Coupable incurie

Le plus bath de tous les sports, disait J.-J. Rousseau, c’est la marche à pied. Je ne me rappelle plus bien si ce sont les termes exacts qu’il a employés, mais j’en garantis le sens. Or, à notre époque de locomotion outrancière, la justesse de cette affirmation se vérifie encore; Que dis je? plus que jamais.

Le piéton vraiment digne de ce nom est devenu le sportsman le plus complet qui soit. Je ne parle pas du monsieur qui abat des kilomètres dans la campagne, en pleine solitude, mais de celui qui aborde, d’un pas non moins ferme que quotidien, les trottoirs grouillants des cités.

Les voies des grandes villes, comme celles de la Providence, sont impénétrables au vulgaire. Il ne faut pas s’étonner s’il y arrive quelques accidents, mais plutôt de voir qu’il n’en arrive pas davantage, car le nombre de personnes qui s’acharnent à pratiquer le piétonisme sans y être préparées, est véritablement effrayant,

D’éminents docteurs ont dit à la jeunesse tout le mal qu’elle se faisait en jouant au football, en faisant de la course ou de la boxe, sans s’être livrée au préalable à une culture physique suffisante. En ce moment même, un mouvement d’opinion se dessine nettement en faveur de cette idée très juste. On en vient à cette conception rationnelle d’un apprentissage, par quoi l’on aurait dû commencer. Mais personne ne songe à élever la voix, en voyant des milliers de malheureux s’adonner, sans aucune préparation, au sport le plus violent et le plus pénible: celui du piéton.

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Réfléchissez une minute à l’effort athlétique que le piéton doit faire, aujourd’hui, pour se rendre d’un point à un autre; à l’énergie qu’il doit fournir, à l’extraordinaire endurance qu’il doit avoir! Imaginez ce que représente de dangers évités, de dépense de volonté sauvage, cette performance, jadis assez simple: aller à pied de la Madeleine à la Bastille!

Le piétonisme exige qu’on soit rompu à la marche, à la course, aux divers sauts, à la lutte, à la boxe, à la natation; il demande de plus une attention toujours en éveil, un sang-froid imperturbable et une grande rapidité de décision, sous peine des pires catastrophes.

Et, dans une civilisation où l’on se pique de veiller à la santé des citoyens, on laisse de tout jeunes hommes, des adultes débiles, des dames, des vieillards, pratiquer ce sport terrible, sans réclamer d’eux la plus petite garantie d’entraînement, la moindre fiche physiologique!

Fernand Bidault
L’Auto, 7 février 1910.

Un commentaire sur “Coupable incurie

  1. mat b

    Flippant de voir la date de cet écrit. D’ailleurs, si je me décris encore plus comme un piéton que comme un cycliste, je pratique plus la bicyclette pour m’épargner bon nombre de contrainte. Le niveau devenant trop exigeant avec des enfants

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