Au pays des lumières

On vit au pays des lumières, on ne peut s’y tromper, à voir tous ces illuminés, lancés à pleine vitesse, plein phare, pour vous éclater jusque sous les paupières. La lumière, déesse de notre société aveugle, où chaque automobiliste beugle, sur ces inconscients, qui n’ont pas remisé leur biclou au garage au moment de l’hiver. Lorsque la situation l’exige, l’automobiliste, lui, sait s’affubler de ce ridicule gilet jaune. Prix du pétrole oblige!

Tout le monde le sait, le comportement cycliste est suicidaire. Il ne peut se plaindre de finir face contre terre, ce n’est pas la faute à Voltaire. Il n’a pas peur, il fait le beau, c’est l’ascenseur pour l’échafaud. L’automobiliste ne veut, bien sûr, pas provoquer le pire, mais le choix est dur, c’est ça ou ralentir. Alors on enguirlande ces sombres héros des routes hivernales, qui pourtant, ne font pas de mal, mais ont un des plus grands défauts, être là !

Si tu finis dans le ruisseau, c’est pas la faute à Rousseau, mais surement celle à l’auto ou à l’ophtalmo. Viendra surement le temps où l’on demandera aussi aux animaux de s’adapter au pays des lumières. Et si le sanglier en faisait exprès de traverser la nuit sous son pelage foncé ? Faut reconnaître que c’est une tête de cochon ! La salamandre, plutôt partagée entre le noir et le jaune, n’échappe pas à l’aveuglement du conducteur, et finit partagée, entre les 2 côtés de la chaussée. Quelques vers luisants éclairent, discrètement, des talus résistants encore à la bitumisation de notre e-monde.

S’habiller en noir, circuler dans les zones sombres, est un comportement de criminel. Se déplacer telle une ombre, permet juste de se faire la belle. Le cycliste cherche, surement, à s’extirper de ce monde irréel, ressemblant à un circuit de poubelles, courant derrière leur propre lumière. Tel un spectre, il hante les routes, terrifiant l’automobiliste, le mettant en déroute, le sortant de ses songes où l’ont porté les enseignes publicitaires, avec leur message mortifère, bien mis en lumières.

Mais pas d’inquiétude, la police veille, tout comme ses lampadaires inutiles, dont la seule présence rassure. Malgré votre éclairage, et tout votre attirail, réfléchissant bien plus que ces hommes uniformisés, elle vous sort de votre nocturne solitude, pour vous rappeler la morale, qui interdit tout comportement pas banal. Sortir de nuit à bicyclette n’est pas prudent, dit le gendarme, qui s’invente ses lois et vous impose un couvre-feu. De danger, je n’en ai pourtant pas croisé, pas de voiture, parfois un chien errant, ou des sangliers gambadant dans les champs. La nuit, le seul risque, c’est de sortir de leur hébétude ces hommes en bleu, qui malheureusement, par habitude, portent des armes à feu.

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Sans crier « mort aux vaches », afin de ne pas heurter celles qui ruminaient cette scène, je poursuis mon trajet de retour, et disserte avec ces bêtes à corne, qui n’avaient croisé cette faune affublée de gilets jaunes, que lorsqu’elles broutaient près du péage.

« Meuh ! Que fais-tu déguisé en accroc de l’embouteillage ? me meugla la tarine.

– je dois la jouer fine, si je ne brille, c’est peine de mort, par écrasement, sans autre forme de jugement. C’est ce qu’ils appellent le bon sens.

– Oh la vache ! Elle est belle la France ! Quelle bande de couards ! Ça doit ressembler à ça un abattoir ! s’offusqua l’abondance. Je te souhaite bonne route !

– Bonne broute ! lui répondis-je en repartant.

Avant d’arriver au bout du chemin, dans ma maison, où règne la fée électricité, je croise, dans de sombres voies peu éclairées de campagne, les créatures de la nuit, fuyant l’éclairage, se réfugiant dans ce qu’il reste de sauvage. Lièvres, chouettes, blaireaux, feu-follets, korrigans, courent les champs, dès que la nuit, signe de vie, arrive. Et se cachent au premier signe de la faucheuse, qui se reconnait à son bruit de pétroleuse.

La nuit n’est pas dangereuse, la lumière pas nécessaire, s’il n’y a pas tous ces chauffards fonçant en plein phare, déboulant plein de rage, détruisant la tranquillité de nos villages.

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