Ces voitures qui tuent

Ralph Nader, avocat et homme politique américain – il se présenta quatre fois consécutives à l’élection présidentielle américaine, en particulier avec le Parti Vert – a joué un rôle important dans l’histoire de la critique automobile. Il a publié en effet en 1965 un livre intitulé « Unsafe at any speed » (« Dangereuse quelle que soit la vitesse »), un livre qui a fait date dans la défense des consommateurs face aux lobbies industriels de l’automobile.

Ralph Nader devient célèbre par ses campagnes en faveur des droits des consommateurs dès les années 1960 avec l’association Public Citizen.

Son livre, traduit en français sous le titre « Ces voitures qui tuent » (Flammarion, 1966), attaquait frontalement la très puissante industrie automobile américaine (les Big Three de Detroit) et plus particulièrement le mastodonte General Motors (GM).

Véritable Best Seller, ce livre s’en prenait notamment à la Chevrolet Corvair, un modèle à propulsion « tout à l’arrière » lancé par GM pour contrer le succès grandissant de la Coccinelle Volkswagen aux États-Unis. Les ingénieurs de GM, peu habitués à cette implantation mécanique avaient fait l’économie d’une barre stabilisatrice sur la suspension, ce qui donnait une tenue de route surprenante dans des situations limite.

Les critiques de Nader ne se limitaient pas à la Chevrolet Corvair, mais pointaient aussi l’absence de recherche en matière de sécurité des constructeurs, qui préféraient investir dans le domaine plus futile du style, pour pousser les ventes à travers l’obsolescence programmée, les ornements extérieurs et intérieurs dangereux, la pollution atmosphérique (les « belles américaines » V8 des années 60 et 70 étaient notoirement voraces en pétrole) et le lobby routier américain qui s’intéressait fort peu à la suppression des points noirs sécuritaires des routes américaines.

S’attaquant à une puissance économique telle que la GM, Nader en subit le choc en retour. Le PDG de la GM de l’époque, James Roche, après lui avoir fait transmettre en vain de mirobolantes offres d’embauche pour acheter son silence, contracta avec des agences de détectives privés, qui se livrèrent à un véritable harcèlement: filatures, écoutes téléphoniques, campagnes de dénigrement et même… « sex traps » (de jolies jeunes femmes chargées de compromettre sa réputation).

Des corrections furent apportées en hâte sur la suspension arrière de la Corvair et GM diffusa quantité de films publicitaires pour prouver les qualités du modèle incriminé (en utilisant des pilotes bien plus entraînés que l’automobiliste moyen).

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Nader finit par porter plainte contre GM et obtint après appel en 1970 les excuses de James Roche et la somme impressionnante de 425.000 dollars de l’époque à titre de dommages et intérêts (qu’il versa à une fondation pour la sécurité routière qu’il avait contribué à créer).

Bien plus tard, les grands dirigeants de l’automobile comme John de Lorean et Lee Iacocca admirent que les critiques de Nader étaient largement fondées.

En fait, ce que Nader a réussi à montrer, c’est la responsabilité des industriels de l’automobile dans la construction et la mise en vente de modèles de voitures délibérément dangereux pour ménager leurs profits.

Le livre de Nader a eu ensuite un impact décisif sur la production automobile comme sur la réglementation américaine. Cet ouvrage donna lieu aux Etats-Unis au vote de la loi Safety Act en 1966 et à la création de la National Highway Traffic Safety Administration, l’agence fédérale chargée d’améliorer la sécurité routière.

Par la suite, l’intérêt des consommateurs et donc des industriels pour la sécurité des voitures devint un sujet plus prégnant.

Bizarrement, c’est justement à partir des années 1970 que les statistiques des morts sur les routes commencent à baisser dans les pays occidentaux alors même que le trafic automobile continue d’augmenter de manière continue.

