Mon oncle (Jacques Tati, cinéaste vélorutionnaire, partie 3)

Troisième volet de la série Tati : Mon Oncle (1958).

Des marteaux piqueurs font un barouf assourdissant. Les ouvriers s’échinent sur le chantier, usés. Les grues élèvent des immeubles immenses. La cité laide, sans âme, se déroule. Le béton s’étale. Des feux rouges sont plantés pour contrôler les flux de bagnoles.

Juste à côté, rongé par la lèpre des Trente Glorieuses, des Gaulois résistent encore et toujours dans un quartier plein de charme. Contrairement à la grisaille des grands ensembles, ici il y a de la couleur. Contrairement au vide des immeubles-parkings-routes, ici il y a de la vie. La place centrale accueille un marché. Les bistrots sont fournis, les gens se rencontrent, discutent dans la rue. Ce « lien social » dont on déplore aujourd’hui la perte et qu’on tente de recréer artificiellement subsiste, spontané.

Hulot, l’homme éternellement détaché, tête en l’air, distrait, flâne à pied ou en Solex. Il écoute le chant des oiseaux et plaisante avec la voisine.

Sa soeur et son beauf vivent dans le quartier gris. Il est cadre, elle est femme au foyer et passe ses journées à nettoyer une maison aseptisée. Dans le jardin taillé au couteau, il faut mettre ses pieds aux endroits indiqués, surtout ne pas déborder. Les arrivistes obsessionnels sont en constante représentation. Ils veulent se faire passer pour des bourgeois. Quand quelqu’un arrive il faut activer un jet d’eau, pour parader.

La « maîtresse de maison » puante se la raconte devant les invitées. Elle se vante de son air conditionné, de sa cuisine délirante, toute automatique. Tout bipe, tout est robotisé. Même l’aspirateur fonctionne tout seul. Les portes sont électriques, le rasoir est électrique, il n’y a que des machines. Tout est artificiel, du toc, du faux, jusqu’aux fleurs en plastique. « Mais ça fait vide », commente une invitée en voyant le salon austère. « C’est moderne », rétorque la néo-bourgeoise.

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Le fiston veut fuir cette non-vie. Il en a marre de sa mère castratrice qui lui fait reproche sur reproche, lave-toi les mains, frotte tes semelles, prends une douche, apprends tes leçons. Il en a marre de son père absent, qui rentre tard le soir de son boulot pour se vautrer devant la télé avec bobonne, toujours la même émission. Ils ne se côtoient que dans la voiture, quand il faut sortir la grosse machine puissante du garage pour rejoindre les files de bagnoles toutes conformes, uniformes, alignées. Un troupeau mécanique bien docile, qui s’arrête au feu rouge, suit les flèches, se gare là où c’est indiqué, s’énerve et klaxonne pour un rien. Tous les jours, le père dépose son gamin dans une école au logo et à l’architecture comparables à une usine, avant de rejoindre sa boîte Plastac pour produire des kilomètres de tuyaux en plastoc.

Toujours le même emploi du non-temps. Répétition, monotonie.

L’enfant, lui, veut s’amuser. Après les cours, il rejoint une bande de gavroches pour jouer, créer, se marrer. Et il aime son oncle. Mauvaise influence, s’inquiètent les parents, qui préféreraient voir leur rejeton enfermé à lire des manuels scolaires. Ils tentent alors de remettre Hulot dans le droit chemin : travail, famille, pavillon.

Echec. Hulot préfère l’amitié aux objets. La modernité, il la jette comme un allume-cigare, par la fenêtre.

Pierre Thiesset
http://pedaleurop.over-blog.com/

2 commentaires sur “Mon oncle (Jacques Tati, cinéaste vélorutionnaire, partie 3)

  1. Lydie

    En 2019 le monde n’a pas changé. L’industrie (Bouygues, Renault, Legrand etc…) planche sur la smart city pour contrecarré google Apple et d’autre. les industriels souhaitent surtout maintenir coûte que coûte leur modèle de société qu’ils défendent. Sous le sceau de la mobilité il nous prévoit un environnement complètement aseptisé, numérisé ou l’homme ne sera plus qu’une machine ou un « poulet de batterie ». Plus de 50% de la population applaudit!!!!

    Que préparent t’ils dans notre dos? Ils ont pris les pleins pouvoir avec l’assentiment des ministères des collectivités locales, des hommes politiques ?  L’automobile sera encore plus hégémonique dans nos déplacements ainsi que dans notre vie quotidienne. Ils œuvrent pour rendre la voiture indispensable comme réserve énergétique tampon dans notre vie quotidienne. La cité sera bien sûr entièrement à énergie électrique (verte). Ces industriels sont très malins en liant le numérique, l’énergétique, la mobilité. Ils bannissent le low-tech vers lequel nous devrions tous tendre. Ces riches industries mobilisent des réserves financières colossales (impôts, subventions, crédits) pris sur le dos des citoyens. Ils font fi des ressources de la terre, du bien être des humains. Ils ne pensent qu’à une chose le lucre tout le contraire de Mr HULOT.

    Comment arriverons nous à enclencher un cercle vertueux tant que les financiers, les assureurs, les industriels ne seront pas convaincus du bien fondé de cette transformation de notre mode de penser d’agir vers lequel nous devons tous tendre? Que se passe t’il dans nos sociétés (soit-disantes développées) pour qu’aucun sursaut ne se fasse. Nous restons une petite minorité avec peu de moyen pour agir dans le bon sens et le bien commun. A quand le sursaut collectif pour que nous devenions une majorité agissante pour le bien-être de toutes les générations et la planète.

    Merci par avance des actions, des réponses mais sans doute suis-je utopique avec mes propres contradictions.

  2. Mat B

    On n’en parle pas assez de la mort des bistrots. Ayant vécu entre campagne et ville, le choc fut assourdissant. Du troquet baby foot, on passe au bar lounge avec videur à l’entrée. Du juke box 45t on passe au beat numerique samplé en boucle. Du diabolo fraise on passe à Mister Cocktail. Pas besoin de film pour s’en rendre compte.

    A présent, quand on tourne un film, on dit encore moteur, ça tourne, action!

    Ah p’tre pas avec Tati vu que tout le son est en désynchro. C’est ça la magie du cinéma, on change le son et on devient visionnaire. Manquerai plus de changer l’image… à bon entendeur.

    Vivement Parade

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