population occidentale acceptait encore de subir comme nuisances à l’époque de la révolution industrielle et durant une partie du siècle dernier serait aujourd’hui intolérable sous nos latitudes. Cela, l’économie l’a bien compris, et s’évertue à couper le lien entre le produit fini et son coût de production environnemental et social. Peu de gens savent, par exemple, que près de la moitié [45% en 2017[2]] du pétrole brut que la Suisse importe provient du Nigéria, et que lors de chaque plein ils financent un état au régime corrompu et impuissant qui a laissé les compagnies pétrolières souiller le Delta du Niger par des déversements de pétrole à hauteur de 55 millions de litres[3], détruisant irrémédiablement une magnifique mangrove sur une surface grande comme le Portugal. Quant au peuple nigérian, il ne bénéfice en rien des revenus pétroliers.

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Dissocié ainsi de son côté sombre mais pourtant bien réel, de ces haut-fourneaux et de ces sites d’extraction pollués mais heureusement lointains que nos yeux ne sauraient voir, le véhicule de l’affiche peut ainsi être idéalisé en tant qu’objet de liberté en parfaite symbiose avec un environnement naturel que la culture automobile a pourtant contribué à détruire partout sur la planète. En réalité, le Delta africain, tout comme ces collines rocailleuses ou ces pentes enneigées se passeraient bien de la présence de votre SUV et de son empreinte dominatrice.

A l’heure où l’utilisation de la voiture individuelle est remise en question dans notre quotidien, l’image que renvoie ce genre de publicités a un effet pervers bien au-delà de celui de doper la vente d’engins motorisés : elle réconforte l’automobiliste en normalisant un comportement de mobilité nuisible au milieu naturel et à toutes les espèces y vivant, humain y compris. Il serait donc temps, enfin, de les ôter de notre vue, car si ces affiches coupent le souffle, c’est d’avantage par la hausse des émissions de gaz qu’elles provoquent que par la splendeur des panoramas qu’elles exposent.

Quand avez-vous vu pour la dernière fois une affiche publicitaire pour un vélo…?

Article écrit par Sylvain Croset pour le site https://www.mobilite-respectueuse.ch/ qui propose une pétition contre les véhicules surdimensionnés à Lausanne en Suisse.

Notes

[1] https://www.arcinfo.ch/articles/suisse/le-temps-passe-dans-les-bouchons-augmentent-en-suisse-513668
[2] https://www.erdoel.ch/fr/actualites-medias/actualite/598-d-ou-vient-le-petrole-brut
[3] https://www.amnesty.ch/fr/pays/afrique/nigeria/docs/2015/pollution-petroliere-les-fausses-declarations-de-shell#

4 commentaires sur “Publicité automobile: des paysages à couper le souffle

  1. Jeanne à vélo

    La pub moderne vend du désir et rien d’autre (ce qui aboutit à beaucoup de frustration).

  2. vince

    La nature est l’amie de la voiture, mais la voiture n’est pas l’amie de la nature.

  3. Françoise

    Et que dire des publicités télévisées ! Notamment sur la 8. Il est en effet devenu à la mode d’utiliser la nature pour vendre des voitures. C’est le comble de l’indécence !

  4. vince

    Il n’y a pas que dans les pubs que Dame Nature est débarrassée de ces bouchons et échangeurs moches.

    Dans les clips la ville ressemble à un village sans voiture (Capeo Vianney Julien doré louane etc etc )

    Dans les émissions touristiques,Des racines & des ailes, j’irais dormir chez vous, échappées belles..

     

    Je viens de regarder échappées belles sur St-Jacques de Compostelle c’est effarant : on croirait qu’on peut traverser la France de jolis villages en villages sans croiser une tire.

    Myth vs Reality

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