Déconfinement : la Dé-Mobilité pour lutter contre le Covid-19

Le déconfinement prévu le 11 mai ne peut être réussi qu’à la condition d’une exceptionnelle stratégie de dé-mobilité urbaine: prolonger les formes nouvelles de télétravail et de diminution de la mobilité, avec la participation des entreprises et des administrations.

Dans moins d’un mois, notre pays sortira graduellement du confinement avec la réouverture des écoles, d’un certain nombre de commerces et le redémarrage de nombreuses activités professionnelles: gagner de quoi vivre et contribuer à la remise en route de l’activité productive. Soulagement indéniable pour des parents, nécessité éducative et sociale pour les familles les plus démunis, enjeu financier et économique pour la nation, mais aussi angoisse et défiance pour une partie importante de la population considérant les risques sanitaires… La France est devant une page blanche: comment inventer collectivement une stratégie intelligente de reprise graduelle de l’activité?

De multiples questions sont posées, et parmi celle-ci, la question de la mobilité est l’une des plus ardues. Par définition, le confinement a été une réduction drastique des déplacements qui se sont réduits au strict nécessaire pour le fonctionnement du pays: Les personnels sanitaires, les services urbains vitaux, l’acheminement des denrées alimentaires dans les magasins de première nécessité.

Demain, il s’agit de reprendre progressivement sans rajouter des facteurs importants de propagation de l’épidémie. Autant dire que dans le cas des villes ou les transports publics restent un moyen essentiel de déplacement, l’enjeu est posé: Le fonctionnement aux heures de pointe des métros, bus, trams et RER-TER avec des personnes compressés n’est pas compatible –même avec des masques- avec la non-propagation du Covid19.

Le scénario du pire

Il faut donc inventer d’autres stratégies: La première vient à l’évidence, le report massif sur l’automobile, pour confiner le conducteur dans sa bulle personnelle et éviter la contamination. Les premiers indicateurs vus sur les villes chinoises montrent cette tendance. Sauf que cette « option » excepté les quelques premiers jours de remise en marche du pays n’en est pas une. Pourquoi?

Parce ce qu’elle présente des risques sanitaires, écologiques et finalement d’ordre public majeur impossible à prendre dans un moment ou une pandémie plane sur le pays en particulier dans les grandes agglomérations du pays.

En effet, un report important (ne serait-ce de 20 à 30 % des usages du transport en commun) sur la voiture engendrerait un processus mortifère: un niveau d’envahissement de l’espace public inédit générateur de congestion, d’embouteillages majeurs et d’une vitesse de déplacement effondrée. Tout cela générerait une pollution atmosphérique majeure et la mise en danger des personnes fragiles, enfants, personnes âgées, asthmatiques….

Cette pollution exercerait à son tour un effet sur l’épidémie de Covid-19: un certain nombre d’études scientifiques ont démontré le lien entre pollution atmosphérique et épidémie virale, lien à la fois sur le long terme par accroissement des fragilités de ces fonctions respiratoires mais aussi immédiat par production massive de particules pouvant être le vecteur de transmission du virus.

Ce recours massif à l’automobile et au deux-roues motorisés engagerait au moins dans les parties denses des grandes villes une bataille de l’espace public entre piétons, cyclistes notamment qui pourrait rapidement dégénérer en anarchie urbaine ou la loi du plus fort rendrait invivable la coexistence des modes de déplacements dans la ville.

Par ailleurs, même avec un report de 20 ou 30 % vers la voiture, une grande partie de la population continuerait à prendre des transports collectifs largement saturés, donc dans des conditions qui ne permettraient pas de garantir des distances de sécurité et qui donc poseraient un risque sanitaire majeur en encourageant les contaminations.

Les limites du scénario vélo

Ce scénario du pire, assez probable en l’état, n’est pas tenable. Il faut donc inventer des stratégies alternatives puissantes qui dès le 11 mai changent la donne. Pour nous, acteurs de la mobilité, le vélo doit être un élément clé de ces stratégies.

Toutefois, le vélo n’est une alternative que pour certaines populations, pour certains trajets, et dans certaines proportions. Ce n’est pas une baguette magique qui permettra de se substituer au tout-voiture dans toutes les conditions. Par ailleurs, même avec la création rapide de nouvelles pistes cyclables au travers de « l’urbanisme tactique », (cf. supra), le vélo ne pourra absorber qu’une partie de ces déplacements.

La Dé-Mobilité – Une réduction massive de la mobilité urbaine

En conséquence de cela, un objectif fondamental, à mettre en place dès le 11 mai est simple: réduire drastiquement la quantité de déplacements, ce que nous appelons la dé-mobilité.

