Jour de fête (Jacques Tati, cinéaste vélorutionnaire, partie 1)

Toute son oeuvre, Jacques Tati l’a consacrée au rire. Mais ses films Jour de fête, Les vacances de monsieur Hulot, Mon oncle, Playtime, Trafic critiquent aussi la modernité. Contre le culte de la croissance économique, le système technicien, la « performance », la vitesse, le prétendu « progrès », il oppose la résistance conviviale. Voici une série d’articles sur les longs métrages d’un cinéaste à contre-courant de l’optimisme béat des Trente Glorieuses.

Un tracteur tire une roulotte et une remorque. Ce sont des forains qui débarquent à Sainte-Sévère, village berrichon. Dans les champs, les paysans s’arrêtent pour regarder passer l’attelage, et une bande grossissante d’enfants court joyeusement derrière.

Sur la place centrale du bourg, la vie s’écoule paisiblement. Ici, on profite du présent, on va boire des canons au bistrot, des commères observent et commentent, à l’affût.

Françoué, le facteur, fait sa tournée en bicyclette sur les pistes non asphaltées de la campagne. A l’inverse des postiers pressés d’aujourd’hui, il discute avec tout le monde, rigolard, lève le coude de temps à autre, prend son temps, rend des services, danse… Une franche camaraderie règne.

Place à la fête, que la municipalité a prévue depuis un an. Fanfare, chamboule-tout, manège, tir à la carabine… Et cinéma. « François, viens voir, y a un film sur la poste en Amérique ! » L’assistance est impressionnée par les images des postmen yankee, que « rien n’arrête » dixit la voix enjouée du commentateur. Tout est mécanisé, le courrier est trié automatiquement, des hélicos et avions l’acheminent sur-le-champ. Le personnel est musclé, entraîné, performant, capable de sauter à moto et de traverser des obstacles en feu. Vivent les Etats-Unis, « à l’avant-garde du progrès ». « Rapidité, régularité = efficacité ! », « time is money » !

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Le facteur à vélo retourne réparer sa chambre à air crevée, détaché de cette agitation tapageuse. Chambrés par les spectateurs, le pauvre François noie son chagrin dans l’alcool. Bourré comme une huître, il se défend en titubant, « va donc hé inegliche ». Lui et les charrettes qui circulent dans les rues, c’est rétrograde. Une bagnole vrombissante, klaxonnante, qui soulève des nuages de poussière en effrayant les passants, ça c’est l’incarnation de la modernité.

Qu’à cela ne tienne ! Le lendemain, dégrisé, il enfourche sa bicyclette, bien décidé à montrer de quoi il est capable. Rapidité, rapidité, il pédale comme un forcené. Droit comme un I sur sa bécane, il dépasse des coureurs cyclistes tête dans le guidon et bouche ouverte, saute de son vélo, distribue les lettres à la volée. Pour finir dans une rivière après avoir raté un virage.

Finalement, on a ben l’temps.

Pierre Thiesset
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