Dans ce papier, nous menons une étude du comportement d’usage des automobiles, et nous intéressons au kilométrage annuel parcouru par les ménages, i.e. leur « automobilité ».
Pour caractériser cette consommation individuelle de kilomètres, le modèle d’addiction rationnelle de BECKER a été déployé sur le panel 1999-2001 de l’enquête française « Parc Automobile ». Les résultats font tout d’abord apparaître qu’on ne peut réfuter l’hypothèse microéconomique d’addiction concernant l’usage de la voiture. Quelques valeurs d’élasticité du kilométrage au prix des carburants dans un premier temps, puis au revenu des ménages ensuite, sont reportées, avec des résultats tout à fait plausibles. Puis, un éclairage est porté sur les différences géographiques, en confrontant les ménages des trois aires franciliennes et la Province, et en simulant l’effet d’un changement résidentiel sur leur mobilité. Enfin, nous voyons dans quelle mesure un changement des caractéristiques de motorisation (nombre d’automobiles, de permis, transitions ‘essence-diesel’) affecte l’automobilité des ménages français.
Les préoccupations environnementales croissantes liées au réchauffement climatique mettent l’homme au banc des accusés. Le développement de ses activités s’est accompagné d’un rejet croissant dans l’atmosphère des gaz à effet de serre qui sont, sous l’action de la réflexion infrarouge des rayons solaires sur la surface du globe terrestre, en partie responsables de la hausse du thermomètre.
Les conséquences écologiques à terme prévoient un bouleversement irréversible de l’écosystème, dans lequel la place de l’homme est incertaine et controversée. Soucieuse de sa préservation, la ratification du protocole de Kyoto (1997) par quelques pays dont la France marque une prise de conscience et une volonté communautaire de réduire les émissions de ces gaz, avec des objectifs ambitieux, pourtant jugés nécessaires.
Plus particulièrement, c’est l’activité de transport qui est visée comme étant une principale source génératrice de ces gaz, faisant notamment de l’automobile « l’instrument du délit ». La voiture est aussi impliquée dans bien d’autres affaires, plus locales cette fois, telles que la pollution atmosphérique, la sécurité routière, les nuisances sonores, la dégradation du paysage… mais la voiture permet aux agents une plus large maîtrise de l’espace et du temps, et donc un meilleur accès à l’emploi, aux services, aux loisirs, faisant de l’automobile un thème de débat très controversé.
Au cœur de toutes ces préoccupations particulières, la question de l’usage automobile et de son intensité émerge très nettement. L’« automobilité », qui désigne les comportements périodiques de mobilité en automobile des agents, s’impose donc comme un sujet majeur de réflexion.
La conduite de politiques pertinentes pour orienter ces comportements nécessite de connaître l’impact des instruments agissant sur ces déplacements parcourus en voiture individuelle et donc la manipulation d’un modèle descriptif du comportement d’usage. Sa connaissance est autrement utile pour les pouvoirs publics : en permettant la prévision, un modèle de trafic automobile peut servir la décision d’investissement dans les infrastructures routières, en complémentarité avec les modèles décrivant le niveau d’équipement en automobiles (COLLET, 2007).
Dans ce document, nous proposons une structure en deux étapes pour caractériser l’usage de l’automobile en France : après avoir observé le comportement binaire de sélection des ménages entre motorisation et non-motorisation, l’automobilité annuelle des ménages équipés est modélisée selon différentes spécifications, déterminées sur la base du support microéconomique.
Dans un contexte de fortes variations du prix des carburants usuels transformés du pétrole – essence et gazole – qui alimentent encore la quasi intégralité du parc automobile français en 2000, et dans une perspective incertaine de leur évolution (liée à une demande croissante de produits pétroliers, à l’hypothèse d’un tarissement à terme des ressources fossiles, et à une évolution incertaine des capacités d’offre et d’extraction de l’or noir notamment), un objectif du document concerne la mesure des effets-prix sur le kilométrage des ménages. Plus particulièrement, un éclairage sur l’hétérogénéité de leurs sensibilités selon la zone résidentielle, notamment en Île-de-France, est tenté. L’effet d’autres variables explicatives, comme les variations de revenu est également considéré. Enfin, la disposition en panel des observations sur trois années (1999-2001), qui assure le suivi longitudinal des comportements individuels, permet l’utilisation de spécifications dynamiques, avantageuses pour distinguer les effets usuels de court et long terme.
Dans ce papier, les modèles dits « d’addiction myope » et « d’addiction rationnelle » sont étudiés puis ajustés afin de révéler et caractériser le type de dépendance des ménages à l’utilisation de leur parc automobile. En appliquant ces modèles, généralement utilisés pour décrire la consommation de cigarettes, de drogues ou d’alcool, on pourra vérifier la validité – au moins économique – des propos de DUPUY (1999) :
“… automobile dependence means that as individuals, we cannot live without cars, just as a smoker cannot live without cigarettes, and a drug addict without drugs” (DUPUY, 1999)
Dans la citation suivante, WICKHAM et al. (2002) osent également le rapprochement de l’usage automobile à celui d’une consommation addictive de drogue, dont on peut faire une relecture microéconomiste (entre parenthèses), motivant encore davantage l’emploi et le test de modèles d’addiction :
“Car (use) dependence can be understood through the metaphor of drug dependency (addiction). Heroin or even nicotine addiction is in part a matter of (rational) choice. I choose to shoot up, I choose to smoke a cigarette. But as I continue to do this, my body (utility function) changes, it becomes restructured, it needs the drug (addictive good), it cannot do without it. Furthermore, the ‘need’ (addictive good marginal utility) escalates – the body (optimal bundle of goods) requires more and more of the drug (addictive goods)…. the same applies to car (use) dependency” (WICKHAM et al., 2002).
ROGER COLLET
Institut National de Recherche sur les transports et leur Sécurité (INRETS)
Département d’Economie et de Sociologie des Transports (DEST)
25èmes Journées de Microéconomie Appliquées Saint-Denis (La Réunion) – 4 septembre 2008
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