La grande course à la ruine

Philippe Saint-Marc est un pionnier de l’écologie, auteur de Progrès ou déclin de l’homme (Stock, 1978), Socialisation de la nature (Stock, 1975) et L’Economie barbare (Frison Roche, 1994).

Né le 20 septembre 1927 à Paris, Philippe Saint-Marc est un haut fonctionnaire français. Issu de l’ENA, il a été le premier président de la Mission Interministérielle pour l’Aménagement de la Côte Aquitaine (MIACA) de 1967 à 1970 et magistrat à la Cour des comptes de 1971 à 1996. Auteur de la Charte de la nature (1972), il est un pionnier de l’écologie humaniste militante. Il se définit lui-même comme un « énarque marginal. »

Il publie en septembre 1973 dans la revue Le Sauvage ce texte intitulé « La grande course à la ruine. »

La grande course à la ruine
Philippe Saint-Marc

Depuis le septennat de M. Pompidou, le culte de l’automobile est devenu en France la religion d’Etat, la seule d’ailleurs à laquelle croient la plupart des dirigeants. Tous les ans, le pèlerinage national ne se rend pas à Lourdes, mais aux vingt-quatre heures du Mans. Telle une grande messe pontificale, le Salon de l’auto déroule sa liturgie fastueuse au cours de laquelle l’automobile nouvelle, bénite par les plus hautes autorités officielles, est comme une relique révélée à la ferveur populaire. En cas d’impiété, répression policière : matraquage de manifestations sacrilèges en faveur de la bicyclette ou des piétons. Et la nouvelle religion a déjà son clergé, puissant et sectaire : les ingénieurs des Ponts et Chaussées.

Cependant, cette adoration obligatoire dissimule mal la réalité : l’automobile est devenue le cancer de notre civilisation. Elle la ronge par sa prolifération effarante, anarchique et dominatrice. Elle détruit l’homme et dégrade l’espace. Elle mutile, intoxique et tue. Elle casse les villes et dilapide la nature. Elle gaspille une énergie sans cesse plus rare et plus coûteuse. Présentée à tort comme le symbole de la prospérité, elle appauvrit l’homme dramatiquement, dans son environnement social et physique. Elle brise son cadre de vie collectif pour l’enfermer dans une petite carapace d’acier qui l’isole et exalte son agressivité en la cuirassant. Elle le ruine dans les biens immatériels essentiels : la santé, la sécurité, les joies de la nature, la beauté des paysages, le sentiment de la communauté. Nous allons vers l’« auto-destruction » rapide de notre civilisation si nous ne changeons par fondamentalement notre attitude à l’égard de l’automobile, si nous ne cessons pas de la vénérer comme une idole et ne la soumettons pas aux impératifs de la défense de l’environnement… et de l’homme.

Lire aussi :  Dix objections majeures à la civilisation de l’automobile individuelle

En transformant l’automobile en une idole intouchable, le pouvoir se fourvoie dans une impasse pour la politique des transports, de l’urbanisme et de l’environnement. « Il faut adapter Paris à l’automobile. » Cette affirmation spectaculaire de M. Pompidou aboutit en fait à sacrifier Paris à l’automobile. Elle est devenue la grande compensation des vices du système actuel. Opium du peuple, l’automobile est la drogue officielle recommandée par la société de consommation à tous les insatisfaits. Aux espaces verts urbains disparus, elle substitue l’évasion vers la campagne ; à ceux que lasse la dépersonnalisation de la vie, elle offre la puissance et l’ivresse de la vitesse. La consommation mondiale de pétrole est passée de 500 millions de tonnes en 1950 à 1 milliard en 1960, 2 milliards en 1969, 2.5 milliards en 1972. Folie de cette croissance exponentielle : les réserves connues correspondent seulement à quelques décennies en tenant compte de son taux d’accroissement. L’expansion délirante de l’automobile est sans doute l’un des moteurs de la croissance, mais c’est un moteur à explosion.