Ces déplacements sont générés par un mode de fonctionnement antérieur, dans des villes considérant ces déplacements comme une variable d’ajustement marginale nécessaire et comme un signe de bonne santé économique. Mais la congestion des transports en commun et des grandes voiries urbaines doivent passer de la normalité à l’inacceptable.

Pour cela, il s’agit de déployer les principes de dé-mobilité généralisée:

– Usage du télétravail massif (pour ceux dont le poste de travail le permet) et organisation du temps de travail pour minimiser la quantité hebdomadaire de déplacement

– Aménagement des horaires d’ouverture des établissements scolaires et des entreprises sur de grandes plages pour lisser les pointes du matin et de fin de journée

– Organisation de l’ensemble des acteurs de la logistique pour rationaliser les livraisons et diviser par 3 ou 4 les kilomètres parcourus grâce à des tournées optimisées

– Changement radical d’organisation de certaines professions (VRP) commerciales pour substituer aux déplacements physiques des contacts à distance

La liste est longue des moyens à décider tout de suite pour diminuer les dizaines de millions de déplacements qui tous les jours empoisonnent nos populations (pollution et bruit), constituent un danger en période de pandémie et finalement concourent à une vie personnelle dégradée, pour ne maintenir que ceux indispensables au redémarrage de la vie économique.

La bonne nouvelle est que les presque deux mois de confinement ont familiarisé les Français avec le télétravail. Tout un ensemble de verrous psychologiques ont sauté et des semaines de pratique intensive ont familiarisé aux techniques de téléconférence, ont prouvé ce qui était possible, ont donné le goût à certains. Il faut capitaliser sur ces deux mois et ne surtout pas laisser l’inertie et les fausses facilités nous ramener à l’ancien statu quo.

Des Plans de dé-mobilité par entreprise

De ce point de vue, il est évident que ce sont les employeurs (y compris dans les services publics) qui ont en main le 11 mai l’essentiel de la capacité à organiser une baisse massive des déplacements: que ce soient des déplacements domicile-travail pour une grande part et/ou des déplacements professionnels pour ceux qui sont mobiles dans leurs missions.

A la différence des propositions du scénario vélo, cela implique une contribution des entreprises plus que de l’État ou des collectivités, en tout cas au premier chef. Cette notion est importante dans le plan d’action public à venir. Il s’agit comme l’OMS le proclame depuis janvier à tous les niveaux de mobiliser la société pour éteindre la pandémie.

L’ensemble des entreprises doivent mettre à leur agenda immédiat la conception d’un programme de dé-mobilité.

En partant de l’analyse de la situation antérieure des déplacements des salariés et de la gestion « dégradée » durant le confinement, il faut:

– Maintenir le maximum des mesures de télétravail possible
– Aménager le travail hebdomadaire des salariés pour gagner des journées de non-mobilité
– Évaluer les modes de déplacements de chacun et leur recours aux transports publics et privilégier l’aménagement du travail de ceux qui sont loin, en transports en commun, et ont des contraintes notamment familiales (enfants).
– Lancer une politique pro-modes doux (à pied et en 2 roues) pour ceux qui sont dans un rayon d’action pertinent (inférieur à 15 km) avec généralisation immédiate et obligatoire du Remboursement Kilométrique Vélo (mesure existante mais non appliquée) et traitement fiscal favorable par rapport à la voiture.
– Organiser pour les personnels ayant recours aux TC un échelonnement important des heures d’arrivée et de départ de l’entreprise afin d’étaler la pointe et permettre ainsi une distanciation sociale.

Lire aussi :  Pollution de l'air liée aux transports

Toutes les mesures doivent faire l’objet d’une mobilisation exceptionnelle des directions d’entreprises, des services de ressources humaines et dans les trois semaines à venir d’échanges en Comité social d’entreprise (CSE) avec les salariés pour application immédiate.

Soutien public aux efforts des entreprises

Tout un ensemble de mesures peuvent être imaginées pour soutenir les efforts des entreprises dans leur transformation vers la dé-mobilité.

– Les soutiens aux Plan de mobilité (anciennement PDE – Plans de déplacement des Entreprises) doivent évidemment être encouragés
– Le soutien au dialogue entre partenaires sociaux au niveau local pour réglementer le télétravail dans des accords d’entreprise ou accords de branche
– Un soutien à la mise en place de pratiques innovantes (aide à l’utilisation de logiciels de téléconférence…)
– Hébergement provisoire à proximité des lieux de travail
– Mise à disposition d’une solution numérique d’aide à la décision

Alors que des discussions intenses portent sur la création d’un outil numérique baptisé « StopCovid » qui devrait être développé rapidement, nous proposons le développement d’un autre outil: une solution d’aide à la décision pour la dé-mobilité.

