Le premier autophobe

Nous avons trouvé un précurseur de l’autophobe Marcel Marien en la personne de Marcel Lorin – encore un Marcel – qui dès 1908 s’en donnait à cœur joie contre l’engeance automobile.

On connaissait en effet le texte célèbre de Marcel Marien datant de 1956, du moins sur Carfree France, intitulé « Des bâtons dans les roues » et un autre texte, non moins célèbre, de Marcel Robert, intitulé « Théorie de l’emmerdement maximal. » Voici un texte précurseur d’un nommé Marcel Lorin en 1908 trouvé dans un journal de Seine-et-Marne nommé « Le Briard. »

Le dénommé Marcel Lorin, présenté comme un « ancien élève du Collège de Melun et membre du Touring Club de France, » s’y livre à une diatribe enflammée contre l’automobile. Voici, en effet, les moyens que préconise Marcel Lorin pour débarrasser la route des automobiles:

Tendons des chaînes, renversons des obstacles qui les empêcheront d’aller vite parce qu’ils viendraient s’y buter. Obstruons devant eux, d’une complicité tacite, les rues de nos villes et de nos villages, ne bougeons pas à l’impératif son de trompe ni au mugissement de la sirène. Gars qui revenez le soir des semailles ou du labour avec vos bœufs, vos chevaux que le bolide va effrayer, hop! la herse ou la charrue en travers, prestement… Et si cela ne suffit pas, s’ils persistent à écraser, eh bien! contre le forfait anonyme, faisons la représaille anonyme. C’est la vendetta juste. Toi, chasseur, charge ton fusil; moissonneur, prends ta faux; passant, ramasse les pierres les plus pointues. Embusquons-nous, et frappons au passage! Nous épargnerons des vies tranquilles en supprimant le fléau. Défendons-nous; défendons nos familles et nos semblables contre l’horrible tuerie qui les guette et les guettera jusqu’au jour où un dernier châtiment mettra fin à la course insensée du dernier monstre et de ses démons!

Tudieu ! Ce jeune homme connaît son Corneille. Ne vous semble-t-il pas lire les « Imprécations de Camille »:

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Voir le dernier chauffeur à son dernier soupir,
Moi seul en être cause et mourir de plaisir !

Marcel Lorin, ancien élève du collège de Melun, qui manie si délibérément l’excitation au meurtre, n’est cependant pas l’assoiffé de sang que vous pourriez vous imaginer. En fait, Marcel Lorin est un rêveur. Ecoutez-le plutôt:

Ils vont tuer du monde (les automobilistes), malheur à nous, si nous traversons la chaussée sans tourner la tête. Malheur à nous, si nous rêvons! »

Nous sommes en 1908 et Marcel Lorin se rend compte que l’avènement de l’automobile signe la fin des rêveries sur la route, sous peine de se faire éparpiller façon puzzle… Les véritables meurtriers sont bien les chauffeurs de ces machines dangereuses, ceux que l’on commence à appeler les « écraseurs »:

Il s’agit des hideux « bouffe-la-route », des écraseurs dont les 40 ou 60 chevaux, en trombes forcenées, vertigineuses, attirantes, passent à travers les villes et les campagnes, dans nos rues, sur nos routes où nos enfants jouent, où nous nous promenons; où tes poules picorent, paysanne; où ton chien, propriétaire, devant ta porte, s’est couché. Regardez-les, masqués, casqués, bardés de cuir; ils sont armés, on dirait? Oui, de pied en cap: ils vont tuer du monde!… Sur nos routes, à nous, chose formidable; sur nos voies libres où s’ouvrent nos maisons, où nous allons, venons, causons, des bolides font du 100 et du 120 à l’heure!« 

Pour finir, citons l’indépassable Marcel Marien:

Nous laissons aux exécutants le soin de nuancer, de varier au gré des circonstances les moyens qui répondent le mieux à cet impératif: rendre toujours plus intolérable la fonction d’automobiliste, engeance qu’il s’agit littéralement de faire enrager, de façon à la contraindre, par le désespoir ou la honte, à renoncer à sa provocante ferraille. »

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