Cette histoire illustre le positionnement historique de l’industrie automobile. Prête à tout pour maintenir ses profits, y compris sacrifier la sécurité ou la santé des gens, elle ne change ses pratiques que contrainte et forcée.

On peut aujourd’hui faire le lien entre le combat de Ralph Nader et le sandale dit du DieselGate. Là aussi, les constructeurs de voitures ont sciemment triché et sacrifié la santé des gens pour maintenir leurs profits. La fraude massive des constructeurs sur les émissions polluantes de millions de voitures à travers le monde montre qu’ils n’ont pas retenu la leçon des années 1970.

L’industrie automobile est une industrie intrinsèquement mortifère. Qui sera le Ralph Nader du DieselGate?

Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Ralph_Nader

3 commentaires sur “Ces voitures qui tuent

  1. jol25

    Cette histoire illustre le positionnement historique de l’industrie automobile. Prête à tout pour maintenir ses profits, y compris sacrifier la sécurité ou la santé des gens, elle ne change ses pratiques que contrainte et forcée.

    Je pense que « automobile » est de trop dans cette phrase…

  2. Gwenael

    Cependant, et sans nul doute de plus en plus de nos jours car le sésame de la morale politique réside dans le droit à la consommation, l’extension des performances au grand public et l’obligation de sécurité, tous sans limites , l’établissement de normes de sécurité mieux disantes légitime toutes les croissances, qu’elles soient automobile ou autres. Ajouter une barre stabilisatrice sur la suspension rajoute du poids à la bagnole, fait consommer plus d’énergie, de minerai et de main d’oeuvre spécialisée pour la fabriquer, facilite la grande vitesse et rend insensible le conducteur aux aspérités de la chaussée et aux diversités du relief de la même manière que cela le coupe de son rapport sensible à l’environnement. C’est bien de cette manière que le monde automobile d’aujourd’hui, avec son niveau de technologie délirant semble avoir irréversiblement ôté à l’humain sa conscience de la mesure à laquelle l’attachait l’épreuve de la vitesse et de la puissance au volant de machines rudimentaires qui lui faisaient violemment sentir dans son corps les aspérités de la chaussée, les basculements des tournants et tous les risques fatals des chocs avec les éléments d’une voirie inappropriée à son confort. Paradoxalement, « L’intérêt des consommateurs et des industriels pour la sécurité des voitures » a ainsi favorisé son développement et son usage en rendant insensible l’automobiliste aux symptômes de son danger. Pire, il le conduit à réclamer sans cesse de nouveaux aménagements (autoroutes, voies de contournement et même ces fameuses pistes cyclables qui libèrent son espace de circulation au profit de son confort et de sa sécurité et le déresponsabilisent de toutes les conséquences néfastes possibles de son usage d’une machine que « le progrès » a rendu sûre et même « écologique ».

  3. Lydie

    L’industrie « automobile » fait ses propres normes et édicte les lois voté par nos chers représentants. Les politiques par méconnaissances ou lâchetés valident ce qui leur est proposé malgré les voix qui s’élèvent régulièrement. Un bel exemple reste les SUV et les pick-up dont un certains nombres sont beaucoup plus dangereux lors d’un accrochage avec un piéton ou un deux roues. Sans parler de la consommation outrancière des ressources de la terre ainsi que la pollution générée. Cette industrie s’arroge tous les droits en exerçant le chantage de l’emploi. Le manque de courage de nos politique et notre hypocrisie collective permettent aux industriels de développer les objets à leur convenance dans l’unique profit des actionnaires et du monde bancaire. Le plan de relance après le COVID est un bel exemple de l’incongruité des décisions qui sont prises vis à vis de l’industrie automobile. Restons éveillés et actifs dans notre société humaine ce qui amènera progressivement n’en doutons pas vers des usages plus mesurés de l’automobile et de l’inutile vendu uniquement par le marketing qui reste le grand fautif de la société de consommation actuelle en nous conduisant directement dans le mur.

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