Éventuellement, cet outil pourrait être utilisé pour suivre les effets des politiques de déplacement des entreprises, et donc mesurer et évaluer les effets des décisions prises. L’utilisation de ce que nous appelons un Outil standard commun (anonyme mais permettant de mesurer les déplacements avec l’évolution entre situation avant COvid19 et après) pour toutes les entreprises permettant d’additionner les plans de milliers d’entreprises et pouvant concerner des millions de salariés serait une avancée majeure pour le pilotage de ces programmes de dé-mobilité, un progrès majeur dans la compréhension des mobilités urbaines et devrait permettre de changer le pilotage des politiques publiques de transport et d’aménagement (localisation des emplois et des logements) à moyen et long terme.

Cette logique de dé-mobilité doit être annoncée au plus tôt et construite collectivement. Son succès dépendra de l’adhésion des entreprises et des salariés: une communication claire et puissante est donc nécessaire.

L’urbanisme tactique, pour favoriser les modes doux et contenir l’expansion automobile

Il reste évidemment des déplacements fondamentaux, inévitables, nécessaires et utiles. Et là, le mix TC / Automobile / Vélo-Marche doit clairement être rééquilibré vers les modes doux. Pour cela une condition: répartir différemment l’espace de circulation – comme en zone dense – dans les périphéries en créant tout de suite les espaces de circulation sécurisés pour les vélos en utilisant le potentiel de l’urbanisme tactique (largement discuté ailleurs pour les vélos).

Il s’agit d’installer des dispositifs provisoires (plots, barrières mobiles et autres obstacles légers) permettant de délimiter des espaces nouveaux de circulations pour les vélos. Il faut le faire en particulier:

– sur les grandes voiries urbaines (ou l’espace est suffisant pour réserver une voie vélo protégée),
– sur tous les grands carrefours et intersections avec les infrastructures type autoroutes actuellement très difficiles à traverser à vélo),
– partout où le vélo est déjà largement pratiqué mais ou l’espace qui lui est consacré est trop limité vu les flux en croissance forte avant Covid19 (parfois supérieurs aux trafics voitures dont l’espace est 3 à 5 fois plus important) et qui vont encore être plus importants.

Cette stratégie doit aussi être déployée en zone dense et périphérique pour les piétons qui souvent vivent des espaces insécures et sont souvent interdits de circulation sur nombre d’axes, carrefours, alors même qu’ils doivent atteindre des arrêts de bus ou accéder à des équipements importants, commerces, équipements publics… L’urbanisme tactique doit donc également viser des équipements à destination des piétons.

Et dans cette stratégie, la question de l’accès aux équipements scolaires, avec limitations-détournements de la circulation et dissuasion de dépose d’école en toute proximité avec l’automobile doit également être décidé. L’objectif est également de permettre aux parents de respecter les distances de sécurité alors que les trottoirs sont souvent trop étroits ou encombrés pour accueillir les parents au moment de la dépose des enfants ou de la sortie des classes. Et l’urbanisme tactique doit permettre d’installer dès le mois de mai, à la réouverture des écoles, des espaces piétonnisés ou des zones de rencontre devant toutes les écoles. (Cf. note spécifique).

De l’urgence de la dé-mobilité à la transformation des politiques de mobilité urbaine

Permettre le redémarrage de l’activité tout en maîtrisant les facteurs de propagation impose un plan d’action immédiat pour permettre une distanciation sociale dans les transports en commun et éviter le retour massif de la pollution dans les villes.

Bien évidemment, des politiques structurelles sur les véhicules automobiles ou les deux-roues, pour passer massivement à une moindre pollution, le recours à des flottes zéro pollution (pour les taxis, VTC), le développement des deux-roues électriques individuels ou en flotte locative et l’utilisation des restrictions différenciées selon le niveau de pollution avec une révision complète des dispositifs Zone à Faible Émission (ZFE) doivent être débattues à partir de l’automne 2020.

Il s’agit de continuer à contrôler la pandémie mais également de lutter contre des fléaux urbains qu’on ne peut plus accepter comme avant: l’impact sur la santé de la pollution atmosphérique – et donc sur les fonctions respiratoires mises en danger par le Covid-19, du bruit également et aussi à long terme l’impact du réchauffement climatique, encore plus problématique dans les grandes métropoles.