Le Sauvage n° 6, septembre-octobre 1973

3 commentaires sur “La grande course à la ruine

  1. Lydie

    La voiture gangrène de notre civilisation c’est une vérité. De quel choix disposons nous pour aller travailler le matin à 5h du matin dans une entreprise située à 25/30 kms dans une zone d’activité desservie uniquement par des voies express et ne disposant d’aucun transport en commun? Nous sommes nombreux dans ce cas avec des horaires peu compatible avec la vie du 8h/17h. Le covoiturage reste très difficile car les horaires sont décalés et le soir ce n’est pas mieux puisque décalé aussi. Aucun logement disponible à proximité si ce n’est pour faire encore un peu plus d’étalement urbain. Les entreprises pour X raisons s’implantent sur ces zones avec l’aide, et la grande complicité des maires de ces villes satellites qui pensent que vider les villes centres apportera de meilleurs conditions à leur mairie. Pauvres citoyens que nous sommes le choix s’avère plus que cornélien. Agissons d’urgence sur l’urbanisme par la neutralisation des actions des maires irresponsables et néfastes pour l’avenir. Beaucoup de salariés se trouvent prisonniers, piéger par les choix d’aménagement des maires qui sous prétexte du soi-disant développement de leur commune artificialisent les sols et se piquent les industries entre eux. Que d’argent gaspillé, de pollution engendrée, de massacre de paysage etc… Si quelqu’un est apte à faire cesser cette gabegie il est prié d’agir. Les beaux discours et textes contre l’automobile ne pourront être entendus que si le vivre ensemble avec un urbanisme à échelle humaine sont mieux appréhendés par nous tous. Malheureusement la réalité est celle là.

  2. pedibus

    ah ça le père St-Marc ne s’est pas fourvoyé dans sa formule métaphorique météoritique de moteur à explosion entre les cuisses de Ste-Gnognole… :

    combien de zélus zélés ont succombé à ses charmes depuis les lois de décentralisation de Defferre, au début de la décennie 1980, avec l’ouverture en grand des vannes des permis de construire jusqu’à Fouilly-les-Oies, même en zone inondable ou submersible d’ailleurs…

    lesdites zézelles – particulièrement au centre des agglomérations – peu dotées en kouyoku ont préféré capituler à la japonaise devant la caste des propriétaires fonciers des espaces non bâtis et ne pas préempter pour construire de la ville en prolongement de l’existant, dont du logement :

    dès lors sur les bilans et programmes électoraux le cumul de ruban d’asphalte à deux fois n voies réalisé valait toujours plus que l’atteinte d’un obscur objectif pris dans la longue succession* de ceux qui ont émaillé la toujours impuissante gouvernance mondiale du « développement durable »… :

    – 1987 rapport Brundtland, avec le concept de « bâtir la ville sur la ville » ;

    – 1992 avec l’application locale de « l’agenda 21 »;

    – 1997 avec la limitation de l’émission des gaz à effet de serre (« protocole de Kyoto »)…

     

    moteur à explosion de la gouvernance locale qu’il ne s’agit évidemment pas de remettre sous la tutelle préfectorale, mais qui ne semble pas non plus bridé par l’intercommunalité :

    trop rarement son périmètre correspond à celui de la pendulation domicile-travail, « incarné » par le concept inepte d’aire  urbaine de notre statisticien national, lequel l’a d’ailleurs encore modifié cette année, au prétexte de se rapprocher des conventions statistiques européennes en ramenant le seuil de 40% à 15% de la population active d’une commune travaillant dans un pôle urbain pour qu’elle soit satellisable dans le ZAAV**, nouvelle foutaise  bagnolo-centrée d’urbanisme fonctionnel voulant dire « zonage en aires d’attraction des ville »…

    … zonage*** qui va finir par recouvrir la totalité du territoire métropolitain tellement il est peu discriminant, histoire de se remettre dans les traces protohistoriques de l’INSEE avec ses ZPIU d’il y a maintenant pas loin de soixante ans…

    et c’est bien là où le bât blesse le plus avec cette bourrique de Ste-Gnognole :

    ce don d’ubiquité qui vous ferait prendre n’importe quel territoire du périr-urbain pour de l’urbain dès l’instant où l’on peut bagnoliser à partir de sa petite crotte pavillonnaire posée à côté d’une autre because on n’a pas pu faire autrement que d’arbitrer avec ses n roues motorisées face au niveau de prix du foncier et de l’immobilier pratiqué dans l’agglo où l’on gagne son plein…

     

    dès lors on devrait parler de gouvernance ruineuse à toutes les échelles, à tous les échelons de la décision et depuis maintenant belle lurette…

     

    *http://www.assemblee-nationale.fr/12/controle/delat/dates.asp

    ** https://www.insee.fr/fr/information/4808607

    *** http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/zonage-par-aires-urbaines-zau

     

     

  3. Françoise

    C’est en vertu de ces prédictions connues de tous que j’avais  décidé depuis les années 70 de résider en centre-ville (dans une ville moyenne) et par voie de conséquence de ne pas posséder de véhicule. C’était un choix à faire : me passer de jardin n’a pas été facile, mais quelle liberté ! Et quelle économie !  J’ai du mal à comprendre que d’autres aient pu faire autrement. A cette époque, c’était faisable (et pas cher). Dommage pour ceux qui n’ont pas senti les problèmes venir !

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