Les autophobes suisses dépassent les bornes

Nous avions vu précédemment à quel point la Suisse était un pays autophobe au début du 20ème siècle. Dans l’article présent daté du 23 août 1911, l’auteur déplore le fait que les autophobes suisses dépassent les bornes…

Il semble que les excès commis contre les automobilistes dans certaines parties de la Suisse ont fini par lasser la patience publique. Les Suisses n’entendent pas laisser leur pays acquérir la réputation d’un coupe-gorge (ou du moins coupe-bourse) et d’énergiques protestations retentissent de tous les côtés du territoire. L’audace des autophobes passe toutes les espérances, et le remède va venir de l’excès du mal lui-même.

La presse sportive et quotidienne stigmatise avec vigueur les abus de pouvoir dont se rendent journellement coupables certaines communes rurales, ainsi que les insultes et vexations dont on accable les chauffeurs, surtout étrangers, et le temps n’est plus loin où l’on pourra circuler en Suisse comme dans un véritable pays civilisé.

En ce qui nous concerne, nous nous sommes bornés à citer, sans aigreur et sans passion, les faits que nous savions exacts: nous l’avons fait parce que nous estimions que notre devoir était de mettre en garde nos lecteurs contre les dangers qu’ils couraient en voyageant dans des régions dangereuses, et l’on nous rendra cette justice que nous n’avons jamais hésité à signaler avec la même précision les cas d’autophobie que nous enregistrions dans notre propre pays. Si nous avons pu aider ainsi à la défense de l’automobilisme et du tourisme, nous en sommes fort heureux, et nous aurons rendu service à nos bons voisins eux-mêmes.

Le président de la section de Zurich de l’Automobile Club Suisse (A.C.S.), M. Wumderly-Volkart, est un des plus énergiques adversaires des autophobes de son pays, et il ne craint pas d’user à leur égard des armes dont il dispose. C’est ainsi qu’il vient de faire publier dans les journaux zurichois un avis ainsi conçu:

CHAUFFEURS, ATTENTION !

Le traquenard de Mühlehorn (Wallensee) a recommencé à fonctionner. De prétendus excès des vitesses autorisées de 6 et 10 kilomètres sont punis arbitrairement d’amendes de 50 à 200 francs et plus.

Une partie du montant revient au dénonciateur.

On peut penser quelle sensation provoque cet avis éloquent en sa concision, et il faut louer la section de Zurich du courage dont elle fait preuve en mettant ainsi à l’index les régions autophobes. Cette décision lui a été dictée par une recrudescence d’attentats contre le droit des gens, d’amendes fantastiques perçues de la manière la plus illégale. Une fois c’est un chauffeur qui, après avoir dépassé à petite allure, en observant toutes les prescriptions, une diligence, est arrêté au village prochain sur la plainte téléphonique du postillon de la diligence, lequel accusait l’automobiliste « d’avoir fait de la poussière et caché ainsi son numéro » (???). Une autre fois deux étrangers sont contraints de déposer tout ce qu’ils ont sur eux (200 marks) et seule l’énergique intervention de la section de Zurich leur permet d’en récupérer la moitié. Pareille mésaventure arriva à un chauffeur zurichois, mais, comme par chance, il n’avait que 50 francs sur lui, il en fut quitte pour cette somme, d’où le conseil de ne jamais emporter avec soi, dans ce pays béni, plus que le strict nécessaire.

Même de simples piétons, outrés des exactions commises, écrivent aux journaux pour protester, et l’un d’eux écrit à la Gazette de Glaris en racontant qu’il a été le témoin de faits scandaleux à Mollis, un aubergiste de cette localité ayant été requis par téléphone, à deux reprises en une demi-heure, d’arrêter au passage des chauffeurs « anglais présumés » sous l’imputation de vitesse excessive en traversant un village voisin. L’auteur de ce communiqué fait observer que presque chaque étranger qui se risque dans la région est une victime désignée pour ces honorables « industriels de la contravention. » Il ajoute que tout le canton se trouve déconsidéré par de tels procédés, et qu’il importe pour le bon renom de la région et du pays d’intervenir avec rigueur. On prétend que dans la majorité des cas ces traquenards au téléphone sont organisés par des gens qui n’ont rien d’officiel, et qui jugent au petit bonheur si l’automobiliste qui passe sera de bonne prise.

Il importe de mettre fin aux méfaits de ces corsaires de la grande route, et nous voyons avec plaisir que l’opinion publique leur semble infiniment moins favorable que précédemment.

La section de Zurich de l’A.C.S. et son énergique président auront bien mérité de la cause du sport, et leur pays peut leur savoir gré de leurs courageux efforts.

D’autre part, rien ne donnera mieux une idée de l’esprit du peuple suisse de certains cantons contre les automobilistes, que cette « galéjade » que nous extrayons de l’Impartial, de La Chaux-de-Fonds:

Tout de même, on n’ira jamais aussi loin que certain maire d’une petite commune du Jura bernois, lequel avait envoyé à son député, avec de chaudes recommandations, un projet de règlement général conçu à peu près dans ces termes…

Au nom du peuple bernois !

  1. Chaque automobile sera munie, à son entrée dans le canton, d’un compteur kilométrique officiel. Le chauffeur paiera un droit de circulation calculé à raison de un franc par kilomètre parcouru, multiplié par le nombre de chevaux de force du moteur.
  2. La « casse » se paie d’avance. A cet effet, chaque propriétaire d’automobile déposera une caution de vingt mille francs. Si le chauffeur, au moment où il quitte le territoire, peut certifier n’avoir été la cause directe ou indirecte d’aucun accident, le montant de la caution sera versé à une œuvre de bienfaisance du canton.

  3. En rase campagne, la vitesse des automobiles n’excédera pas trois kilomètres à l’heure. Dans les villes, elles devront, être remorquées, soit à bras, soit par des bœufs, ânes, chevaux ou tous autres animaux domestiques.

  4. Dans chaque circonscription communale, le chauffeur de l’automobile s’arrêtera à la mairie pour signer un registre de circulation et prêter serment qu’il n’a commis aucun excès de vitesse.

  5. Pour chaque panne, quelle qu’en soit la cause, le chauffeur paiera un « droit d’arrêt et de séjour » de 50 francs.

  6. Tout chauffeur qui commettra une infraction au présent règlement sera puni de la peine de mort. Ses compagnons de voyage pourront être également condamnés aux travaux forcés, pour une durée qui, toutefois, n’excédera pas 75 ans.

Il est évident qu’avec une législation pareille, les excès de vitesse deviendraient plutôt rares, et les inconvénients du sport automobile seraient grandement atténués.

Source: L’Auto, 23 août 1911

Un commentaire sur “Les autophobes suisses dépassent les bornes

  1. Hdkw

    Conduite responsable, définition:

    « En rase campagne, la vitesse des automobiles n’excédera pas trois kilomètres à l’heure. Dans les villes, elles devront, être remorquées, soit à bras, soit par des bœufs, ânes, chevaux ou tous autres animaux domestiques. »

     

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