Là encore, la remise à plat des politiques d’investissements sur les réseaux de transports en privilégiant la transformation de l’existant, le renouveau de politiques d’aménagement du territoire (localisation des emplois et des logements permettant de faire coïncider bassin d’emploi et d’habitat) et la fin de l’extension de la tache urbaine, le Zéro Artificialisation Brut, seul moyen d’arrêter le recours privilégié à l’automobile doivent être mis à l’agenda commun de l’État et de l’ensemble des Collectivités Territoriales. Il sera temps dès la rentrée de septembre de s’atteler au changement profond de fonctionnement de nos villes.

Cette politique organisée dans l’urgence doit pouvoir se prolonger dans le temps et faire l’objet d’évaluations internes et territoriales et être ajustée en continu et réactualisée après bilan notamment à la rentrée de septembre.

Mais pour l’instant, en renfort des enjeux sanitaires et de reprise de l’activité du pays, la priorité est d’organiser la dé-mobilité le 11 mai qui doit être la préoccupation majeure de l’ensemble des acteurs qui produisent du déplacement dans les grandes villes de France.

Frédéric Leonhard et Olivier Blond
https://www.respire-asso.org

2 commentaires sur “Déconfinement : la Dé-Mobilité pour lutter contre le Covid-19

  1. Lydie

    Très bonne approche sur la mobilité. Un seul bémol sur cette démonstration concerne la frilosité par rapport à la capacité des Français à passer d’un déplacement à vélo de 3% aujourd’hui à 60 ou 70% demain.

    Pourquoi? Le manque de volonté évidente des décideurs de faciliter cette transition. Beaucoup de palabre mais peu d’action concrète. Le COVID19 montre qu’il est possible de basculer rapidement d’un monde vers un autre monde. L’absence de courage de le faire par rapport aux déplacements est évident. L’état donne des milliards à RENAULT, PSA, KEOLIS, TRANSDEV, la RATP etc sans leur imposer par exemple de fabriquer ou de mettre à disposition des vélos à 2, 3 ou 4 roues à des coûts maîtrisés. Aucun investissement pour favoriser les déplacements actifs sur tout le territoire. Du blabla au lieu d’actions concrètes qui seraient économes et bénéfiques pour la santé, la planète. Quelle manque d’imagination sauf pour servir les fonds de pensions, le capital, et les états offshores. Continuons à déplacer 1.5 tonnes de ferrailles pour 70 kgs avec une empreinte incommensurable sur la planète. La distanciation sociale est elle si importante dans les transports, d’autre pays nous apportent la preuve que non voir la Suède, Singapour, etc. A quand les bonnes initiatives et réponses pour le mieux vivre?

  2. pedibus

    Si l’UE ne faisait par partie – elle aussi – des monstres intergouvernementaux « en état de mort cérébrale », comme dirait l’Autre, sans doute sa Commission ferait une proposition d’envergure et à la hauteur de la gravité historique de la situation, doublée évidemment d’une urgence absolue socio-environnementale. Il s’agirait d’enjoindre les Etats membres de requalifier leurs espaces urbains dès la directive sortie et dans des délais très courts, avec une action automatique de la CJE en cas de manquement :

    recours devant la Cour par la Commission dès constat fait après un premier bilan intermédiaire négatif des actions – et non des intentions – de l’Etat membre fautif, au 30 juin 2021 par exemple, avec de lourdes sanctions financières effectives à la clé.

    Cette directive devrait comporter un important volet urbanistique qui puisse nous épargner les habituelles politiques du déplacement à base routière si son objectif est atteint : fabriquer de la mixité socio-fonctionnelle dans tous les quartiers à brève échéance pour avoir tout sous la main à portée de jambes (!) ou de vélo. Aux Etats de concevoir leur mix de politiques publiques pour atteindre au plus vite l’objectif. Objectif à devoir gagner dans le court terme également pour les nouveaux quartiers, en continuité de l’agglo à étendre si besoin, pour répondre à la demande de logement et à la spéculation foncière et immobilière.

    Et là aissi la Commission se devrait de lancer, avec la même promptitude, une réforme du droit de la propriété foncière qui concerne tous ses adhérents, pour laisser les mains libres aux élus décidés à urbaniser intelligemment dans les tissus urbains vacuolaires et au besoin en immédiate périphérie contiguë à l’agglo : certains Etats connaissent déjà un droit qui permet mieux cette possibilité, relativement à la France par exemple.

    Le texte de l’asso Respire est très séduisant mais il est hémiplégique. Nous arrivons à une époque où même le concept de couplage de l’urbanisme et du transport est dépassé* :

    les politiques publiques les plus efficaces sur le premier secteur doivent rendre à terme celles du second superflues. Naturellement nous n’en sommes pas tout à fait à ce stade…

     

    * Un texte posthume intéressant de l’urbaniste opérationnel Marc Wiel :

    https://www.metropolitiques.eu/Remettre-la-demarche-du-Grand.html

     

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